Nocturna, la nuit magique

Un voyage initiatique au cœur des mystères de la nuit, qui conjugue poésie et graphisme. Et aussi un film franco-espagnol d’animation pour enfants, pour lequel le meilleur de la technologie 2D et 3D a été mis en œuvre.

Dans un genre trop souvent formaté par les productions Disney, un film comme Nocturna constitue un bel exemple d’originalité : personnages au physique différent, univers graphique et chaleureux, musique envoûtante… Le héros de cette aventure est un jeune orphelin appelé Tim. À cause de son physique ingrat et de sa maladresse, il est laissé à l'écart par les autres enfants de l’orphelinat. Ayant de plus peur du noir, il ouvre chaque soir la fenêtre pour parler à « son » étoile, Adhara, avant de se coucher. Un soir, il la voit tomber et, en voulant suivre sa chute, il bascule dans le vide. Il est sauvé par Chaman, le Berger des Chats, un être fantastique qui va lui faire découvrir l’incroyable organisation qui régit secrètement le monde de la nuit : pourquoi a-t-on besoin d’aller aux toilettes en pleine nuit ? Pour quelle raison se réveille-t-on les cheveux en bataille et les jambes de travers dans le lit ? Qu’est-ce qui rend la nuit si mystérieuse ? Autant de questions, et bien d’autres encore, auxquelles des personnages extravagants vont bientôt fournir des réponses fort inattendues… Et pour le jeune Tim, ce sera   un voyage initiatique qui lui permettra de vaincre ses peurs.

Le parti pris graphique est original: un look très rond pour les personnages, un design rétro (début 20ème siècle)  pour les décors. Avec une dominante couleur qui va du vert-bleu pour les plans large d'extérieur la nuit au ocre-moutarde pour les scènes cadrées plus serré avec des personnages. Remarquons enfin que le film se veut une immersion totale dans le monde de l'enfance : on n'y voit aucun adulte, aucune voiture dans les rues, bref rien qui puisse rappeler le monde réel

Nocturna, la nuit magique est une coproduction franco-espagnole d'Animakids Productions et de Filmax Entertainment, mais est né et a été réalisé en Espagne, une terre plus connue pour les films de Pedro Almodovar que pour son cinéma d’animation. Pourtant, pas moins de quatre sociétés de production ibériques sont spécialisées dans les films d’animation. PixelCréation a rencontré Paco Rodriguez, producteur exécutif du film et responsable de Filmax Animation, groupe leader du marché espagnol.


PixelCréation : Parlez-nous d'abord de Filmax Animation et du cinéma d’animation en Espagne.
Paco Rogriguez : La production de films d’animation, qu’il s’agisse de 2D ou de 3D, est un secteur en pleine expansion en Espagne. Chez Filmax Animation, Nocturna est déjà notre sixième long-métrage en sept ans. Nous avons réalisé El Cid en 2003, puis Pinocchio 3000 (2004), Gisaku (2005), Pérez, la Souris des Dents (2006), et Donkey Xote (2006). Nous essayons de sortir un à deux films par an, ce qui signifie que nous avons en permanence trois ou quatre films en production. Comme vous le savez, les films d’animation nécessitent un temps de production très long. Nous disposons pour cela d’une grosse équipe qui peut monter jusqu’à 500 personnes selon les circonstances.


PixelCréation : Comment Filmax Animation se positionne-t-il par rapport à l’animation 3D ?
Paco Rodriguez : Notre objectif est de nous orienter de plus en plus vers ce type d’animation. Nous n’avons à ce jour réalisé que trois films en animation traditionnelle : Nocturna, El Cid ainsi que Gisaku qui était l’adaptation d’un manga japonais. Au sein de notre production habituelle, ce sont vraiment des exceptions. Nous avons en effet installé à Saint Jacques de Compostelle un studio entièrement dédié à la création 3D, Bren Entertainment. Depuis sept ans, c’est ce studio qui réalise tous nos films d’animation numérique.


