Mac Guff et l'Odyssée de la Vie

Jamais deux sans trois : après « L'Odyssée de l'Espèce » et « Homo Sapiens », Mac Guff Ligne réalise les effets visuels de « L'Odyssée de la Vie », un documentaire qui retrace les débuts non plus de nos lointains ancêtres mais de nous-mêmes, de la conception à la naissance (voir images de cette galerie). Un film de 1h23, réalisé par Nils Tavernier et diffusé sur France 2 en janvier 2006, avec de longues séquences en images de synthèse réalisées par le studio parisien Mac Guff Ligne. Entretien avec Philippe Sonrier, Superviseur et D.A. sur ce film et l'un des fondateurs de Mac Guff.

L'embryon selon Mac Guff


Pixelcreation : Vous faites partie des vétérans dans le secteur de la 3D en France...
Philippe Sonrier : On peut même dire des survivants : Mac Guff Ligne va fêter ses 20 ans au mois de juin, et avec Buf nous devons probablement être les plus anciens sur la place. Le studio a été fondé par 4 personnes : Jacques Bled, directeur général, et trois Superviseurs D.A. : Martial Vallanchon, Rodolphe Chabrier et moi-même. Le studio compte une vingtaine de permanents, peut monter jusqu'à 100 personnes en pointe, et fait aussi bien des effets visuels que de l'animation, de la pub comme des films. Côté VFX, nous avons travaillé sur des films comme « Blueberry », « Bandidas », « Joyeux Noël ». Côté animation, nous avons récemment fait « Pat & Star », une série de 52x1' diffusée sur TF1 le matin. Et nous travaillons depuis juin 2005 jusqu'à ce printemps 2006 avec le réalisateur Michel Ocelot (ndlr : auteur des « Kirikou ») et son équipe sur son prochain film d'animation « Azur et Asmar ». Ce film très graphique et en 3D raconte l'histoire de faux jumeaux, un Arabe et un Occidental. Il sera montré au festival de Cannes et devrait sortir en salles fin 2006.

Pixelcreation : Et vous travaillez toujours avec un « pipeline » de production propriétaire?
Philippe Sonrier : Oui, et aussi Maya pour la modélisation. Notre logiciel Symbor permet de modéliser, d'animer et de créer des particules, Trucor de faire des effets visuels et du compositing. Nous avons aussi MGLR, un module de rendu qui gère l'illumination globale et le subsurface scattering. Tous ces outils tournent maintenant sous Linux, avec 5 personnes en R&D chez nous. Nous tenons à garder un outil propriétaire, car cela nous donne une spécificité, et ce pipeline est à la fois productif et économique d'entretien.

Pixelcreation :
Revenons à « L'Odyssée de la Vie », dernier chapitre d'une série?
Philippe Sonrier : Disons que les trois téléfilms, « l'Odyssée de l'Espèce », « Homo Sapiens » et maintenant celui-ci ont permis d'installer le concept et de dégager des budgets pour les images, 0,8 M€ dans ce cas. Particularité de ce film : pas d'intégration 3D dans le tournage, mais des images tout en synthèse, un peu comme il y a dix ans! Nous avons réalisé 35' en 3D sur les quelque 90' du film, avec une centaine de plans, en général assez longs pour privilégier la véracité du récit. 15 personnes, en plus de moi-même, ont travaillé sur ce projet : 5 en modélisation, 5 en animation, 5 pour les effets. C'est une aventure très agréable qui mêle créativité et divertissement et nous permet en plus de développer nos outils internes. Le challenge ici est dans la longueur, dans le fait de s'insérer harmonieusement dans le reste du film tourné en 16mm. Un gros travail artistique et de traduction technique, où on n'a pas trop le droit à l'erreur.
Toute la post production a ete realisee en PAL anamorphosee 16/9 ( resolution vidéo donc ). Le rerendering etant surdimensionné au calcul ( 1K et demi ) pour des raisons de qualité , cela permet incidemment avec un resize 2K d' obtenir des images utilisables en print.

Pixelcreation : Le film alterne prises de vue réelles du couple de futurs parents et images de synthèse du foetus et de son développement.
Philippe Sonrier : Oui. Schématiquement, il y a trois parties dans notre récit. Au début, on commence par le voyage de spermatozoïdes dans le vagin de la femme : c'est comme un long « ride » où on emmène le spectateur dans des endroits inconnus...
Les spermatozoïdes sont de petits modèles accrochés chacun à une particule. Les trajectoires des particules sont gérées globalement, c'est un bouquet de trajectoires, à l'exception de quelques unes faites « à la main ». Les cils vibratoires sur les parois du vagin sont des modèles animés avec des déformeurs. On a aussi rajouté des effets volumétriques, des particules, à toute cette partie pour faire du remplissage en quelque sorte, donner une impression de volume à l'intérieur de l'organe

Pixelcreation :
Après, changement de décor : place au foetus.
Philippe Sonrier : Oui, on commence par l'embryon qui devient un foetus et qui se développe par étapes, mois par mois, jusqu'à la scène de la naissance. Le travail ici est entièrement différent. L'ambiance lumineuse est celle d'un tableau : la lumière provient à travers le ventre de la mère, de façon très naturaliste, presque comme dans un tableau du Caravage. Le foetus est rempli d'organes visibles par transparence, comme le squelette, ce qui influence le rendu : il y a interaction entre les différentes strates de rendu. Le plus compliqué à faire a été la tête, avec le cerveau visible en transparence.
Entre 3 et 9 mois, nous avons utilisé 5 modèles pour le foetus, qui sont en fait un seul modèle dynamique interpolable, pour pouvoir transposer l'animation à différents stades. L'animation, relativement simple, a été faite en peu de temps pendant l'été 2005. Les gestes ont été tirés d'échographies, mais le foetus est souvent filmé comme si la caméra était à l'extérieur du ventre, rarement de près et en grand angle comme une échographie. Toute cette partie du foetus fait la moitié du film en ce qui nous concerne, mais moins de la moitié du travail. Par contre, le job le plus difficile est la séquence où on tourne autour de l'embryon en formation : il y a à peu près 20 stades, il faut faire pousser les doigts, le visage évolue, etc. Un boulot énorme, mais du coup nous avons une très belle base de données que nous espérons bien réutiliser si l'occasion se présente.

Pixelcreation : Et bien sûr, on arrive à l'accouchement.
Philippe Sonrier : L'accouchement a été réalisé sous forme de schéma, avec l'embryon positionné sur le squelette visible de la mère, pour éviter le côté sanguinolent de l'évènement.

Pixelcreation : Etre Superviseur D.A. sur un tel projet, cela consiste en quoi finalement?
Philippe Sonrier : C'est coordonner les spécialistes, dialoguer avec les réalisateurs en amont dès le début du projet, être le passeur d'une technologie connue, mais toujours un peu mystérieuse. Faire éclore les choses avec le réalisateur, c'est tout notre travail, c'est le challenge de la 3D.

Paul Schmitt - 03/2006