Delacave : les 4 vérités de Pascal Hérold

Au-delà de son studio Delacave, Pascal Hérold nous livre sa vision de son métier et de l'industrie du film en général.

 

Produire un film
« La réalisation d’un film d’animation s’échelonne sur trois années. L’écriture qui implique un réalisateur et des auteurs, et en même temps, la création du monde autour de l’histoire, ce qui permet des échanges passionnants entre les deux démarches, le travail sur le texte et la recherche d’images.
En parallèle, travaille une équipe de 10/15 personnes dans un département de Recherche et Développement pour mettre au point les meilleurs outils. Le design se poursuit pendant un an et ensuite il y a deux années de production. Une fois la direction artistique choisie, l’univers créé, les dialogues écrits et les voix enregistrées, il ne reste plus que quelques dizaines de milliers d’heures de travail. La dernière année est consacrée à l’animation et au compositing. Le studio prend le risque de fabrication dès le départ et pendant les huit premiers mois le studio fonctionne sans aide en supportant un risque économique de l’ordre du million d’euros. » 

Le recrutement des équipes
« Tout d’abord, nous avons fidélisé des jeunes que nous avons recrutés à leur sortie des grandes écoles (Les Gobelins, Supinfocom, etc…). Cela dit, ce mode de recrutement n’est pas le seul utilisé. Je ne pense pas que les écoles nuisent au talent. D’ailleurs sur ce point, nous sommes en France bénis des dieux. Mais, il ne faut s’embarrasser d’aucun a priori. Personnellement, j’aime bien les gens atypiques : c’est l’essence de ma vie. Pour le Chat Botté, nous avons fait réaliser l’essentiel des têtes du personnage par un garçon que je n’ai jamais vu, ni rencontré. En passant des nuits et des nuits sur Internet, je suis tout à coup tombé sur un type qui dessinait des têtes incroyables et avec lequel nous avons travaillé à distance.
Sur les сinq dessinateurs qui travaillent aujourd’hui sur Cendrillon, il y a un garçon qui a un talent fou et qui, une partie de l’année est maçon, un autre est complètement autodidacte, et mon directeur artistique Stéphane Daegelen est diplômé des Arts Décoratifs. Donc il ne faut pas avoir une vision exclusive ni dans un sens ni dans l’autre. Il peut y avoir des talents partout.
Sur la question de l’expérience professionnelle des équipes, j’ai poussé le bouchon un peu loin pour Le Chat Botté. La moitié des collaborateurs du film n’avaient jamais travaillé avant de commencer ce film et sortaient d’une école. Cette proportion est trop forte, je le reconnais aujourd’hui. C’était un peu difficile de ne pas pouvoir se reposer sur des talents maîtrisés mais en même temps, parmi ces jeunes, nous avions avec nous dix talents exceptionnels et avec lesquels je souhaite absolument continuer. »

Le bon mental
« Il y a énormément de talent, de qualités et d’ambition chez les jeunes mais ce qui fait la différence c’est le bon mental. C’est-à-dire des valeurs comme le respect de l’autre. Dans une aventure aussi folle que celle qui consiste à faire un film d’animation, ce qui représente des centaines de milliers d’heures de travail, bien évidemment tout ne va pas se dérouler comme sur des roulettes. Il y aura sans arrêt des imprévus, des soucis, des problèmes parce que nous employons des techniques innovantes. Pour Cendrillon comme pour le Chat Botté, nous réalisons un film en images de synthèse, au moyen d’un moteur de jeu vidéo et en relief. Autant dire que sur le plan technique nous sommes confrontés à une série de problèmes à résoudre. Le comportement humain devient essentiel. Face au problème, soit on râle, on s’arrête et on perd son temps, soit on essaye vraiment de se battre et d’aider les techniciens. Il est important de montrer une certaine maturité psychologique dans son travail et c’est cette attitude qui fait la différence. »

