Sucker Punch

Après 300 et Watchmen, Zack Snyder réalise une histoire glauque et visuellement fascinante et poursuit son exploration d’univers fantastiques. Cette fois, ce n’est pas un seul monde qu’il met en images, mais quatre, tous très différents. Une réussite incontestable sur le plan visuel, et un défi de taille pour les équipes d’effets visuels.

Avec Sucker Punch, Zack Snyder a franchi un pas décisif dans sa carrière. Pour la première fois, il a porté à l’écran un scénario original issu de sa propre imagination. L’Armée des Ombres était un remake, 300 et Watchmen l’adaptation de BDs, tandis que Le Royaume de Ga’hoole était tiré d’un livre pour enfants. Cette fois, c’est lui qui a tout imaginé, une histoire qu’il a mûrie pendant des années et qu’il a nourrie de ses multiples influences de « geek » avoué : “J’ai été influencé par l’Heroic Fantasy et des magazines spécialisés comme Métal Hurlant. Le film combine ces sources d’inspiration à d’autres éléments tels que la série La Quatrième Dimension ou les livres de Richard Bach. Sucker Punch est un film d’évasion, au sens propre et figuré. Il montre comment l’esprit peut ériger une barricade quasi infranchissable entre l’imaginaire et la réalité, et jusqu’où nous sommes prêts à aller et quels sacrifices nous sommes enclins à faire pour nous tirer d’une situation difficile.”

Le film raconte l’histoire improbable d’une jeune fille, Babydoll (l’actrice Emily Browning), internée de force dans un asile psychiatrique synonyme d’enfer pour elle. Vouée à la lobotomie, elle se réfugie mentalement dans des univers que son imagination fertile rend de plus en plus réels, de plus en plus vivants. Bientôt, elle découvre que ces mondes imaginaires détiennent la clé d’une possible évasion. Avec quatre autres filles, elle décident de tenter l’aventure. Ce faisant, elles vont affronter des zombies, des robots, des dragons …

Pour créer ces mondes extravagants, Zack Snyder a fait confiance à son équipe habituelle : même directeur de la photographie, même monteur et même superviseur des effets visuels, John Des Jardins, que sur ses films précédents. Des Jardins explique que le projet s’est avéré bien différent des autres opus du cinéaste : “Sucker Punch est beaucoup plus ambitieux. Le film comporte environ 1100 plans à effets visuels ! Et il y avait énormément de scènes dans lesquelles tout l’environnement était généré par ordinateur. En comparaison, Watchmen était davantage ancré dans le monde réel. Il a fallu se mettre à niveau.”

Quatre mondes imaginaires
Le grand défi du film, c’est la présence de quatre mondes imaginaires entièrement différents les uns des autres, même s’ils font tous penser à des univers de jeux vidéo. D’ordinaire, dans un film fantastique ou de science-fiction, il n’y a qu’un seul monde à créer, une seule charte visuelle, un seul code graphique. C’est le cas, par exemple, pour Avatar300 ou Tron: L’Héritage. Dans ce genre de film, le travail de développement visuel est amorti sur toute la durée du long-métrage. L’équipe peut réutiliser plusieurs fois les modèles, les textures, les cycles d’animation, les choix d’éclairage des éléments 3D… Là, rien de tout ça.
“Pour chacun des univers, nous sommes repartis de zéro,” précise Des Jardins. “On devait tout réinventer à chaque fois, tout modéliser, tout texturer, tout éclairer… Et une fois la séquence terminée, ce travail n’était plus réutilisé. Au final, c’était comme si nous avions fait quatre films en même temps ! Cela a demandé un énorme investissement.”
Chacun de ses univers devait avoir une identité visuelle très forte, que ce soit au niveau des décors, de la lumière ou du traitement de l’image. Les ambiances ont d’abord été conçues par l’équipe du chef décorateur Rick Carter, vétéran du cinéma fantastique (Jurassic Park, Avatar). Ce travail de défrichage a ensuite été prolongé par Aaron Sims, le designer à la mode à Hollywood (Le Choc des Titans, La Planète des Singes 2011). C’est lui et son équipe qui ont conçu les détails et enrichi ces mondes.
L’idée était que Babydoll invente ces quatre univers à partir d’accessoires qu’elle découvre dans les coulisses du théâtre de l’établissement psychiatrique. Chacun d’eux va stimuler son imagination et donner naissance à un lieu fantastique dans son esprit. C’est le même paysage, mais la vision est différente, comme lorsque la réalité est déformée dans nos rêves.

