Harry Potter et les reliques de la mort - 2ème partie

C’en est fini pour Harry Potter et ses aventures au cinéma. Présenté en relief 3D, cet ultime opus devrait battre tous les records de recettes de la saga. Il détient déjà le record du plus grand nombre de plans à effets visuels de la série. Plus de dix prestataires ont été mobilisés pour créer la « magie » de cette dernière aventure.

Pour l’équipe technique, ce dernier Harry Potter aura été le film de tous les défis. Il a fallu jongler avec l’organisation d’un tournage de près d’un an et demi qui couvrait deux films à la fois, tout en gérant la sortie du sixième épisode de la saga. L’équipe a dû également apprendre à travailler avec le relief 3D, une première pour la série. Par ailleurs, la dernière partie du film est une bataille rangée qui voit les effets se succéder sans temps mort pendant trente minutes. Enfin, avec plus de 1800 plans à effets visuels, cet ultime opus comporte presque autant d’effets que les trois premiers films réunis !

Autant dire que Tim Burke, superviseur général des effets visuels, a vécu quelques mois très intenses. Présent sur la saga depuis le second épisode, il a vu le nombre de plans augmenter de film en film, et les effets devenir de plus en plus complexes. Alors que dans le premier opus, les créatures animées en 3D se comptaient sur les doigts des deux mains, cette fois, elles sont présentes à l’écran durant une bonne partie du film. Sans oublier Voldemort qui est un effet visuel à lui seul : dans chaque plan, le nez de Ralph Fiennes a été effacé, puis remplacé par des narines 3D calées à la perfection sur le visage de l’acteur. Un effet qui devait apparaître en très gros plan et subir cette fois le test du relief 3D. Ce n’était là qu’un seul des multiples défis relevés par Burke et ses différentes équipes.

Pixelcreation : Comment se sont déroulés les derniers mois de postproduction sur le film ?
Tim Burke : On peut dire que les dernières semaines ont été très difficiles. Pendant quatre mois, on a travaillé douze heures par jour, sept jours par semaine… En fait, dans ce genre de situation, le plus dur, c’est le début, quand les horaires commencent à s’allonger. Ensuite, ça devient normal. Quand on travaille tous les jours douze heures d’affilée, on prend le rythme et ça devient supportable. Ce sont les variations qui sont plus difficiles à vivre.

Pixelcreation : Les deux films de Harry Potter 7 ont été tournés en même temps. Comment cela s’est-il passé à votre niveau ?
Tim Burke : En fait, nous avons toujours traité ce projet comme s’il s’agissait d’un seul film. Il faut savoir que les scènes ont été tournées dans le désordre, celles de la deuxième partie étant mélangées à celles de la première partie. Dans l’idéal, il aurait été préférable de finir le premier film avant de tourner le second, mais c’était impossible. Il fallait s’adapter aux disponibilités des différents acteurs : quand untel ou untel était disponible, on tournait toutes ses scènes d’un coup, celles du premier film comme du second. La logistique était réellement complexe car, en même temps qu’on préparait ce double tournage, on devait aussi boucler Harry Potter 6 ! Il est sorti en juillet 2009, et le tournage de Harry Potter 7 devait démarrer en octobre. On avait donc trois films à gérer en parallèle. C’était un vrai cauchemar logistique. Il fallait constamment savoir qui faisait quoi sur lequel des trois films…

Pixelcreation : Comment avez-vous abordé ce dernier Harry Potter ?
Tim Burke : Dès l’été 2009, on a commencé à travailler sur ce qui allait être le grand morceau de bravoure, à savoir la bataille finale. Nous savions que cette longue séquence de trente minutes allait regrouper tous les défis possibles et imaginables : des simulations de foules, des dizaines de créatures animées en 3D – plus qu’on en avait jamais eues dans toute la saga, des centaines d’explosions et des destructions sur Poudlard, l’école elle-même et son environnement… Pendant neuf mois, nous avons prévisualisé la séquence en détail. Il fallait être très précis car cette animation devait être utilisée pour un prémontage de la dernière partie du film. Le but était de « caler » la séquence plan par plan avec le plus de précision possible. Une fois le prémontage finalisé, nous avons pu déterminer ce qu’il fallait tourner en direct, comment filmer les acteurs, mais aussi quelle partie des décors 3D allait nécessiter le plus de travail.

Pixelcreation : Car, cette fois, Poudlard a été entièrement reconstitué en 3D
Tim Burke : Oui, c’est Double Negative qui a relevé le défi. Dans les six films précédents, l’école avait été représentée par une énorme maquette, mais cette technique ne pouvait pas fonctionner pour ce dernier film. Le réalisateur David Yates voulait voir la caméra tourner autour des bâtiments, entrer dans une pièce, en ressortir, etc. Il souhaitait également avoir la possibilité d’ajouter ou de modifier des plans à la dernière minute – un luxe qu’on ne peut pas se permettre avec les effets miniatures.

L’équipe de Double Negative a donc commencé à travailler sur le projet en 2008. La maquette était si complexe qu’ils ont mis un an et demi à tout modéliser et à texturer. Un projet de très longue haleine. D’abord, ils ont mesuré et scanné chaque élément, puis photographié les différentes surfaces pour obtenir les textures. Cette banque d’images a ensuite été complétée par des photographies de vrais châteaux en Écosse. On savait que la caméra allait passer très près des murs et des fenêtres, et il fallait que les textures tiennent le coup. À la fin, le modèle était véritablement gigantesque en termes de masse de données.

