Deadpool

Pour ce superhéros hors du commun, il a fallu des effets visuels pas comme les autres. Avec CG breakdowns des studios à l'appui, plus video making-of en fin d'article.

Les fans de superhéros connaissent le caractère unique de Deadpool : insolent, ne respectant rien ni personne, parlant directement au lecteur (et au spectateur dans le film), il apporte un véritable vent de fraîcheur dans un genre désormais trop codifié. Le film Deadpool respecte à merveille cet esprit irrévérencieux et ne ressemble à rien de ce que la galaxie superhéros a pu nous proposer sur grand écran. Un contraste bienvenu au bref passage du personnage dans X-Men Origins: Wolverine qui avait fait bondir les fans.

Pour donner vie à ce personnage, il fallait une approche atypique des effets visuels. Le réalisateur Tim Miller est lui-même un expert de la discipline puisqu’il dirige depuis vingt ans Blur Studios, un studio qui bénéficie d’une bonne réputation et auquel on doit par exemple le générique de Millenium de David Fincher. Son expérience a été essentielle pour mener à bien ce projet qui souffrait d’un budget minuscule dans le genre (le personnage s’en moque d’ailleurs ouvertement dans le film) : à peine 58 millions de dollars, soit le tiers d’un Captain America ou le quart d’un Avengers

Malgré ce handicap, Deadpool comporte pas moins de 1500 plans à effets visuels. Le projet était placé sous la supervision de Jonathan Rothbart, ancien directeur de The Orphanage devenu indépendant après la fermeture de ce studio. Six prestataires se sont partagés les plans : Digital Domain, Atomic Fiction, Weta Digital, Luma Pictures, Rodeo FX et Blur Studios (la société de Tim Miller). La majorité de ces effets concernaient deux personnages principaux : Deadpool et Colossus.

Cascades animées en 3D
Pour le premier, il s’agissait de combiner deux types d’effets visuels bien différents. Tout d’abord, le réalisateur a décidé dès le départ de réaliser toutes les acrobaties extrêmes de Deadpool avec des images de synthèse. “Tim ne voulait aucune cascade dans laquelle l’acteur est soulevé par des câbles, il trouvait que cela avait déjà été trop fait,” explique Rothbart. “Pour avoir un look neuf, il a donc proposé d’animer Deadpool en 3D chaque fois qu’il faisait quelque chose qui sortait de l’ordinaire. Pendant le tournage, on filmait autant de cascades que nous le pouvions, mais dès que ça devenait trop long ou difficile, on filmait le décor vide et on réservait ça pour l’animation 3D.

En postproduction, nous avons organisé une session de motion capture avec les cascadeurs. Là encore, aucun système d’assistance par câbles n’a été utilisé. Tim voulait le mouvement brut, sans artifice. Aussi, nous avons travaillé avec des trampolines, des caisses, etc, tout ce qui nous permettait d’obtenir le mouvement voulu. Notre idée était de réaliser des cascades impossibles en découpant l’action en plusieurs parties : on filmait d’abord l’impulsion au départ du saut, puis l’acrobatie aérienne, puis la réception. Chacune était une motion capture individuelle dans laquelle le cascadeur se concentrait sur cette seule partie de l’action : il pouvait en faire une, mais pas les trois ensemble… Ensuite, un logiciel nous permettait d’assembler les trois animations pour créer un mouvement unique parfaitement fluide et organique – mais absolument impossible à effectuer pour un être normal."

Animer le masque de Deadpool
Les effets de Deadpool ne se limitaient pas aux seules scènes d’action. Le masque en lui-même est un effet visuel permanent – et ça, personne ne le remarque. La caractéristique de Deadpool, c’est qu’il enchaîne vanne sur vanne ; or, le masque empêchait de voir les expressions qui les accompagnaient, ce qui réduisait leur impact. Tim Miller a donc décidé d’animer le masque en postproduction.

