Robocop

Un remake de très bonne facture, qui évite la surenchère visuelle et nous livre un personnage robotique remarquablement crédible.

Après Total Recall il y a deux ans, c’est au tour d’un autre classique de Paul Verhoeven de faire l’objet d’un remake. Robocop est aujourd’hui « revu et corrigé » par José Padilha, cinéaste brésilien remarqué pour le percutant Troupe d’Élite en 2007.

La critique sociale qui se trouvait au cœur du film original de 1987 a été ici remplacée par une réflexion sur l’évolution des techniques de guerre, plus l’utilisation des grands médias comme les réseaux de télévision pour influencer le public. “De nos jours, on n'envoie plus de soldats, on fait décoller des drones, et on va arriver à un stade où ce seront des robots qui feront la guerre, et non plus des êtres humains,” explique le réalisateur. “Cela pose le problème de la responsabilité. Quand un soldat commet une erreur, c'est lui le responsable, mais quand la même chose se produira pour un robot soldat, vers qui se tournera-t-on?

Dans le film, c'est ce qui se produit, et l'usage de tels robots est interdit aux États-Unis. Pour contourner la loi, le fabricant Omnicorp a l'idée de placer un homme dans un corps de robot. Comme il a toute sa conscience, celui-ci ne peut pas être considéré comme une machine…

”Pour créer Robocop, l’équipe a combiné deux techniques différentes, comme nous l’explique Jamie Price, superviseur des effets visuels : “Pendant les prises de vue, l'acteur Joel Kinnaman portait une armure fabriquée par les créateurs de celle d’Iron Man. Ce choix a fait l'objet de longues discussions pendant la préparation. Il y avait en effet la possibilité de filmer l'acteur sans armure, et d'ajouter celle-ci en animation 3D. C'est ce qu'ils font sur les Iron Man, par exemple.
Mais la présence d'une véritable armure sur le plateau offrait plus d’avantages. D'abord, le réalisateur vient du monde du documentaire et aime filmer à l'instinct. Il était donc préférable d'avoir un « vrai » Robocop sur le plateau. Ensuite, l'armure imposait sa présence auprès des autres acteurs, ils réagissaient différemment. Et puis, chaque plan nous donnait une référence lumière idéale de l'armure en situation. Enfin, et ce n'est pas le moindre, en filmant une armure réelle, on pouvait obtenir pas mal de plans directement à la prise de vue, c'est-à-dire sans effets visuels ajoutés. Si l'on avait opté pour l'approche animation 3D, tous les plans de Robocop seraient obligatoirement devenus des plans à effets visuels, ce qui représentait un surcoût important…”

Soigner l’aspect robotique de Robocop

Le personnage de Robocop apparaît dans deux versions différentes dans le film : d’abord, une armure métallisée qui rappelle celle du film original, puis une autre beaucoup plus moderne, de couleur noire. “Les deux versions ont été retravaillées par ordinateur,” commente Price. “L'idée était d'accentuer l'aspect robotique du personnage, il fallait que le spectateur ne puisse pas penser qu'il s'agissait d'un acteur dans un costume.

Nous sommes donc intervenus de trois manières différentes. En premier lieu, l'armure a été amincie pour éliminer le syndrome de « l’homme dans un costume de robot ». Robocop a été détouré image par image, puis sa silhouette a été compressée en numérique, et le résultat réintégré dans le plan. Pour chaque scène, nous avions une prise du décor vide qui nous permettait de récupérer l'arrière-plan.

En second lieu, nous avons effacé certaines parties de l'armure afin de créer des espaces en négatif, là où se trouvait en réalité le corps de Joel. Cette astuce permettait de renforcer l'illusion d'un corps robotisé et non pas d'un acteur sous un costume. Dernier aspect de notre intervention, l'ajout d’éléments mécaniques animés en 3D sous les bras, au niveau du cou, etc.”

Beaucoup de ces plans ont été réalisés par Soho VFX sous la supervision de Berj Bannayan (le prestataire principal a été Framestore) : “Parfois, il était plus simple de remplacer complètement le personnage plutôt que d'effectuer toutes ces retouches. C'était le cas notamment lorsque la perspective changeait beaucoup pendant le plan. Dans ces cas-là, on effaçait Joel Kinnaman de l'image et on intégrait à la place une armure entièrement animée en 3D. Le processus était simplifié par le fait que nous avions dans l'image originale une référence lumière parfaite : il suffisait de caler le lighting sur l’armure réelle pour obtenir un rendu photoréaliste.

