Iron Man 3
Notre making-of maintenant enrichi d'une vidéo, courtesy Digital Domain.
Avec un scénario astucieux et des scènes d’action d’anthologie, Iron Man 3 signe le retour réussi de l’un des superhéros les plus populaires et les plus charismatiques, avec plus de 2000 plans VFX à l’appui.
Dans les sagas qui reposent sur les effets, il est commun de voir le nombre de plans à effets visuels augmenter de film en film. Normal, le public en veut plus pour son argent, et le studio est conduit à une surenchère pas toujours très maîtrisée. Cela s’est vérifié avec les deux premiersIron Man : 700 plans à effets visuels pour le premier, 1400 pour le second ! Tout simplement le double d’un film à l’autre. Cette surenchère s’est poursuivie avec Iron Man 3, mais heureusement pas au détriment de l’histoire.
Du coup, Marvel fait entrer son superhéros dans une catégorie à part, celles des « films à mégaVFX », comme les sagas Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux ou encore Alice au Pays des Merveilles, c’est-à-dire les rares films qui comptent plus de 2000 plans à effets visuels. Un chiffre à comparer, par exemple, à celui d’Oblivion : ce film, dont l’action se déroule pourtant dans le futur, comporte moins de la moitié de plans VFX…
Marvel supervise les studios VFX
Cheville ouvrière de ce projet monumental, Victoria Alonso est inconnue du grand public. En tant que Vice-Présidente de Marvel Studios pour les effets visuels et la postproduction, elle centralise tous les plans à effets et supervise la conversion stéréoscopique (Marvel tourne ses films systématiquement en 2D, puis les convertit). C’est également elle qui détient le porte-monnaie du studio et sélectionne au final les prestataires. Ainsi, sur Iron Man 3, l’absence d’ILM a surpris beaucoup de monde dans la profession. La société fondée par George Lucas avait largement contribué au succès des deux premiers Iron Man en donnant naissance à une armure virtuelle totalement photoréaliste. Le studio avait également créé toute la séquence finale de Avengers, y compris le personnage de Hulk. De toute évidence, ILM n’a pas pu ou pas voulu s’aligner sur le devis proposé par Digital Domain, et c’est ce studio qui a remporté la mise en devenant le principal prestataire du film.
“Nous avons travaillé sur plus de 2300 plans, ce qui est colossal,” explique-t-elle. “300 d’entre eux n’ont pas été intégrés au montage final, ou bien ont été abandonnés en cours de route. Pour gérer une telle masse de plans et de données, nous avons mis en place une unité effets visuels qui centralisait tout au sein de Marvel Studios. C’était indispensable afin de garantir la cohérence visuelle de l’ensemble.”
Six studios pour le seul personnage d’Iron Man
Pour superviser les aspects créatifs du projet, Marvel a fait appel à Christopher Townsend. Celui-ci avait déjà supervisé les excellents effets visuels de Captain America : l’effet d’amaigrissement/rétrécissement de l’acteur Chris Evans reste l’un des trucages les plus impressionnants de ces dernières années. Par ailleurs, Townsend a l’insigne honneur d’avoir été le premier superviseur à travailler sur un gros projet d’effets visuels en stéréoscopie, c’était en 2008 pour Voyage au Centre de la Terre. Une expérience qui allait s’avérer essentielle pour gérer Iron Man 3, premier film en 3D de la saga.
Townsend était confronté à trois difficultés majeures : la quantité astronomique de plans (plus de 2300 en production), les délais insensés (19 semaines seulement), et l’obligation de travailler avec pas moins de 18 sociétés différentes (ce qui doit être un record du genre) ! “Il y avait tellement de plans à créer en si peu de temps que nous avons été obligés de répartir le travail chez un très grand nombre de prestataires différents. Lorsqu'autant de studios travaillent sur un même film, c'est un sacré défi que d’obtenir un look cohérent. Les logiciels sont différents, la méthodologie et la sensibilité aussi. Et pourtant, il fallait faire en sorte que les images semblent être issues du même moule. Difficulté supplémentaire, et pas des moindres : le personnage d’Iron Man était présent dans tellement de plans que j'ai été obligé de le confier à six studios d'animation différents. Je vous laisse imaginer les problèmes pour que le look et l'animation soient homogènes ! D'ailleurs je ne sais même pas si cela a déjà été tenté auparavant au cinéma, que le personnage central d'un film soit animé par six studios différents… Pourtant, il fallait qu’on retrouve à l’arrivée le même Iron Man que dans les films précédents.”
