Anna, Amerikan Mummu,un portrait de la photographe Nina Korhonen
Partir, tout quitter pour un pays dont on ne connaît que les images imprimées. Anna a fait ce choix. Elle n’est ni aventurière, ni journaliste, simplement le modèle inattendu de la photographe Nina Korhonen, lauréate finlandaise du " Prix du livre photo de l’année". C’est au Centre Culturel Suédois que le visiteur peut rencontrer cette femme de 80 ans, photographiée au cours de toutes ses activités, intimes, drôles, et truffées de clin d’œil à la vie, qu’elle semble traverser avec distance et insouciance.
Capturées avec respect et tendresse, les images de cette grand-mère détonnent avec ce que le visiteur est habitué à voir. Elles s’immiscent dans l’intérieur américain que s’est forgé cette femme finlandaise qui décida, un beau matin de 1959, de laisser derrière elle son mari et sa fille pour partir à la conquête de l’est des Etats-Unis. Les instants se juxtaposent, jouant de la solitude, de la découverte, et d’un temps las. Anna - qui n’est autre que la véritable grand-mère de la photographe Nina Korhonen - se plaît à fixer l’objectif, comme à l’ignorer dans le soupir d’une sieste. L’humanité est là, résonnant dans chaque cliché. La peau, la langueur du corps et ses marques du temps se calment devant les yeux du visiteur, pour mieux lui sourire par moult pitreries et gestes raisonnés, propre à cet âge où plus rien ne nous surprend. Décomplexée, Anna continue à vivre, offre à son corps la joie des rayons de soleil sur sa peau et propulse les éclats de rire hors de ses rides, comme aurait pu la photographier Nan Goldin ou Diane Arbus.
Le portrait ici dressé est celui de la grand-mère de l’inconscient collectif, celle qui nous prépare affectueusement des confitures, qui nous glisse malicieusement quelques noix dans le fond de la poche, ou celle qui encore nous réveille au petit matin pour nous faire connaître la curieuse sensation de marcher pieds nus dans la rosée fraîche. Mais c’est aussi la représentation d’une femme indépendante qui n’oublie pas ses passions, comme celles de changer de visage pour la fête des morts (Halloween, Lake Worth, 2005), ou que d’aller " shopper " toute de rouge vêtue, dans les rues de Manhattan…
L’humour et l’autodérision baignent la vie de cette femme, tout en côtoyant des images de silence, propices à l’introspection du visiteur. Les murs et objets entourant Anna, qui sont restés les mêmes qu’à son arrivée en 1959. Les carreaux en céramiques à fleurs de la salle de bains dialoguent alors avec les interrupteurs de Formica et les fils électriques encore enroulés de tissu des lampes et des appareils ménagers. Plus loin, une table, seule, où se déploie un jeu de cartes, celles-ci usées, blanchies semblent attendre qu’on vienne les manipuler, les faire claquer. Tout comme les grilles de loto, sagement rangées, qui, peut être, ont été oubliées, elles… Cette exposition photographique, retracée également dans le livre de l’artiste, Anna, Amerikan Mummu, inscrite dans le cadre du Mois de la Photo à Paris, en voisine une autre qui propose les 55 livres nominés depuis la création du " Prix du livre photo de l’année " suédois. Chaque visiteur peut ainsi feuilleter sur leurs pupitres les livres inédits de photographes contemporains, dont le lauréat de cette année n’est autre qu’Anna Caldén, avec son livre Holding . Une excursion urbaine et artistique à partager seul ou accompagné, dans le cadre accueillant et moderne du Centre Culturel Suédois.