Notre logiciel pipeline était Maya pour l’animation, 3Delight pour le rendu, et Nuke pour le compositing. La production a fourni une géométrie et des textures qui avaient été créées à partir d'un scan de l’armure réelle. Nous avions aussi des photos HDRi du décor pour l’éclairage du modèle 3D.”

Prothèses du futur
Soho VFX s’est également chargé de la scène au début du film où l'on découvre les pensionnaires du département robotique de l'hôpital. Ces patients apparaissent avec des membres mécaniques, un effet réalisé à l’aide de comédiens réellement victimes d'amputation. Dans l'un des plans les plus complexes, la caméra suit au ras du sol un patient en train de courir avec des pieds mécaniques. L'action a été filmée avec un acteur amputé qui marchait sur des pieds en fibre de carbone. Ceux-ci ont été effacés de l'image et des pieds robotiques intégrés à la place.
“Le plan le plus complexe a été celui du patient qui joue à la guitare avec des mains mécaniques,” précise Bannayan. “Il a fallu tout remplacer pour que ça fonctionne : les mains, les avant-bras, le pantalon, la chemise, et même la guitare. Il s'est avéré extrêmement difficile de faire en sorte que les doigts robotiques semblent vraiment jouer de la guitare. On y a passé des semaines.”

Robots : le retour

Robocop n'est pas le seul personnage robotique du film. Dans une scène, il est opposé à une troupe de robots androïdes de combat EM-208 destinés à peaufiner son entraînement. La scène a été confiée à Soho VFX. Chaque robot était représenté par un acteur vêtu d’une tenue grise recouverte de trackers. L'action était filmée par la caméra principale, mais aussi par deux caméras témoins situées de part et d'autre. Le rôle de celles-ci était de fournir une vision tridimensionnelle de l'action afin de mieux analyser les mouvements des interprètes. En post-production, ces derniers ont été effacés de l'image et remplacés par les robots animés en 3D. Là encore, chaque plan était doublé d'une prise sur le décor vierge afin de faciliter l'effacement des acteurs. L'équipe disposait également d'images d’un robot « réel » placé dans le décor pour servir de référence lumière.

Star du premier film, le robot géant ED-209 est de retour, et comme il se doit, il a lui aussi subi un lifting complet tout en gardant son look d'oiseau bipède. “Tout le monde adore le robot original, nous voulions absolument lui rendre hommage,” explique Price. “Notre version reprend les mêmes proportions, mais avec un look beaucoup plus militaire et menaçant. Pour le représenter sur le plateau, nous avions une structure en aluminium qui représentait sa silhouette en fil de fer. On la déplaçait sur des roulettes, ce qui donnait aux acteurs et aux cameramen quelque chose de concret à regarder. Ensuite, cet « avatar » était effacé et remplacé par la version animée en 3D.”

Une fois n’est pas coutume, le réalisateur a fait le choix d'un environnement futuriste remarquablement sobre. Dans ce Robocop, pas de forêts de gratte-ciels extravagants. “Nous nous sommes dits que les villes ne changent pas si vite que ça,” raconte Price. “On ne va pas en quelques dizaines d'années voir le paysage urbain de Détroit changer du tout au tout. Nous avons donc simplement ajouté un gratte-ciel, celui d’Omnicorp. Pour obtenir le point de vue depuis les bureaux et le toit terrasse, j’ai filmé à 360° la ville depuis un hélicoptère placé en vol stationnaire à la bonne hauteur au bon endroit. Ces images ont été juxtaposées afin de fournir un panorama urbain animé qui nous a servi d’arrière-plan dans toutes ces scènes.”

Avec 1067 plans VFX au compteur, le film joue dans la cour des grands en la matière, mais ce qui rend le plus fier Jamie Price, ce n'est pas tant la réussite de ces effets visuels que la liberté qu'il a su apporter au réalisateur : “José aime filmer à la manière d’un documentaire, sans entrave, avec des plans qui durent et pas de coupes de « confort ». Souvent, sur un tournage, le superviseur des effets visuels va dire : ‘Il vaudrait mieux couper ici et reprendre là, dans cet axe, ce sera beaucoup plus simple en postproduction’. Pas une fois nous n'avons imposé ce type de raccourci à José. Il a pu travailler comme il l'entendait, ce qui comptait énormément pour lui. Ce travail de préparation et de discrétion sur le tournage, personne ne le verra jamais dans le film. C'est totalement invisible, mais en tant que technicien du cinéma, c'était très important pour nous tous…”

Alain BIELIK, Février 2014
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.