Speed Racer

Les frères Wachowski, auteurs des Matrix, poursuivent leur exploration du cinéma virtuel et signent un film aux images stupéfiantes. Ici, la technologie numérique est mise au service de la mise en scène, et non pas seulement des effets visuels. L’avènement d’un style nouveau de cinéma ? En plus du making-of et de la galerie , vous trouverez juste en-dessous 3 extraits du film Speed Racer pour en juger vous-mêmes.

On croyait avoir tout vu au cinéma, mais là, les frères Andy et Larry Wachowski ont vraiment réussi à surprendre leur monde. Speed Racer est une sorte d’OVNI cinématographique, un film qui ne ressemble à aucun autre, que ce soit sur le plan du concept ou de l’exécution. Adaptée d’une série d’animation japonaise inconnue chez nous, l’histoire se penche sur la famille Racer, une légende dans le monde de la compétition automobile. Speed, le fils prodige, est un surdoué du pilotage, mais il est amené à se mesurer à des concurrents prêts à tout pour l’évincer. Dans ce monde futuriste, les voitures roulent à 650 km/h sur des circuits aux courbes impossibles et bénéficient de fonctions inattendues, comme la capacité de tourner des quatre roues ou bien la présence de vérins capables de propulser le véhicule dans les airs. De quoi pimenter des courses suivies par la planète entière.
Sorti en mai dernier aux États-Unis, Speed Racer n’a cependant pas trouvé son public. Le studio a semble-t-il essayé de le « vendre » comme un long métrage futuriste dans la veine des Matrix, alors qu’il s’agit tout bonnement d’un film pour enfants, une sorte de rêve de gosse des Wachowski – un rêve à plus de cent millions de dollars, il est vrai ! Car pour reproduire en trois dimensions les graphismes de la série originale, des techniques révolutionnaires ont été employées et plus de 2000 plans à effets visuels ont vu le jour !
Pour commencer, seules quelques scènes du film ont été tournées dans un décor réel. Le reste a été filmé devant un fond vert, puis le décor créé par ordinateur à l’aide d’un mélange d’animation 2D et 3D baptisé Photo Anime. Les Wachowski veulent en effet reproduire sur les images réelles le style particulier de l’anime japonaise. Cela implique de pouvoir contrôler les différents niveaux de profondeur de l’image afin de les manipuler individuellement. Le décor n’est plus appréhendé comme un arrière-plan unique, mais comme une superposition d’éléments s’étalant de la caméra jusqu’à l’horizon. Un concept qui nécessite la mise au point d’une approche inédite.
Comme pour la trilogie Matrix, les réalisateurs confient la supervision des effets visuels à John Gaeta associé à Dan Glass, lequel avait conçu les effets de V pour Vendetta, une production Wachowski. Pour créer les environnements, les deux hommes choisissent de prolonger les innovations réalisées sur les Matrix, en particulier la reconstruction en 3D d’un décor ou paysage réel à partir de simples photographies du site. L’idée est de reprendre le principe des vidéos QuickTime VR que les internautes connaissent bien : un endroit (chambre d’hôtel, appartement témoin, décor de film, etc.) est photographié dans toutes les directions à partir d’un point central, puis ces images sont assemblées sur ordinateur sous la forme d’une bulle virtuelle ou d’un cyclorama, et le résultat mis en ligne. Dès lors, l’internaute peut visualiser l’endroit en faisant tourner la caméra à l’aide de la souris ou du clavier.
Gaeta et Glass ont utilisé le même principe, excepté qu’il s’agissait de photographies à très haute résolution, et que le point de vue de l’internaute était remplacé par la caméra des cinéastes. Ensuite, ils sont allés plus loin en décomposant chaque bulle en couches successives, comme un oignon : les rochers sur une première couche, les arbres derrière sur la seconde, les collines plus loin sur la troisième, etc. Les équipes ont ensuite joué sur la distance entre ces couches pour créer des effets de perspective ou de parallaxes artificiels, ou bien générer des effets de flou sélectifs. Car les Wachowski ne voulaient pas reproduire la réalité, mais reconstituer le style de l’anime sur des prises de vues réelles.
Ces équipes comprenaient Digital Domain, pièce centrale des effets visuels, mais aussi Sony Pictures Imageworks, Industrial Light and Magic et d’autres, sans oublier les Frenchies de Buf Compagnie. La société parisienne était responsable d’environ 350 plans réalisés sous la supervision de Geoffrey Niquet. Celui-ci a bien voulu raconter à pixelcreation.fr les coulisses de ce projet hors normes.