“Chaque plan de dialogue ou de réaction de Deadpool a été réalisé en trois étapes,” précise Rothbart. “D’abord, Ryan Reynolds a joué les scènes dans le décor avec le masque. Puis, en postproduction, il a tout rejoué dans un petit studio vidéo où nous avons filmé son visage sans le masque. Ensuite, Weta Digital a décomposé ses expressions dans la vidéo pour les appliquer au masque dans la première prise. Les images de Ryan étaient utilisées pour réaliser un warping du masque original grâce à un rig 3D. C’est donc le vrai masque qu’on voit à l’écran, manipulé par distorsion. Ce qu’on a fait, c’est simplement faire apparaître les expressions du personnage qu’on ne voyait plus au travers du masque. Par contre, le warping modifiait les spéculaires originales, ce qui finissait par se sentir et par briser l’illusion. Nous avons donc créé des spéculaires basées sur l’animation en effectuant un rendu 3D de l’animation. Pour le reste, il s’agit uniquement de l’image originale.”

Un Colossus purement virtuel
L’autre personnage clé pour les effets visuels, c’était Colossus, un géant de 2,30 mètres dont la peau est une armure en métal réfléchissant. Issu de la galaxie X-Men, le mutant a été réalisé uniquement en animation 3D. Les images de synthèse constituaient en effet le seul moyen de le visualiser avec une taille et une masse correspondantes au souhait du réalisateur.

“Sur le plateau, le personnage était représenté par un cascadeur de 2,05 mètres,” raconte Rothbart. “Pour le placer à la bonne hauteur, il portait des semelles compensées ou bien tournait la scène avec des chaussures normales et nous ajoutions une balle de tennis à 20 cm au-dessus de sa tête grâce à un casque – c’est là que ses partenaires devaient regarder.

Les plans avec Colossus nécessitaient deux prises : une avec l’interprète et les acteurs, et l’autre sans lui, mais avec ses partenaires qui simulaient sa présence. Il portait une tenue grise de motion capture.

Au montage, on analysait les deux prises et on choisissait celle qui fonctionnait le mieux. Si c’était la première, il fallait bien sûr effacer l’interprète de l’image. C’est cette version qu’on utilisait systématiquement pour les scènes d’interaction physique, lorsque Colossus était en contact avec un autre personnage.

Une fois qu’on avait filmé le personnage sur le plateau, il fallait aussi filmer l’environnement depuis sa position – car tout devait se refléter sur son corps. Nous devions donc enregistrer le décor pour pouvoir ensuite le re-projeter – avec les déformations et filtres adéquats – sur la surface métallique. Même Ryan Reynolds a été filmé séparément en train de tourner autour de lui pour obtenir son reflet.”

L’acteur sur le plateau n’était là que pour la présence physique de Colossus, il n’a pas été utilisé pour l’animation du personnage. Sa tenue de motion capture n’a servi que de référence pour les mouvements. La vraie animation, c’est un autre cascadeur qui s’en est chargé. Il était plus petit que le premier, mais nettement plus athlétique pour les scènes de combat. Il a été filmé en motion capture chez Digital Domain en train de jouer les mêmes scènes, puis ses mouvements ont été agrandis à la taille de Colossus pour guider l’animation. Un troisième acteur a été filmé en performance capture faciale pour l’animation du visage, et un quatrième (!) a enregistré la voix du personnage…

Final à grand spectacle

La séquence finale se déroule autour d’un porte-avions désaffecté en cours de démantèlement. Un décor qui devait au départ être un clin d’œil à l’héliporteur des Avengers… avant que les avocats de Marvel (qui ne produit pas le film) n’y mettent le holà. À chacun ses superhéros…

La séquence met en scène deux combats simultanés, l’un au pied du porte-avions et l’autre sur le pont. “Digital Domain a créé le décor en 3D pour pouvoir animer sa destruction dans la partie finale de la séquence. Cet effet résulte de la combinaison de très nombreuses simulations dynamiques sur le métal qui se tord, les objets qui glissent et rebondissent, le pont qui s’incline, etc. C’était très complexe à réaliser, surtout avec notre budget très limité.”

Ces problèmes de budget n’ont pas empêché Deadpool de réussir le plus gros démarrage de tous les temps pour un film déconseillé aux mineurs. Le pari de la 20th Century Fox de briser le côté bien propre des superhéros Marvel avec des flots d’hémoglobine, des vannes obscènes, et des femmes en petite tenue aura donc payé. Une suite est d’ores et déjà inévitable. D’ailleurs, Deadpool lui-même l’annonce à la fin du film, après le générique et les crédits !

Alain BIELIK, février 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 24 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.