La Jeune Fille sans mains

Peu de moyens, mais un graphisme époustouflant :  Sébastien Laudenbach nous livre une très belle adaptation d’un conte de Grimm.

Voilà un « Objet Animé Non Identifié » qui détonne dans le paysage plutôt formaté de l’animation de conte de fées. Car pour son premier long métrage, le réalisateur Sébastien Laudenbach n’a pas choisi la facilité : tel Bill Plympton, il a peint lui-même sur papier les plans du film, du premier au dernier dans l’ordre chronologique, d’une façon plus ou moins improvisée « ainsi que le ferait un jazzman sur un canevas » précise-t-il. Certes, Sébastien Laudenbach n’est pas un débutant; diplômé de l’ENSAD où il est maintenant enseignant en animation, il a réalisé entretemps plusieurs courts métrages plus des génériques et séquences d’animation pour d’autres films.

Séduit par l’adaptation théâtrale d’Olivier Py de ce contre cruel des Frères Grimm sur une fille de meunier vendue au Diable et qui perd ses mains en le combattant, Sébastien Laudenbach cherchait depuis des années à l’adapter en animation avant de partir sur une piste différente : « Après avoir dû abandonner la perspective d’une production classique, faute de financement (ndlr : le budget envisagé était de 3 à 4 millions d’euros), le texte du conte de Grimm ne m’a jamais quitté. Aussi j’ai profité d’une résidence d’artistes pour me lancer seul dans une fabrication inédite pour un film d’une telle durée en utilisant un synoptique d’une dizaine de minutes que j’avais déjà réalisé ». Ce qui s’appelle avoir de la persévérance : au bout d’un an de résidence, à raison de 10 à 15 secondes d’animation par jour (contre 2 à 3 pour un animateur normal), il a réalisé 40 minutes de film. Il faudra encore deux ans pour tout finaliser et présenter La Jeune Fille sans mains au festival de Cannes 2016.

Les choix visuels du film découlent de la pauvreté des moyens (travail solitaire et temps limité): « La solution d’économie souvent adoptée par l’industrie est de réduire l’animation. J’ai choisi au contraire d’épurer le graphisme, avec des silhouettes de couleur, sans transiger sur l’animation. Et les spectateurs comblent très facilement les formes inachevées du dessin, ce qui est pour moi l’essence de l’animation, en réalité !» L’esthétique de La jeune Fille sans mains, qu’on pourrait croire asiatique par son côté épuré, référence néanmoins l’architecture et les paysages italiens cadre de sa résidence. « Certains quartiers de Rome, par exemple, ont inspiré la villa en or construite par le meunier. Les dessins du film sont aussi peuplés d’arbres méditerranéens, de pins parasols... Pour les couleurs, j’ai été influencé par des peintres. On me parle souvent de Matisse, mais je citerais plutôt Bonnard ou Maurice Denis, que j’aime beaucoup. »

Le résultat est d’une poésie rarement vue sur écran. N’y emmenez pas vos enfants en-dessous de 10 ans, histoire et rythme de l’animation risquent plutôt de les rebuter, mais pour le reste laissez-vous séduire par tant de beauté concentrée en si peu de traits !

Clémentine Gaspard, décembre 2016