La vengeance de Salazar/Dead men tell no tales

Jack Sparrow est de retour avec plus de 2000 effets visuels principalement signés par MPC.

Il a fallu attendre six ans pour avoir une suite à Pirates des Caraïbes 4, une éternité dans une industrie où les studios cherchent à exploiter jusqu’à la moelle la moindre marque commerciale. Afin de renouveler la saga, les producteurs sont allés chercher deux jeunes cinéastes norvégiens qui avaient signé avec Kon-Tiki le meilleur film d’aventures marines de ces dernières années. Du côté des effets visuels, même révolution de palais avec la quasi disparition d’ILM (le studio n’a signé qu’une poignée de plans) au profit du géant londonien MPC, auteur de 1500 plans VFX sur les 2000 que comporte le film.

Pour superviser cet énorme projet, les studios Disney ont de nouveau fait appel à Gary Brozenich qui avait déjà chapeauté le film précédent. Le défi principal consistait à visualiser le grand méchant du film, Captain Salazar (Javier Bardem), ainsi que son équipage de revenants. Comme ces personnages ont péri en mer, ils réapparaissent avec un corps qui semble toujours immergé, même lorsqu’ils sont à l’air libre. Les cheveux devaient « flotter », les vêtements aussi… L’effet devait être appliqué sur Salazar et tout son équipage, soit une cinquantaine de personnages, ce qui en faisait un projet d’ampleur considérable!

“La grande difficulté, c’était le tracking,” souligne Brozenich. “Il fallait que l’effet soit calé à la perfection sur parfois quinze personnages en même temps ! Pendant la préparation, nous avons essayé plusieurs techniques pour trouver une solution, et finalement, nous les avons toutes combinées. Pour Salazar, j’ai beaucoup parlé avec les réalisateurs parce qu’il fallait créer des effets qui rendaient le personnage cool et intéressant à voir, mais sans jamais prendre le dessus sur le jeu d'acteur de Javier. Un exercice très délicat…”

Javier Bardem a tourné les scènes avec l’arrière de la tête recouvert de tissu vert et de trackers. Cet espace a ensuite été remplacé par un élément 3D représentant la tête avec une partie manquante. “En postproduction,” explique Brozenich, ”nous avons retouché son visage, mais en conservant le plus possible les zones de la bouche, du nez et des yeux. Cela dit, les yeux ont eux aussi été modifiés dans certains plans. Les réalisateurs voulaient un effet de rétine détruite, ce qui nous a amenés à modéliser des globes oculaires sur lesquels nous avons simulé l’effet. Et bien sûr, les vrais cheveux de Javier ont été remplacés par des cheveux réalisés en simulation dynamique. Tout ceci a exigé des techniques de tracking extrêmement compliquées, parce qu’il fallait que les éléments en images de synthèse soient toujours parfaitement synchronisés avec les mouvements du visage. C’était un challenge, mais je dois dire que le double numérique que MPC a mis au point était tellement réussi que nous avons pu intégrer ces éléments dans les prises de vues réelles à la perfection.”

Des revenants au physique impossible
L’équipage de Salazar a subi le même type d’intervention, mais à des degrés très divers : certains avaient des parties de jambes arrachées, un autre avait un trou à la place du visage, etc. Autant d’éléments qu’il fallait effacer du corps des interprètes, pour ensuite les remplacer par des animations 3D. “Sur le tournage, Javier et les autres acteurs ne portaient que le haut de leur costume. La moitié inférieure était de toute façon destinée à être créée en numérique afin de représenter les vêtements flottant comme s’ils étaient sous l’eau ; comme le haut du costume était en général assez ajusté, il était beaucoup moins affecté. Plan par plan, nous avons essayé de garder autant de parties réelles des costumes que possible, mais finalement, il a fallu toujours les refaire à 95%. Il n’y a que dans les gros plans où le costume est réel, en général. Dans certains cas, les personnages sont complètement animés par ordinateur, et nous avons simplement intégré le visage des acteurs. C’est le cas par exemple pour le plan où l’équipage court vers la plage.”