L’organisation du travail
« Une chose est absolument certaine : vous ne pouvez pas avoir le même modèle d’organisation pour tous les corps de métiers dans un film. On ne gère pas du tout des designers de la même manière que des animateurs ou des « mappeurs ». Par exemple pour le groupe des animateurs qui représente une « grosse machine », vous avez besoin d’une organisation avec des horaires relativement fixes. Par contre les compositeurs, qui interviennent à la toute fin du process, constituent une famille d’artistes qui ont besoin de plus de liberté. Vous avez des gens qui arrivent à deux heures de l’après midi et qui partent à trois heures du matin. Si la personne fait du bon boulot, cela ne nous dérange pas. Le secret est d’organiser le travail tous ensemble et de laisser quand même une grande marge personnelle aux gens de haut niveau. 
Quand on fait de l’animation, qui est la phase la plus onéreuse et la plus longue à organiser, nous sommes obligés de mettre en place des quotas de production par personne. On répartit le travail en allouant à chacun, suivant la difficulté, un temps de production et on le laisse assez libre tout en organisant des étapes clefs. »

Pas de motion capture mais de l’animation manuelle keyframe
« Nous ne faisons pas de motion capture, qui pour moi est une régression terrible. Il y a 70 ans, Walt Disney a inventé la pose-clef. Au cours d’une fameuse nuit, il a mis à la poubelle des milliers de dessins. A l’époque il faisait de la rotoscopie et il s’est aperçu que cela n’avait aucun intérêt. Par contre, ce qui est très intéressant c’est la vision qu’un animateur donne de la réalité. Et puis, ce que j’adore dans la peinture, le dessin ou l’animation, c’est l’accident qui est un moment privilégié dans la création. Dans la motion capture, il n’y a pas d’accident, c’est juste la réalité.
Nous utilisons une autre méthode. Concrètement, nous faisons répéter les comédiens et on les filme avec des caméras DV. Ensuite, on enregistre les voix des comédiens pour fabriquer la bande son. Sur cette bande-son, nous réalisons un montage image à partir des rushes des répétitions filmées avec les comédiens, mais sans souci de raccord ou de valeur de cadre. Il s’agit simplement de proposer aux animateurs une référence des intentions de jeu pour tous les personnages. Et ensuite l’animateur va réaliser les mouvements en s’inspirant de tel ou tel geste du comédien. C’est « La » méthode du studio que je trouve absolument passionnante. C’est vrai que c’est très ambitieux de donner cette méthode à des juniors, les seniors sont plus à l’aise. » 

L’enjeu du relief
« L’avantage pour les spectateurs, c’est bien sûr la possibilité de beaucoup mieux s’immerger dans le film. L’aspect passionnant pour le réalisateur est de trouver une véritable écriture pour le relief qui ne se résume pas pour le spectateur à recevoir sur la tête des rochers ou des javelots. En termes de mise en scène, l’apport du relief dans la création des décors est très intéressant. Cela conduit à travailler beaucoup sur la profondeur de champ. Et là nous retrouvons notre technique. Ayant développé la solution hardware  Fantasmagorix pour une meilleure réactivité, nous constatons aujourd’hui que c’est l’outil absolu pour fabriquer du film en relief, technique qui demande 5 à 6 fois plus de calculs (image stéréo et plusieurs paramètres d’écartement et de convergence des caméras). S’il faut déjà 5 heures pour calculer une séquence et qu’on multiplie par 5 on arrive à des délais très lourds. Alors qu’avec notre système, même avec un facteur 5, on reste à quelques minutes. Pour être franc, cette utilisation n’était pas prévue au départ, mais il se trouve qu’elle est particulièrement bien adaptée à notre outil.
Le relief est un atout de production. Il se peut que cela ne soit qu’une mode passagère : l’avenir nous le dira, mais je ne le pense pas. Par contre, le vrai risque c’est que si nous n’investissons pas dans le relief, nous allons nous faire laminer par les Américains qui eux ne se posent pas la question. Il y a un risque d’être marginalisé. Avec mon associé, nous allons lancer trois productions en relief : « Cendrillon » et deux films live avec beaucoup de décors 3D dans lesquels on fera jouer les comédiens. C’est une aventure cinéma et images absolument passionnante. Aujourd’hui, je trouve que je vis la période la plus passionnante de ma vie avec la technologie du relief qui devient mature. »