Le Chat du Rabbin

Joann Sfar a adapté lui-même sa célèbre BD en film d’animation : le résultat est-il à la hauteur ?

On l’attend depuis longtemps, le retard de sortie dû à la fabrication relief (eh oui, le film est en relief) a nourri les rumeurs, la BD si célébrée résisterait-elle à l’adaptation filmique … Rassurons les fans de suite : l’esprit et la qualité de dessin de la BD se retrouvent dans le film, les couleurs et  textures sont somptueuses, et  l’animation de qualité. Un bémol cependant sur le choix scénaristique de Joann Sfar qui privilégie le message anticolonialiste et antiraciste: « Soit on décidait de n’adapter que le premier tome de la BD, ce qui revenait à réaliser la chronique tendre d’une famille juive à Alger. Soit on assumait le fait que Le Chat du Rabbin ne parle pas spécifiquement des Juifs, mais d’un chat qui fait face à la religiosité et au colonialisme, et l’on exploitait plusieurs volumes de la série. C’est le choix que nous avons fait : traverser toute l’Afrique pour reprendre la route de l’imaginaire colonial et raconter l’universalité de la bêtise humaine. Chaque personnage, quelle que soit sa communauté ou sa religion, fait preuve à sa façon de racisme ou d’étroitesse d’esprit. Chacun en prend pour son grade ! » Un peu dommage quand même. La BD, le premier tome en particulier, privilégient cette « comédie humaine » dans la société juive à Alger, à la fois si typée  et si universelle. Le film et son histoire perdent en finesse et en cohérence avec ce  message plus politiquement correct.

Nous avons profité de l’exposition de dessins du film à la galerie Arludik pour aller plus loin sur cette aventure avec Joann Sfar et son coréalisateur Antoine Delesvaux:

Pixelcreation : Vous avez réalisé un film live Gainsbourg (Vie Héroïque) sorti en 2010, et maintenant un long métrage d’animation. Lequel est le plus près de votre métier de base, la BD ?
Joann Sfar : Le film live sans aucun doute ! Le tournage d’un film live est spontané, comme la BD, contrairement au temps long de l’animation. Un animateur réalise une seconde et demie par jour de film, il faut un temps fou pour obtenir un résultat tangible en animation. Heureusement qu’Antoine était là pour tempérer mon impatience ! Par ailleurs, le dessin aussi se fait de façon différente : en BD, on se concentre sur les personnages, leur structure, alors que l’animation se centre sur le mouvement.

Pixelcreation : Quels choix avez-vous fait en adaptant la BD ?
Joann Sfar : Adapter l’histoire de la BD  était délicat : il n’y pas vraiment d’histoire, surtout des discussions et pas mal d’anticléricalisme. Et le film doit être visible par ceux qui ne la connaissent pas sans que les fans se sentent trahis… C’est pour cela que j’ai choisi de puiser dans plusieurs albums de Le Chat du Rabbin.
Antoine Delesvaux : Le dessin aussi a été adapté : moins de traits, et plus d’aplats. Il fallait retrouver le principe de « ligne claire » cher à Disney pour faciliter l’animation. Par contre, il y a plus de textures géométriques et stylisées pour les décors grâce aux outils logiciels.

Pixelcreation : Vous avez monté votre propre studio pour fabriquer ce film.
Joann Sfar : Oui, Banjo Studio qui est basé à Paris. Nous avons recruté une soixantaine d’animateurs venus d’horizons différents. Vu la diversité de talents, il a fallu accepter que certains (les deux tiers en fait) travaillent au crayon d’abord et les autres directement à la palette graphique

Pixelcreation : Quel « pipeline » de production avez-vous mis en place ?
Joann Sfar Le Chat du Rabbin a été entièrement fait à Banjo Studio sauf le remplissage couleur que nous avons sous-traité en Chine. Moi-même, je me suis concentré sur le storyboard et le design de personnages. Après, un groupe d’animateurs a dessiné les personnages et un autre les décors. Pour l’animation, nous avons commencé par faire un tournage de 3 semaines avec les comédiens, tournage qui a servi de référence aux animateurs pendant leurs 3 ans de travail. Je voulais une animation fluide, alors que la plupart du temps, les dessins animés font évoluer les femmes par exemple comme la fiancée de Roger Rabbit ! Moi, je voulais que Zlabya marche normalement, j’ai donc demandé à l’actrice Hafsia Herzi de bouger sous les yeux des animateurs et je leur ai interdit de céder à la tentation Tex Avery !
Antoine Delesvaux : Les dessins au trait ont été scannés et les décors modélisés  dans le logiciel Maya. Les éléments ont été importés ensuite dans Nuke pour le compositing, avec un plugin spécial développé par nous-mêmes pour le relief stéréoscopique. Le rendu final a été fait dans Renderman.

Pixelcreation : Quelques chiffres pour résumer ce travail ?
Antoine Delesvaux : 1200 plans, et un budget de 12 millions d’euros.
Joann Sfar : Et financés sans le concours du CNC ! On nous a retoqués sous prétexte que l’œuvre était une adaptation et pas une oeuvre originale ! Pourtant ils nous avaient déjà refusé leur aide pour Gainsbourg (Vie Héroïque) alors que ce n’est pas une adaptation…

Pixelcreation : Vos prochains projets ?
Joann Sfar : Je travaille sur le storyboard d'un nouveau film, live cette fois-ci.
Antoine Delesvaux:  Banjo Studio est déjà en plein travail sur Aya de Yopougon, autre long métrage d’animation tiré d’une BD, mais en 2D cette fois-ci. L’histoire dessinée et réalisée par notre associé Clément Oubrerie se situe aussi en Afrique, à Abidjan. La sortie est prévue en 2012.

Paul Schmitt, juin 2011

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> Dessins du film Le Chat du Rabbin à Arludik