Pixelcreation : Buf avait déjà travaillé avec John Gaeta et les frères Wachowski sur Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. En quoi a consisté votre participation cette fois ?
Geoffrey Niquet – Superviseur des effets visuels : Nous avions trois grands types d’effets à réaliser : une scène de course, les plans sur la ville de Cosmopolis où vit le méchant du film, et l’intérieur du quartier général de celui-ci. Nous avons commencé il y a un an, au mois de juin 2007. Notre équipe a compté jusqu’à cent personnes.

Pixelcreation : Quels types d’éléments avez-vous reçu de la production pour commencer à travailler ?
Geoffrey Niquet : Il y avait beaucoup de concepts visuels, des dessins, des documents photographiques de référence, ainsi que les photos HDRI de paysages enregistrées à 360° par une équipe du film. Nous sommes partis de là pour développer nos propres concepts et proposer des prévisualisations à John Gaeta. Les plans ont donc été conçus par Buf, y compris les mouvements de caméra, le positionnement des éléments, etc. Nous avons même prévisualisé trois séquences qui ont ensuite été finalisées par Sony.

Pixelcreation : Avez-vous travaillé avec les fameuses « bulles » virtuelles ?
Geoffrey Niquet : Pas systématiquement, non. À notre niveau, il n’y avait qu’une scène où cette technique s’imposait : celle de la fin de la première journée de rallye. Le paysage était placé sur une bulle virtuelle au centre de laquelle l’action a été incrustée. Comme la caméra n’effectuait que des mouvements panoramiques, ça marchait très bien. Il faut savoir que ce système des bulles fonctionnait bien mieux dans des plans de comédie, forcément plus statiques, que dans les plans de course où la caméra suivait les voitures à très grande vitesse. Par exemple, le tunnel de glace et la ville ont été créés en full 3D, de même que la majeure partie du décor intérieur de l’immeuble du méchant. Tous ces plans ont été réalisés à l’aide de logiciels maison : modeling, animation, rendu, compositing, etc.

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous créé ces environnements 3D ?
Geoffrey Niquet : Nous avons employé notre technique habituelle de camera mapping. Les volumes dans la scène sont modélisés de façon sommaire en 3D, puis texturés par projection de photographies. C’est donc souvent de la 2.5 D, en fait. Par exemple, la scène où les voitures traversent les arches de pierre au début de la rally race a été réalisée de cette façon. Les structures sont des géométries basiques sur lesquelles nous avons mappé des photos HDRI de véritables arches de pierre de Madrassa au Maroc. Ces éléments ont ensuite été re-éclairés et retravaillés pour correspondre à l’esprit de la scène, notamment au niveau des couleurs. La même technique a été employée pour les dunes de sable.

Pixelcreation : Ces plans ont tous été rendus en full 3D ?
Geoffrey Niquet : Non. Dans de nombreux plans du désert, les images 3D ont dû être réinterprétées en 2D pour créer des effets de perspective ou de parallaxe forcés. Les Wachowski souhaitaient voir un décalage entre le mouvement des véhicules et de la caméra, et celui du décor. Pour ce faire, nous avons projeté les différents niveaux d’arches ou de dunes sur des plaques, puis animé celles-ci les unes par rapport aux autres afin de créer des perspectives exagérées.

Pixelcreation : Parlez-nous de la création de Cosmopolis, une ville futuriste au look très « pop acidulé »…
Geoffrey Niquet : Il y avait des plans dans lesquels la caméra suivait une navette qui traversait la ville. Cela générait de multiples changements de parallaxe qui nous ont obligés à tout créer en 3D. Nous avons modélisé et texturé une vingtaine de mégastructures principales, des gratte-ciel de plusieurs kilomètres de haut à la forme très fantaisiste, façon manga. Puis, nous avons ajouté une cinquantaine d’immeubles de taille moyenne, plus réalistes, le tout étant complété par une multitude de petits bâtiments. Chaque immeuble a ensuite été décliné en plusieurs versions grâce à des changements de couleur et d’enseigne, ce qui a créé l’illusion d’une variété infinie de bâtiments. Ces plans ont d’abord été réalisés en 3D pour être validés par les réalisateurs. Ensuite, nous avons développé un petit programme qui a découpé la ville en plusieurs couches indépendantes. Cela nous a permis de transformer les mouvements de caméra 3D en animation de couches 2D, comme sur un banc-titre. Grâce à cette technique, on obtenait un effet de profondeur de l’image à partir d’éléments en 2D, ce qui reproduisait la façon dont les décors sont animés dans les films d’anime.

