Miss Peregrine et les Enfants Particuliers

Une nouvelle féerie visuelle de Tim Burton avec des personnages hauts en couleurs et des effets spéciaux peu communs. Les studios Double Negative et MPC détaillent leur travail, CG progressions à l’appui.

À lui seul, Tim Burton est un résumé de l’histoire des effets spéciaux modernes. Il a démarré sa carrière à l’époque pré-numérique, lorsque tout était fait avec des maquettes et des marionnettes, comme le montrent ses films Batman ou Beetlejuice. Ensuite, il a contribué à la révolution numérique avec Mars Attacks et Sleepy Hollow, puis a poussé la technique vers de nouveaux sommets avec le très ambitieux Alice au Pays des Merveilles. Adaptation d’un best-seller, Miss Peregrine semblait être un projet taillé sur mesure pour son style très personnel : un univers décalé, des marginaux hauts en couleurs, des pouvoirs inattendus… De quoi donner du fil à retordre à l’équipe mise en place par le superviseur des effets visuels Frazer Churchill (Scott Pilgrim).

“C’était un très gros projet,” explique celui-ci, “environ 1300 plans à effets visuels. Ils ont été principalement réalisés par Double Negative, MPC, Scanline et Rodeo, mais d’autres prestataires ont été également impliqués. Double Negative s’est chargé des créatures, Scanline des scènes aquatiques, et MPC de la bataille dans le cirque et des enfants particuliers. Ces derniers nécessitent un effet spécial par personnage : il y a l’enfant invisible, la fillette avec la bouche à l’arrière de la tête, l’adolescente qui contrôle le feu, la petite fille qui fait pousser les végétaux en accéléré… MPC a eu fort à faire avec tous ces effets, car chaque « pouvoir » est radicalement différent des autres.”

Emma, fille de l’air

L’un des pouvoirs les plus spectaculaires est celui d’Emma, une adolescente plus légère que l’air et capable de souffler des milliers de mètres cubes d’air. Le personnage se retrouve au centre d’une scène particulièrement complexe où elle explore avec le héros une épave de paquebot au fond de l’océan. Les acteurs, Asa Butterfield et Ella Purnell, ont été filmés dans un bassin entouré d’un fond vert, avec simplement un petit élément de décor pour représenter le sol sur lequel ils se posent. Ensuite, Scanline a créé l’atrium et la salle à manger en 3D, puis ajouté des particules en suspension, des poissons, etc., pour renforcer l’illusion d’un site immergé. “Pour la lumière, il a fallu tricher avec la réalité,” avoue Burke. “Dans le monde réel, une telle épave à cette profondeur aurait été peu visible, et l’intérieur aurait été plongé dans le noir. Mais comme l’histoire se déroule dans une réalité parallèle, nous pouvions nous permettre d’amener de la lumière là où il n’y aurait dû y avoir que des ténèbres…”

Pour le flot d’air jaillissant de la bouche d’Emma, Tim Burke s’est tourné vers les bonnes vieilles méthodes : un puissant jet d’air comprimé placé au fond du bassin plongé dans le noir avec seule la colonne de bulles éclairée. Il suffisait de calculer l’angle de la caméra pour avoir la bonne direction. Scanline a intégré ces bulles dans les images d’Ella Purnell, puis ajouté des bulles additionnelles, plus contrôlées, en simulation dynamique, notamment au niveau de la bouche pour bien créer un flux continu. De même, la bulle qui entoure la tête d’Asa Butterfield a été animée en 3D pour suivre tous ses mouvements.

Dans la suite de la séquence, les plans du navire refaisant surface ont été réalisés en full 3D, environnement compris. Scanline a ici mis à profit l’expérience acquise sur toutes les scènes de destruction aquatique réalisées ces derniers mois : San Andreas, Au cœur de l’océan, Independence day : Resurgence… Une fois de plus, c’est le logiciel maison de simulation de fluides, Flowline, qui a été mis à contribution.