Pixelcreation : Justement, comment Double Negative a-t-il géré cette quantité de données ?
Tim Burke : Ce problème représentait la moitié du défi pour eux, l'autre étant : comment faire en sorte que chaque plan de Poudlard ne prenne pas trois semaines au rendu ? C’est là que notre prévisualisation s’est avérée cruciale. Double Negative s’est basé sur les plans que nous avons préparés pour déterminer les parties du décor qu’il fallait le plus texturer, celles où des textures intermédiaires pouvaient suffire, et enfin, les endroits qui n’allaient pas être visibles à l’image. Ceux-là n’ont pas été texturés du tout, ce qui s’est traduit par des dizaines de murs, de parois et de surfaces qui sont restés à l’état brut, comme la face cachée d’un décor de studio. En optimisant ainsi le modèle de Poudlard, l’équipe a pu obtenir des temps de rendu raisonnables. C’est une technique qu’ils ont mise au point pour la séquence d’ouverture du sixième film : on y voyait la caméra survoler une grande partie de Londres. Tout l’environnement avait été reconstitué en 3D et il avait fallu effectuer un travail considérable d’optimisation des textures pour que cet immense décor ne devienne pas ingérable. Ils avaient beaucoup appris avec ce projet, mais aussi avec leur travail sur d’autres environnements urbains pour des films comme les Batman ou World Trade Center. Leurs outils sont parfaitement au point. Ils sont vraiment les grands spécialistes en la matière aujourd’hui.

Pixelcreation : Est-ce que Double Negative a réalisé toute la bataille finale ?
Tim Burke : Non, ils se sont chargés de créer Poudlard, ainsi que tous les effets liés à la bataille qui se déroule à l’intérieur de l’enceinte et des bâtiments. Les plans de bataille extérieurs ont été créés par MPC, avec quelques plans traités par Rising Sun Pictures. Les autres prestataires du film ont été Framestore, Cinesite, Tippett Studio, Baseblack, Lola, Gradient, et Union.

Pixelcreation : Si plusieurs prestataires travaillaient sur la séquence de Poudlard, chacun d’eux recréait-il le site de son côté ?
Tim Burke : Non, Double Negative s’en est chargé pour tout le monde. Nous avons mis au point un système de création des plans par couche : on partait de l’environnement pour arriver aux personnages et aux autres effets. Double Negative a donc généré le décor dans toutes les scènes de Poudlard, puis ils ont livré les plans sous forme de composites finalisés, accompagnés de toutes les données d’éclairage. Le prestataire suivant ajoutait ses propres effets dans ces plans, puis transmettait éventuellement le résultat à un autre. On est allé jusqu’à trois intervenants sur un même plan, par exemple, lorsque la caméra survole la bataille à l’extérieur, pénètre dans un bâtiment pour révéler d’autres combats, avant de ressortir par une autre ouverture… À la fin, le pipeline fonctionnait tellement bien qu’on a pu ajouter un nouveau plan entièrement numérique à quatre semaines seulement du bouclage.

Pixelcreation : Le pont en bois de Poudlard avait été créé à l’aide d’une maquette pour le troisième film. Est-ce que vous avez réutilisé cette maquette pour la destruction de l’édifice ?
Tim Burke : Non, une fois encore, Double Negative a tout reconstitué en 3D. La maquette avait été conçue pour des plans larges, elle n’avait pas le niveau de détail suffisant pour être détruite de manière réaliste. Il aurait fallu entièrement la reconstruire à une échelle plus précise. Nous avons opté pour une approche 100% numérique avec une géométrie que Double Negative a fait éclater à l’aide de simulations dynamiques. La destruction de Poudlard a fait également intervenir des dizaines de simulations de corps rigides, mais aussi des simulations de fluides pour la créature de feu, une sorte de vague de flammes géantes qui se déverse dans les couloirs de Poudlard.

Pixelcreation : Comment ce feu a-t-il été créé ?
Tim Burke : La simulation n’était pas le plus difficile, loin de là. C’est l’animation qui nous a posé le plus de problèmes, notamment les plans où l’on voit les flammes rebondir contre un mur et chacun de ces rebonds donne naissance à un animal constitué de flammes : un lion, un dragon, etc. La grande difficulté était de montrer une créature faite de flammes, et non pas un animal en feu. La différence était subtile. L’effet a été réalisé en animant chaque créature, puis en obligeant la simulation de flammes à se plier à ses mouvements. C’est donc l’animation qui guidait la simulation, et non l’inverse.

Pixelcreation 
: Parlez-nous de l’armée de Voldemort
Tim Burke : C’est un mélange de techniques. Dans certains plans, ce sont 50 figurants que nous avons multipliés par clonage numérique. Dans d’autres, MPC a créé l’armée entière par simulation de foules à l’aide de leur logiciel dédié, Alice.
Pour ce qui est des statues de pierre, nous avons utilisé l’animation par key frame. La motion capture était exclue car elle aurait produit une animation trop organique. Or, nous voulions un look un peu mécanique. Nous avons simplement filmé des acteurs en armure à titre de référence pour l’animation.

Pixelcreation : Quel est votre sentiment maintenant que la saga est terminée ?
Tim Burke : Déjà, le soulagement que nous ayons réussi à finir le film dans les temps, ce qui n’était pas gagné ! Et puis, bien sûr, une vraie tristesse. J’ai passé dix ans à travailler sur ces films, avec les mêmes personnes la plupart du temps. Alors, cela va causer un vide immense dans ma vie. J’en ai eu un aperçu pendant la postproduction. Au fil des semaines, j’ai vu les départements fermer les uns après les autres, les gens partir, faire leurs adieux. À la fin, il ne restait quasiment plus que moi ! C’était un sentiment vraiment étrange, comme si Harry Potter s’était éloigné de moi petit bout par petit bout…

Alain Bielik, juillet 2011
(commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.