Pixelcreation : Et pour les voitures, comment avez-vous procédé ?
Geoffrey Niquet : Nous avons reçu de la production un modèle de base pour les deux voitures principales. Nous les avons retravaillés pour améliorer la définition afin que la caméra puisse s’approcher très près de la carrosserie. Ces modèles ont alors été transmis à Sony et aux autres prestataires qui sont arrivés après nous sur le projet.

Pixelcreation : L’une des caractéristiques de ces bolides, c’est leur look très brillant qui rappelle les publicités pour voitures…
Geoffrey Niquet : C’était un peu la contrainte de départ. Les réalisateurs voulaient un rendu photoréaliste, mais qui ne soit jamais complètement intégré dans l’environnement. La consigne était de toujours avoir sur les voitures un éclairage « idéal » de studio, même si le véhicule se trouvait dans les dunes… C’est exactement la technique employée pour les films publicitaires automobiles. La voiture est filmée en extérieur dans un paysage réel, mais le décor comporte des lumières cachées qui vont souligner les volumes. Ceux-ci sont ensuite renforcés par ordinateur. Dans notre cas, nous avons beaucoup travaillé avec des maps d’environnement réalistes, mais complétés par des réflecteurs supplémentaires et des effets graphiques. L’objectif était de rendre la voiture la plus belle possible dans tous les plans.

Pixelcreation : Quelle technique d’animation avez-vous employé pour les voitures ?
Geoffrey Niquet : L’animation est un mélange de poses clés et de simulations dynamiques. La première technique sert à déterminer la trajectoire de la voiture, les secondes ajoutent les dérapages, les sauts périlleux, etc. Nous voulions créer un maximum d’éléments physiques à l’aide de simulations. Par exemple, lorsqu’une voiture décolle pour passer au-dessus du véhicule voisin, l’animation est initiée en poses clés, puis la dynamique prend le relais, mais avec un système de contraintes de manière à contrôler la trajectoire et le point de chute. C’était vraiment un mélange des deux techniques. Cela dit, en terme de réalisme, nous avions quand même un peu de marge. Après tout, personne ne sait comment se comporte une voiture de course en train de déraper à 350 km/h dans un tunnel de glace ! On essayait donc de réaliser une animation qui fasse « vrai ». On fonctionnait plus sur le ressenti.

Pixelcreation : Comment avez-vous créé les interactions entre les voitures et le sol ?
Geoffrey Niquet : Il s’agissait d’animations de particules – poussière, cailloux, sable, etc. – mais avec une contrainte très particulière. Les réalisateurs voulaient que ces effets reproduisent les principes d’animation 2D de la série. Cela impliquait entre autres de réutiliser plusieurs fois le même élément, ou bien de réaliser des nuages de fumée qui ne soient pas trop réalistes. Il fallait que ces images s’intègrent dans l’esthétique anime du film. Même chose pour le décor, d’ailleurs, puisque nous avions aussi divers éléments de paysage qui revenaient plusieurs fois dans la même scène, comme dans ces jeux vidéo où l’on voit toujours le même panorama défiler sur les côtés.

Pixelcreation : On suppose que cette approche inhabituelle a dû poser de gros problèmes de conception des plans. Après tout, avec un plan photoréaliste, on sait au moins où l’on doit arriver…
Geoffrey Niquet : C’est vrai. La grande difficulté de ce projet était de trouver le bon dosage entre réalisme et stylisation, entre images réelles et look manga. Il fallait aussi travailler en 2D à partir d’éléments 3D, ce qui était très intéressant. Mais le plus gratifiant à mes yeux, c’est que Speed Racer est l’un de ces rares films où les effets visuels ne sont pas destinés à faire un trucage. Ils deviennent un véritable style d’écriture en soi.

ALAIN BIELIK  juin 2008

Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 17 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

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