Remonter le temps
L’autre séquence à effets visuels la plus étonnante du film est celle de la boucle temporelle, lorsque Miss Peregrine stoppe le temps au cours d’un bombardement, puis le remonte. “L’effet est un mélange de plusieurs techniques,” révèle Burke. “Pour commencer, les acteurs ont été filmés séparément de la maison : l’action avait lieu en extérieur, de nuit et sous la pluie… Impossible de tourner ça avec de jeunes enfants. Ils ont donc été filmés en plateau sur un bout de gazon, avec un dispositif lumineux très complexe qui tournait autour d’eux pour simuler la course du soleil en accéléré. L’action a été tournée deux fois, une prise avec les acteurs mouillés (le temps s’arrête alors que les personnages sont sous la pluie) et une autre avec les acteurs secs (pour la remontée vers un moment où il ne pleut pas). Il fallait ensuite calculer le moment où l’on passe du mouillé au sec par rapport à la position du soleil dans le ciel… Un vrai puzzle ! Ces images ont été combinées à une animation 3D réalisée par Double Negative de la maison elle-même avec la lumière solaire tournant autour. L’équipe a placé plusieurs appareils photo autour de la vraie maison et photographié une journée en time-lapse. Ces images ont servi à éclairer la réplique 3D de la façon la plus fidèle possible par rapport à la réalité.”

Monstres et squelettes au train fantôme
Au cours de l’histoire, les enfants particuliers sont confrontés à des créatures monstrueuses, sans visage et avec des tentacules jaillissant de la bouche, les Sépulcreux. Au départ, Burke avait pensé filmer un vrai acteur dans un maquillage de créature, pour ensuite l’augmenter à l’aide d’effets créés en 3D. Mais le processus de design s’est tellement prolongé qu’il n’y a plus eu assez de temps pour créer un maquillage. Les créatures ont donc été entièrement réalisées en animation 3D par Double Negative. Parallèlement, l’équipe des maquillages a fabriqué grandeur nature la tête et les tentacules d’un Sépulcreux. Ils pouvaient être placés dans le décor pour visualiser la manière dont les créatures prenaient la lumière.

Face à eux, les Sépulcreux trouvent une armée de squelettes appelée pour défendre les enfants dans la bataille finale dans une fête foraine. Avec cette séquence, Tim Burton a voulu rendre hommage à l’un des films cultes de sa jeunesse, Jason et les Argonautes (1963) : “La scène des squelettes animés en stop motion par le légendaire Ray Harryhausen reste l’un des plus grands moments de l’histoire des effets spéciaux,” s’exclame Burke. “À l’origine, nous avions pensé créer une animation 3D dans le style de la stop motion de ce film, en intégrant volontairement des petites saccades, mais ça ne fonctionnait pas. D’une part, l’animation des squelettes impliquait des simulations de tissu sur leur costume et des simulations de poils sur leurs cheveux (pour ceux qui en avaient). Or, ces simulations détonnaient par rapport au style stop motion, elles étaient trop fluides. D’autre part, tout le reste de la séquence était parfaitement réaliste, ce qui rendait cet effet trop artificiel en comparaison. L’idée a donc été abandonnée, et nous l’avons remplacée par une reprise de certains passages de l’animation originale. Sur le tournage, nous avions des caméras témoins pour enregistrer l’action sous plusieurs angles. L’animation a ensuite été réalisée à partir d’une session de motion capture en studio à laquelle est venue s’ajouter un gros travail en key frame. Malgré tout, Tim a tout de même réussi à intégrer une vraie scène en stop motion dans le film. Il faut se souvenir qu’il a été animateur avant d’être cinéaste. La scène intervient lorsqu’un des enfants donne vie à deux figurines : là, pour le coup, la stop motion passait très bien. Cette scène, c’est du Tim Burton tout craché !”

Alain BIELIK, Octobre 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.