PixelCréation : Pourquoi ce choix de l’animation 3D ?
Paco Rodriguez : Ce n’est pas un choix financier vis-à-vis du coût de production. L’animation 3D coûte beaucoup plus cher que l’animation traditionnelle. Simplement, nous avons pris acte de la tendance très nette du marché à l’égard de ce type de film. Pour nous, il ne fait pas de doute que l’avenir du cinéma d’animation est dans la 3D. De plus, Bren Entertainment a représenté un gros investissement en termes de technologie et d’équipement. Il est logique que nous cherchions à amortir cet outil de production sur un maximum de projets. Par ailleurs, nous sommes en train de nous diversifier dans la production d’animation pour jeu vidéo, ce qui nous ancre davantage encore dans le monde de la 3D. Notre premier jeu vidéo, basé sur notre film Donkey Xote, sortira à Noël…


PixelCréation : Vous dites qu’un film coûte plus cher à réaliser en animation 3D qu’en animation 2D. Comme vous avez produit des films reposant sur ces deux techniques, auriez-vous un ordre de grandeur à nous donner quant à ces coûts de production ?
Paco Rodriguez : C’est bien simple, Nocturna a coûté environ huit millions d’euros, alors que Donkey Xote, un film que nous avons produit simultanément, a été réalisé en animation 3D pour quinze millions d’euros… Nous sommes quasiment passés du simple ou double !


PixelCréation : Quelle est la durée moyenne de production de vos films ?
Paco Rodriguez : En général, il y a une période de développement de deux ans, suivie de trois ans de production. Dans le cas de Nocturna, ça a été plus long puisque les deux réalisateurs ont travaillé sur le projet pendant sept ans en tout. Victor Maldonado et Adrià Garcia sont avec nous depuis le début. Ils ont créé des story-boards et conçu les personnages de deux de nos productions, puis sont passés directeurs artistiques sur Le Cid. Alors qu’ils travaillaient sur ce film, ils nous ont soumis l’idée de Nocturna. Ils avaient déjà préparé tout un tas de dessins et de concepts visuels, ainsi qu’un synopsis de 40 pages. Ça nous a tellement plu que nous avons tout de suite pris une option sur le projet. Nous étions alors en 2002. À ce moment-là, Victor et Adrià avaient à peine plus de vingt ans !


PixelCréation : Parlez-nous du développement visuel du film. Les décors et les ambiances sont très originaux, réalistes mais en même temps décalés…
Paco Rodriguez : C’est le résultat de tout le travail de recherche graphique effectué par Victor et Adrià en amont de la production. Ils étaient également les directeurs artistiques du film. Que ce soit sur le plan de l’histoire, des personnages, ou des ambiances, Nocturna est vraiment leur création. Pour ce film, ils voulaient un décor qui ne puisse pas être identifié, ni sur le plan de l’époque, ni sur celui de l’endroit. Cela donnait un caractère intemporel et universel à l’histoire. L’ambiance du film a été créée à partir d’un mélange de plusieurs époques, en particulier l’Europe du début du XXe siècle. Il y a eu aussi un gros travail sur le graphisme et les couleurs. Victor et Adrià savaient exactement ce qu’ils voulaient faire et où ils allaient. Il n’y a pas eu de grands changements en cours de production. Le film est vraiment resté tel qu’il avait été conçu au départ, ce qui montre à quel point leur vision était précise.


PixelCréation : Nocturna surprend aussi par la physionomie inhabituelle de son héros. On est loin de l’enfant mignon tout plein des films d’animation traditionnels…
Paco Rodriguez : C’était la volonté des réalisateurs. Notre héros, Tim, a été doté d’un physique différent de façon à le placer en situation de conflit avec les autres enfants de l’orphelinat. Ceux-ci ont tous été traités avec une ligne graphique traditionnelle. La différence de Tim par rapport à leur « normalité » explique le fait qu’il soit rejeté par les autres. Victor et Adrià ont cherché un look qui soit atypique tout en restant sympathique. Même chose pour le Berger des Chats, un être qui ne ressemble à rien de ce qu’on a déjà vu dans un film d’animation.

