L'écriture d'un coprs

En se prenant lui-même comme modèle, John Coplans choqua par ses photographies d’une nudité inattendue, dans les années 1980. Aujourd’hui exposé à la galerie Anne de Villepoix, le photographe livre son corps à l’objectif, en présentant à nouveau ses premières séries d’autoportraits Self portrait, réalisées entre 1984 et 1988.

Le corps anonyme et tronqué, telle est la vision personnelle de John Coplans. L’œil du visiteur glisse sur le papier photosensible comme l’air sur la peau tachetée de l’artiste lui-même. Malgré ses soixante-cinq ans, il n’hésite pas à jouer de sa chair, de ses articulations, pour produire chez le spectateur une forme d’intimité à partager avec lui-même. Les plis et replis de noir et de blanc deviennent les vagues d’une mer laiteuse, constellée de grains de beauté et autres imperfections qui confèrent à chaque photographie une sensibilité honnête. Capté de manière frontale, le corps de l’artiste est aussi le lieu de la déformation. En effet, comme aurait pu le faire John Baldessari, Coplans joue de la malléabilité de ses chairs et de ses organes, génitaux ceux-ci, en les étirant, les froissant. Le caractère sexuel n’est alors plus indécent, ni brutal mais proche d’une certaine forme d’acceptation de l’âge, du temps, qui, parfois grotesque, ramène l’adulte vers l’infantile. De plus, puisque dépossédé d’identité (par l’absence de figure), le corps ici photographié peut être (ou devenir) celui auquel songent chacun des visiteurs. La communication, le transfert s’opère alors entre l’image et le témoin de celle-ci. En observant le corps de John Coplans, le visiteur est moins voyeur que confident.
La familiarité se dégage peu à peu de ses membres, en évitant cependant l’auto-contemplation. Il semble aussi que la photographie prenne un rôle introspectif dans l’œuvre de l’artiste, qui tente à travers le regard de l’autre, de mieux saisir la globalité de son propre corps. Rappelant les anatomies désarticulées et tortueuses que photographiait volontiers Hans Bellmer à travers ses séries sur la poupée, les œuvres de Coplans traduisent une architecture des corps, une codification des attitudes que ce dernier s’attache à brouiller.
Pourtant, tout reste lisible. On reconnaît bien les coudes et autres membres anguleux du corps, qui prennent leur source dans une sorte de quête anthropologique. John Coplans, s’emploie "à une sorte d'archéologie qui transcenderait le temps et retournerait aux origines premières de l'humanité" affirme-t-il. Ainsi se dressent au cœur de sa démarche une mise à plat, une certaine démonstration où la vanité, la sculpture académique, la peinture héroïque et les nombreuses odalisques s’emparent du corps-sujet.
Faisant face à l’œil du spectateur, sans vraiment le convoquer, John Coplans laisse sa morphologie parler, divulguer l’ « autre » à sa place. Ses mains et ses bras se substituent aux mouvements de ses lèvres, poings serrés, coudes arqués, pour énoncer l’histoire d’un corps commun à tous, où la peau devient parchemin et ses gestes les paroles d’une vie.

Agathe Hoffmann - 12/2006
Jusqu'au 20 janvier 2007.
Galerie Anne de Villepoix, 43 rue de Montmorency Paris 3ème.
Du lundi au samedi de 10h à 19h.