Promenons-nous dans les bois
Les contes de fées les plus célèbres réunis au sein d’un film musical avec des effets visuels discrets, en appui de l’histoire.
Les contes de fées, tout le monde connaît : Le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, Jack et le haricot magique, Raiponce… Dans Into The Woods, ils sont imbriqués les uns dans les autres par la grâce d’un scénario astucieux qui s’amuse à démonter leurs mécanismes… et à inventer une nouvelle morale à ces histoires. Inconnue chez nous, l’œuvre originale est un classique de Broadway et de la scène londonienne depuis 1987. Un « musical » dans la plus pure tradition du genre conçu par un maître en la matière, Stephen Sondheim, assisté pour le livret par James Lapine. Lequel a lui-même adapté l’histoire en scénario pour ce film.
Avec un tel sujet, on aurait pu s’attendre à une débauche d’effets visuels en tous genres pour la version cinéma. De Maléfique à Blanche Neige et le Chasseur en passant par Alice au Pays des Merveilles ou Jack le chasseur de géants, les derniers contes de fées adaptés au cinéma ont largement misé sur le spectaculaire pour attirer les spectateurs dans les salles.
Rien de tout ça avec Into The Woods. Le réalisateur Rob Marshall a choisi une approche diamétralement opposée pour préserver le style comédie musicale: “Nous avons décidé en amont d’éviter au maximum les fonds verts. C’est vraiment difficile pour les acteurs de s’imaginer dans un monde aussi particulier que celui-ci s’ils ne peuvent pas le visualiser. La majorité des décors a donc été constituée d’éléments tangibles et concrets.”
Une production Disney… sans le style Disney
De fait, le design est réaliste, les décors crédibles, les costumes ancrés dans le quotidien. L’équipe s’est inspirée des travaux de l’illustrateur anglais Arthur Rackham afin de créer un monde combinant rêve et réalité à l’ambiance empreinte de surréalisme. Ici, pas de château fantaisie façon conte de fées, mais une forteresse bien réelle simplement augmentée de tours supplémentaires par ordinateur. Pas de poussière magique, ni d’animaux parlants, ni de personnages animés en 3D, et encore moins de créature fantasmagorique.
Ainsi, le Loup du Petit Chaperon Rouge est un Johnny Depp sobrement maquillé de façon à évoquer un loup, pas pour y ressembler. L’esprit est franchement « Frères Grimm » bien plus que « Disney » – même si c’est le studio de Mickey qui produit le film…
Pour autant, les différents studios d’effets visuels ont eu fort à faire afin que les plans s’intègrent dans le style général du film. Superviseur du projet, Matt Johnson a remporté l’Oscar en 2007 pour À la Croisée des Mondes. Pour les VFX, il s’est appuyé sur le studio britannique The Moving Picture Company (MPC), en particulier pour les quatre scènes principales à effets : le haricot géant qui germe jusqu’au ciel ; la vieille robe de Cendrillon qui se transforme en toilette de bal ; une femme géante de 18 mètres de haut qui traverse la forêt ; une tornade qui accompagne la Sorcière lors de ses apparitions.
À cela s’ajoutent de nombreux environnements et extensions de décors, comme le château-fort, la tour de Raiponce, le village médiéval… À chaque fois, l’équipe part d’un site existant ou construit partiellement, puis ajoute des éléments numériques pour modifier son aspect. Ainsi, la tour de Raiponce est constituée de deux décors distincts : la base et le sommet. Les deux sont reliés à l’image par une extension numérique, puis intégrés dans un environnement virtuel. La chevelure interminable de la jeune fille est alors animée en simulation dynamique.
Dans la seconde partie du film, l’action se déroule presque intégralement dans la forêt qui donne son titre au film. L’équipe a tourné dans plusieurs forêts très anciennes d’Angleterre, mais la majeure partie de l’action a été filmée en studio, dans un immense décor qui occupait entièrement l’un des plus grands plateaux de tournage du Royaume-Uni. Chaque fois que le plafond du studio apparaissait dans le cadre, il a été remplacé par une extension numérique des arbres, à laquelle s’ajoute le ciel.