S’il y a un effet sur lequel l’équipe s’est arrachée les cheveux, c’est bien celui de la création… des cheveux des personnages. Ils flottent en permanence, comme s’ils étaient sous l’eau. Durant la préproduction, un cascadeur en costume a tourné des plans tests au fond d’un bassin. Il a marché, couru, s’est battu, etc. Ces images ont fourni une référence parfaite sur le comportement des vêtements et des cheveux sous l’eau.
“C’était très utile, mais il a fallu ensuite réinterpréter tout ça, parce que les réalisateurs ne voulaient pas donner l’impression que les fantômes étaient réellement sous l’eau. Le truc, c’est que quand vous êtes dans l’eau, les mouvements sont ralentis, comme si vous étiez filmé à 96 images par seconde. Or, il fallait appliquer ce look-là à des personnages qui devaient impérativement se déplacer à vitesse normale. Cela nous a donné l’un des défis créatifs les plus intéressants de ce projet. Par exemple, pour le personnage de Salazar, il y a des moments où il s’énerve, donc nous faisions en sorte que les flottements prennent une apparence plus agressive, notamment en augmentant la fréquence des turbulences, comme s’il était dans une mer plus agitée. Et puis, il y a des moments où c’était le contraire, où on appliquait des mouvements plus doux. C’était tout un équilibre à explorer et à trouver. Et pour ça, nous avons beaucoup utilisé Furtility, le logiciel de simulation de poils développé par MPC.”

Contrôler l’océan
Parallèlement au travail sur les personnages à caractère fantastique, les effets visuels des Pirates des Caraïbes reposent largement sur les simulations marines : navires en mer, batailles navales, monstres marins, phénomènes aquatiques, etc. Et cet épisode ne fait pas exception à la règle. “À la base, les plans qui faisaient intervenir de l’eau se scindaient en deux catégories. Dans les premiers, l’eau est calme ; il s’agissait juste de créer l’environnement marin pour y intégrer les navires. Dans les seconds, l’eau est beaucoup plus agitée, ou bien elle se comporte de manière impossible. Et pour ça, il fallait qu’on puisse la contrôler afin que les réalisateurs soient capables de la diriger. Ils devaient être en mesure de nous dire : “Ici, il faudrait que cette vague-là arrive un peu plus près de la caméra,” ou bien “Pouvez-vous réduire les vagues à cet endroit à l’arrière-plan ?”… Il n’existait aucun logiciel unique capable de répondre à des demandes aussi précises. Par conséquent, MPC a mis au point un système épatant qui nous permettait de jongler entre trois logiciels, chacun étant affecté à la création d’une partie bien précise de l’élément aquatique. Par exemple, dans un même plan, nous pouvions avoir un sillage généré dans Flowline, des gerbes d’eau créées dans Houdini, et parfois même, nous utilisions une simulation dans Houdini pour animer une géométrie dans Bifrost !”

Le « clou » du film est une séquence où l’océan s’ouvre littéralement en deux avec les héros qui se retrouvent au fond, au sec, entourés par d’immenses murailles liquides… Une sorte de traversée de la mer Rouge des Dix Commandements revisitée par un fou furieux ! En studio, les acteurs ont été filmés sur un décor qui représentait le fond de l’océan. Le sol réel a été prolongé à l’aide d’extensions numériques, puis MPC a ajouté la muraille liquide autour. Le plus difficile a été d’insuffler un certain « réalisme » à cette situation totalement extravagante. Le composite avait beau être parfait, l’image était trop incroyable pour sembler réelle. L’équipe a donc ajouté des dizaines de couches de « textures » pour ancrer la scène dans le monde réel : projections de gouttes d’eau, vapeur d’eau dans l’atmosphère, etc.


“Tous les plans de cette séquence comportent des effets visuels très complexes,” précise Brozenich. “Il fallait aussi montrer le fond de l’océan vu depuis la surface, et les plans inverses, avec la caméra au fond de l’océan qui cadre vers le haut, avec les murs d’eau qui forment comme un tunnel, etc. À l’arrivée, nous avons combiné tellement de technologies différentes que je serais bien incapable d’identifier quel logiciel a créé quoi dans un plan donné…”

Alain BIELIK, mai 2017
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

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