 


PixelCréation : Est-ce que tout le film a été créé chez Filmax Animation ou bien avez-vous été amenés à collaborer avec des intervenants extérieurs ?
Paco Rodriguez : Tout le développement, l’écriture, la création des personnages, les décors, et la pré-production ont été faits en interne. Ensuite, 75% du film ont été animés en Espagne, le reste a été réalisé en France par Ricochets Productions (Superviseur de l’animation : Jean-Christophe Lie). Par ailleurs, une  partie de l’interpolation et de l’assistanat a été confiée à des prestataires asiatiques.


PixelCréation : Pour quelle raison ?
Paco Rodriguez : Parce que nous n’avons pas trouvé en Espagne suffisamment d’artistes qualifiés pour assurer cette prestation sur tout le projet. Il s’agissait de la mise au propre des dessins, une étape que l’on appelle le « clean up », ainsi que la création des dessins intermédiaires, ce que nous appelons les « in betweens ». Par contre, les artistes asiatiques n’ont en aucun cas généré l’animation elle-même.


PixelCréation : Qui étaient les animateurs de Filmax Animation sur ce film ?
Paco Rodriguez : Nous avons eu la chance d’avoir la crème des animateurs espagnols avec nous. Un autre gros projet venait de se terminer et tous ces artistes très expérimentés se retrouvaient libres de tout engagement. Le timing était parfait. Dans le même temps, ils étaient très attirés par le projet lui-même. L’ambiance du film et l’originalité de l’histoire leur donnaient vraiment envie de participer à cette aventure.

 


PixelCréation : Est-ce que la 3D est intervenue d’une façon quelconque dans le processus d’animation de Nocturna ?
Paco Rodriguez : Le film a été entièrement animé à la main, en 2D, mais il y a un total de huit minutes pour lesquelles nous avons employé la 3D au niveau de certains éléments bien particuliers. Il s’agit des plans dans lesquels on voit une multitude de chats ou de Lumineux à l’écran. Animer tous ces personnages un par un en 2D aurait pris un temps fou. Nous avons donc utilisé le moteur de simulation de foule de Softimage XSI pour les générer. XSI est l’élément de base de notre pipeline infographique chez Bren Entertainment. Une fois animés en 3D, les chats et les Lumineux ont été rendus en 2D pour s’intégrer dans l’ambiance du film. Là encore, le rendu était assuré par XSI.


PixelCréation : Dans ces scènes, le décor était-il, lui aussi, en 3D ?
Paco Rodriguez : Non, tous les plans du film mettent en scène des décors 2D. Nous aurions bien voulu utiliser la 3D pour réaliser certains décors, mais cela coûtait trop cher. Le budget ne le permettait pas. Vous avez peut-être remarqué la façon très personnelle avec laquelle les réalisateurs cadrent l’action dans le film. Certains plans reposent sur des mouvements de caméra assez inhabituels pour un long-métrage d’animation 2D. Au départ, nous avions espéré pouvoir créer de 20% à 30% des décors en 3D. Nous avons même réalisé des tests en ce sens, en modélisant certains décors, mais la réalité économique des coûts de production en 3D a rendu cette approche impossible. Victor, Adrià et leurs animateurs ont dû créer les mouvements de caméra en les dessinant à la main.


PixelCréation : Dans quelle mesure avez-vous utilisé le numérique dans le processus de production ?
Paco Rodriguez : Une fois que l’animation et l’interpolation sont finalisées, les dessins sont scannés, puis encrés et mis en couleurs à l’aide du logiciel spécialisé Toonz. Ensuite, les différents éléments – personnages, effets, décor, etc. – sont assemblés dans Toonz.


PixelCréation : Sur le plan de la distribution, quels sont les débouchés d’un film comme Nocturna ?
Paco Rodriguez : Nos films se vendent assez bien sur le plan international, à l’exception notable des Etats-Unis… Là, c’est quasiment impossible pour nous de bénéficier d’une sortie en salles correcte. C’est d’ailleurs le cas pour la quasi-totalité des productions européennes. Si votre film est acheté par un distributeur américain, il ne sortira que dans le circuit des salles art et essai. Vous aurez 200 ou 300 copies au maximum, là où un Shrek sort sur quelque 7000 écrans ! Vous ne faites pas le poids…



Alain Bielik, octobre 2007
(commentaires images Paul Schmitt)

Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue d’effets spéciaux S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 1991. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.