La pression a été mise dès le départ puisque Marvel a demandé qu’une bande-annonce soit finalisée pour ComicCon, la grande messe américaine des superhéros. Seul problème : ComicCon avait lieu… cinq semaines après que la décision ait été prise ! Face à ces délais invraisemblables, Digital Domain, mais aussi Scanline VFX et Trickster, une société allemande, ont mis les bouchées doubles pour livrer les plans à temps. Digital Domain s'est chargé d'Iron Man, Scanline de la destruction de la maison de Tony Stark, et Trickster des pièces de l’armure qui s’assemblent automatiquement autour du corps de Stark – la grande nouveauté du film.
Pour compliquer le tout, les différentes équipes partaient de zéro. Rien de ce qu’ILM avait créé n’a pu être réutilisé, faute de technologies compatibles et à cause de changements dans le design. “Une fois la bande-annonce finalisée, j'ai comparé les différents modèles 3D du nouvel Iron Man et il m’est apparu que le plus complet des trois était celui de Digital Domain,” raconte Townsend. “Je leur ai donc demandé de le peaufiner davantage encore, puis de créer une version compatible avec les logiciels des cinq autres prestataires : Scanline, Luma, Embassy, Framestore et Weta Digital. C’est ce modèle qui leur a servi de référence, de sorte qu’on a tous travaillé avec le même personnage exactement.”
Iron Man relooké
Pour cette quatrième apparition d’Iron Man à l'écran, le studio Marvel a souhaité renouveler complètement le look de l'armure. La tenue affiche cette fois une nette dominante or, clin d’œil à la toute première version de l’armure dans la bande dessinée. Vétéran de la saga et responsable du développement visuel de Marvel, Ryan Meinerding a supervisé le travail de design : “ Trois éléments caractérisent Iron Man sur le plan visuel. D'abord le casque, qui n'a quasiment pas changé depuis le premier film, puis le plastron avec la source d'énergie éclairée au centre, et enfin, les épaules. Si l'on maintient une certaine continuité sur ces trois éléments, l'intégrité visuelle du personnage est préservée. On peut faire quasiment tout ce qu'on veut avec les autres parties de l'armure, ça reste Iron Man !”

Filmer Robert Downey en Iron Man
Suivant les scènes et la nature de l’action, Robert Downey Jr. a été filmé de deux manières différentes. Dans certains plans, il est revêtu d’une armure partielle, dans d’autres, il est filmé en performance capture et l’armure est ajoutée en animation 3D. Depuis le tournage de Iron Man 2, le comédien ne porte plus l'armure entière, mais seulement le casque – souvent sans la visière – et parfois le plastron. Le reste est ajouté en images de synthèse. Ces éléments « réels » s’avèrent très utiles pour servir de référence à la partie numérique, l’équipe se calant là-dessus pour éclairer les éléments 3D de l'armure. Dans quelques rares plans de comédie où Iron Man est cadré serré, Robert Downey Jr. porte le haut entier de l’armure, buste et bras compris, ce qui permet d’obtenir la scène en direct, sans effets visuels. Mais cela reste une exception.
Sur Iron Man 2 et Avengers, en plus des éléments d’armure, l’acteur portait un justaucorps gris recouvert de multiples marques de tracking afin qu’ILM puisse ensuite caler l’animation de l’armure 3D sur ses mouvements. “Pour le nouveau film, nous sommes passés à l’étape supérieure,” révèle Townsend. “Cette fois, Robert n'avait même plus besoin de porter une tenue spéciale, il pouvait tourner la scène avec ses vêtements de ville. Les trackers étaient simplement collés dessus. Nous avions deux caméras témoins placées de part et d’autre de la caméra principale, à une certaine distance. L’écart entre les deux nous donnait une vision tridimensionnelle de Tony dans l’espace, à partir de quoi on pouvait reconstituer l’animation du personnage. On ajoutait ensuite l’armure sur l’image réelle en s’assurant que la partie numérique s’intégrait parfaitement avec les éléments réels. À la base, l’armure n’est pas très difficile à créer, mais ce sont les petits détails qui font la différence. Il faut ajouter des couches et de couches de textures pour que le matériau semble réellement être de l’acier solide : saletés, poussière, micro rayures, éraflures, coulures de graisse, etc. Sans cela, l’armure aurait l’air d’être en plastique.”
L’armure « réelle » permettait d’obtenir des plans directement à la prise de vues, sans effets visuels, mais elle avait un inconvénient : elle conférait au personnage un look trop… humain. Il s’avère que les proportions d’Iron Man ne correspondent pas à celles d'un homme « normal ». Le personnage en armure est beaucoup large et plus grand que la normale, même un bodybuilder. Seule la tête conserve les proportions d’un homme ordinaire, et c’est ce contraste avec le corps hypertrophié qui crée le look typique du superhéros Marvel (Spider-Man, Hulk, Thor, etc.). L’armure réelle étant forcément adaptée au physique de l’interprète – et Robert Downey Jr. n’ayant rien d’un Arnold Schwarzenegger, un Iron Man créé en 3D s’est avéré être la seule solution pour obtenir à l’écran le look héroïque recherché.