Les géants
Pour la scène avec la femme géante, la forêt a été reconstituée sous la forme d’un décor miniature adapté à la taille de l’interprète. Dès le départ, Rob Marshall a rejeté l’idée d’un personnage animé en 3D, solution choisie pour un film comme Jack Le chasseur de géants. Cette approche full 3D ne correspondait pas à l’esprit du film. En revanche, l’idée de recourir à une bonne vieille miniature semblait beaucoup plus appropriée. Un énorme décor de forêt miniature de 15 mètres de côté a donc été fabriqué par l’équipe qui avait construit la maquette de Poudlard pour les Harry Potter. L’actrice a été filmée au ralenti en train de pousser les arbres miniatures sur son passage. En post-production, l’illusion a été renforcée par des interventions numériques subtiles et variées : l’impact des pieds sur le sol a été accentué, des centaines de feuilles ont été animées pour tomber des arbres au passage de la Géante, et enfin, des oiseaux ont été ajoutés dans les plans, avec leur ombre méticuleusement intégrée sur les arbres. Par leur seule présence, les volatiles renforcent considérablement le réalisme de la scène.
Pour le haricot géant qui monte jusqu’au ciel, pas de miniature, mais une animation 3D très élaborée pour la croissance accélérée, suivie par différents matte-paintings du végétal en situation. Chez MPC, la séquence présentait un caractère particulier puisque le studio britannique avait réalisé exactement le même effet il y a deux ans pour Jack Le Chasseur de géants ! Il s’agissait donc de partir des mêmes bases pour créer une animation qui paraisse au final différente. Personne ne voulait revoir la même scène à l’écran. La technique utilisée a été la même : des simulations dynamiques pour déformer le sol, et des tiges animées en key frame. Le haricot géant reproduit à l’identique le style du décor partiel qui avait été construit en studio, même si au final, ce dernier a été remplacé par la version numérique.
Sorcellerie numérique
Les effets liés aux personnages humains présentaient des défis très différents. Ainsi, la transformation miraculeuse de la robe de Cendrillon en tenue de soirée s’est avérée particulièrement compliquée à réaliser. Le plan a été assemblé à partir de trois prises de vues différentes. Toutes les trois ont été tournées à l’aide d’une caméra reliée à un système de motion control, ce qui a permis d’avoir à chaque fois le même mouvement de caméra. Dans la première prise, l’actrice Anna Kendrick jouait la scène avec sa tenue de souillon devant un fond bleu. Dans la seconde, elle répétait les mêmes mouvements, toujours sur fond bleu, mais cette fois avec sa robe de bal. Pour que la transition entre les deux prises puisse fonctionner, il fallait que la comédienne réussisse à reproduire à l’identique ses moindres gestes au même moment. Plusieurs prises ont été tournées afin d’offrir aux graphistes une variété d’options. Ensuite, les deux meilleures prises A et B ont été synchronisées, puis une transition a été réalisée pour passer d’une robe à l’autre. Enfin, l’actrice a été intégrée dans la prise de vue du décor.
Rien d’aussi compliqué n’a été nécessaire pour assurer les spectaculaires apparitions et disparitions de la Sorcière (Meryl Streep). L’idée était que le personnage arrive ou quitte la scène sous la forme d’une mini tornade. L’effet a été réalisé à partir d’une simulation de particules basée sur l’environnement de la scène. Lorsque la sorcière surgit dans la maison du boulanger, son apparition provoque une tornade de farine, mais lorsqu’elle jaillit dans la forêt, ce sont des centaines de feuilles qui tournent autour d’elle. Cette astuce permettait de mieux intégrer le personnage dans son environnement. Une fois que la tornade avait cessé, l’effet le plus spécial du film entrait en scène, à savoir Meryl Streep en personne. La célèbre comédienne n’a eu besoin d’aucune retouche numérique pour voler la vedette dans chaque scène où elle apparaît : sa prestation lui a valu une 19e nomination à l’Oscar !
ALAIN BIELIK, janvier 2015
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.