Enfer ou Ciel/Hell or Heaven

Une vision sombre et puissante de la destinée humaine, tel un peintre de la Renaissance.

Joel-Peter Witkin ne fait pas dans la facilité. Sexe et souffrance, mort et sacré, surréalisme et difformité parcourent son œuvre. Ames sensibles s’abstenir. Joel-Peter Witkin tord et torture ses sujets, à tous les sens du terme. Et ne craint pas d’aller à contre-courant : « Nous vivons aujourd’hui dans une culture du relativisme, du politiquement correct et du sécularisme. Je suis en désaccord avec toutes ces idées. La vie est un combat et je la montre telle qu’elle est réellement. La mort fait partie du cycle de la vie. Pour moi, elle est la transition qui précède la vie éternelle. La mort est un don sacré. Mon travail a toujours donné à voir la splendeur et la misère de la condition humaine. Ces actes ne font pas seulement partie de l’histoire, ils font partie de l’histoire des consciences, des âmes. »

Né en 1939 à New York, d’un père immigré lituanien de religion juive et d’une mère catholique d’origine italienne, Joel-Peter Witkin apprend la photographie pendant son service militaire avant de poursuivre des études à la Cooper Union (Bachelor of Arts) et  à l’Université du Nouveau-Mexique à Albuquerque (Master of Fine Arts), ville où il réside depuis lors. Joel-Peter Witkin choisit rapidement de privilégier la photographie mise en scène et l’appel à des modèles non professionnels engagés au fil de ses rencontres ou par petites annonces.

Une photographie de Joel-Peter Witkin existe d’abord sous forme d’étude, de croquis esquissé d’un trait nerveux et précis : l’agencement des accessoires, la direction des éclairages, la disposition spatiale des modèles, leur posture, leur taille, leur volume, leur costume... La prise de vue dure moins d’une demi-journée, avant de passer en « postproduction » dans son laboratoire photo. Joel-Peter Witkin ne travaille pas l’image numériquement : les transformations sont manuelles, faites directement sur le négatif en chambre noire ou sur l’épreuve finale. Il fait subir à certains tirages des traitements peu communs : surcharges de peinture, retouches visibles, abrasions, découpages, collages, couverture d’encaustique. Sa photo devient œuvre unique, telle une peinture mais par d’autres voies.

Witkin possède une grande culture artistique, et une partie de son oeuvre réinterprète de la sculpture antique ou des peintres classiques tels Goya, Manet ou Rubens. Il reprend des motifs classiques comme la Vanité (portrait avec crane pour mieux signifier la vanité de toute chose en ce monde) ou des scènes mythologiques (Léda et le cygne, Daphné et Apollo). L’exposition à la BnF Richelieu à Paris, jusqu’au 1er juillet 2012, développe ce parallèle en confrontant l’œuvre foisonnante de Joel-Peter Witkin, représentée par 81 photographies sur place, à un choix par Witkin lui-même de 45 gravures et estampes classiques de leurs collections. Ces oeuvres montrent la persistance de formes et de thèmes déjà travaillés par ces grands graveurs jusque dans l’imaginaire contemporain de Joel-Peter Witkin.

Paul Schmitt, juin 2012