13 personnes éjectées de l’avion par Digital Domain
Le grand tour de force vers la fin du film, c’est la scène étonnante où Iron Man tente de sauver 13 personnes qui ont été éjectées d’un avion en vol. L’action a été méticuleusement prévisualisée afin de déterminer la meilleure manière de procéder. “Il y avait deux approches évidentes,” explique Townsend. “La première était de filmer des acteurs suspendus au-dessus d'une soufflerie devant un fond vert, l’autre était de les créer entièrement en 3D. Mais aucune des deux solutions ne me satisfaisait car le risque était trop grand que le résultat fasse artificiel. Aussi, j'ai convaincu la production de filmer des parachutistes en chute libre. On avait ainsi de vraies personnes avec un langage corporel parfaitement réaliste, les cheveux qui volaient au vent, les vêtements qui claquaient, etc. L’effet obtenu était infiniment plus viscéral qu’avec un tournage en studio.”
Les cascadeurs ont été filmés plusieurs jours de suite, faisant mine de subir une chute incontrôlée. Ils portaient un parachute qu’il a fallu ensuite effacer de l’image. Celui qui interprétait Iron Man était revêtu d’une tenue rouge et or afin de pouvoir être différencié des autres au sein du groupe. Il a ensuite été remplacé par le personnage animé en 3D. Digital Domain a réalisé toute la séquence, et celle-ci s’est avérée plus complexe que prévu. Certes, la chute libre était 100% réaliste, car authentique, mais tout le reste était à refaire.
Pour commencer, il a fallu systématiquement remplacer le ciel original afin d'obtenir un environnement homogène. Comme la scène a été filmée sur une période de plusieurs jours, la lumière et les nuages n’étaient jamais identiques d'un plan à l'autre. Il était évident qu’il s’agissait de prises de vues disparates assemblées au montage. En remplaçant le ciel, Digital Domain obtenait un effet d’action en continu dans un endroit unique.
Ensuite, il a fallu replacer l'action beaucoup plus haut. Dans le film, les personnages tombent d’un Boeing 747 volant à son altitude de croisière, soit 9000 mètres. Or, les parachutistes sautaient de beaucoup plus bas, ce qui faisait que le sol était trop proche à l'image. “Pour pallier ce problème, Digital Domain a détouré chaque personnage pour l'intégrer au-dessus d’un paysage numérique reconstitué à partir de photos satellite,” poursuit Townsend. “Cela permettait de les placer à la bonne altitude, plan par plan, et de montrer un sol se rapprochant progressivement. Là-dessus, l'équipe a ajouté les débris en flammes du Boeing qui chutent autour des personnages, et une simulation aquatique pour l’eau vers laquelle le groupe se dirige. Dans la partie finale de la scène, les cascadeurs ont été suspendus à un système de câbles très élaboré qui permettait « d’animer » 13 personnes en même temps au-dessus du sol.”
La destruction de la maison de Tony Stark par Scanline
C’est l’autre grand morceau de bravoure du film. Les premières images, diffusées lors de ComicCon, ont suscité l’enthousiasme des fans: bombardée par des missiles lancés depuis des hélicoptères, la luxueuse bâtisse située au-sommet d’une falaise voit ses fondations sapées et bascule tout entière dans l’océan.

Responsable de la séquence, Scanline a commencé par reconstituer l'environnement qui avait été créé par ILM pour les films précédents. Le paysage, la maison, et même l'océan (qui devait être plus profond qu’en réalité), tout a été créé en 3D. Scanline a employé des simulations dynamiques très sophistiquées afin de montrer la dislocation de la bâtisse, les projections de débris, l’effondrement de la falaise, et la chute de tous ces éléments dans l’eau, sans oublier Iron Man lui-même. D’origine allemande, Scanline a bâti sa réputation avec des effets de ce genre, notamment les simulations aquatiques : on lui doit les scènes de tsunami ou de tempête dans Poséidon, 2012, Au-Delà, Battleship, ou encore The Impossible.
Pour Christopher Townsend, le plus dur dans Iron Man 3 aura été de gérer au quotidien le travail effectué par 18 prestataires différents situés sur trois continents, chacun avec son pipeline et son style d’animation (et son fuseau horaire…) : “J'étais constamment en train de comparer les plans des uns et des autres pour repérer d'éventuelles variations. Quand je voyais quelque chose qui me plaisait, je le signalais à tous les autres prestataires comme un exemple à suivre, et quand quelque chose n'allait pas, je le notifiais à tous pareillement. De cette manière, les studios ont pu progresser en parallèle sur le personnage grâce aux réussites et aux erreurs des autres. Si Iron Man 3 a l’air aussi homogène à l’arrivée, c’est bien parce que chacun y a mis du sien. Mais Dieu que cela a été difficile !”
Alain BIELIK, avril 2013
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.