Quatre studios VFX : un par monde
Étant donné qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une continuité visuelle entre ces mondes, chacune des quatre séquences a été confiée à un prestataire différent. Un choix qui ne pouvait qu’accroître les disparités esthétiques d’un monde à l’autre, ce qui était le but recherché. MPC s’est chargé de créer le premier monde, japonais, avec la pagode et le samouraï, tandis que Animal Logic prenait en charge l’univers du château avec le dragon, et Prime Focus celui de la planète extraterrestre.

“Pour la séquence de la Première Guerre Mondiale, j’ai choisi de faire appel à Pixomondo,” explique Des Jardins. “Cette société allemande est moins connue que d’autres prestataires, mais elle avait l’avantage d’avoir travaillé il y a deux ans sur Le Baron Rouge, un film à gros budget dont l’action se situait dans le milieu des pilotes de chasse de la guerre 1914-1918. Suite à ce projet, ils avaient à leur disposition toute une banque de données sur les véhicules et les architectures de cette époque, sans compter leur expérience de l’animation de combats aériens. C’était un sérieux atout pour nous. Sur le plan visuel, nous nous sommes inspirés des ambiances du film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la Gloire, dont l’action se déroulait dans le même type d’environnement : un paysage dévasté jusqu’à l’horizon, des tranchées boueuses, une image quasiment en noir et blanc…” Une première guerre mondiale revisitée dans un esprit très « steampunk », les filles devant combattre une armée allemande faite de zombies gonflés de vapeur pour parvenir jusqu’à un dirigeable Zeppelin…

La séquence du monde extraterrestre,gérée par Prime Focus, avec son train futuriste et ses robots, présente l’une des visions les plus étonnantes du film : on voit les jeunes filles embarquer dans un vulgaire hélicoptère Huey datant de la guerre du Vietnam alors que l’environnement est des plus fantastiques…

Le genre de contraste que Zack Snyder affectionne particulièrement. Le panorama de la ville s’inspire de celui de Blade Runner, tandis que le paysage environnant est un hommage avoué à la planète du premier Alien. Les paysages ont été créés à l’aide de Terragen, un logiciel spécialisé dans la création de terrains réalistes en 3D.
La séquence met en scène une troupe de robots menaçants… “Nous avons utilisé la technique de « rotomation », un principe qui tend à se développer de plus en plus. On l’a vu à l’œuvre dans les Pirates des Caraïbes, I Robot ou pour Gollum dans Le Seigneur des Anneaux. Il consiste à faire interpréter les personnages virtuels par de vrais acteurs, puis à caler manuellement l’animation 3D sur leurs mouvements. L’action est alors filmée par six ou huit caméras HD témoins disposées autour du décor. Ces images témoins nous donnent la position de l’acteur dans chaque image sous tous les angles, ce qui permet aux animateurs de reconstituer sa position exacte dans l’espace. Le principe est complètement différent de la Motion Capture puisque les personnages sont animés 100% à la main. Pendant le tournage de la scène, nous avions plusieurs acteurs qui représentaient les robots. Dans certains plans, même les filles sont animées en 3D !”

Actrices et doublures numériques
Les scènes d’action dans les mondes imaginaires étaient l’une des grandes difficultés du film. Zack Snyder voulait des affrontements au style bien particulier, où l’action reposait autant sur les cascades que sur les effets visuels. Pas évident de rendre crédible des scènes de combat où les frêles héroïnes (Vanessa Hudgens mesure 1,56 mètre…) affrontent des multitudes d’orques et de zombies au physique massif. Du fait du décalage entre le physique des héroïnes et les exploits de leur personnage, il a fallu inventer des techniques de combat spécifiques, qui tenaient compte à la fois des capacités des actrices et de l’impact visuel des mouvements. Les comédiennes ont ainsi appris à travailler avec les effets de câbles afin de pouvoir accomplir des bonds « impossibles ».

Lorsque les effets de câbles ne suffisaient plus, l’équipe se tournait vers l’animation 3D et des doublures numériques. MPC a créé celle de Babydoll, Prime Focus celle de Rocket et de Sweet Pea, et Animal Logic s’est occupé des deux dernières, Amre et Blondie. “Dans certains cas, nous avons réussi à effectuer une transition en gros plan de l’actrice réelle à sa doublure 3D sans qu’on ne voie le point de bascule réel/virtuel,” raconte Des Jardins. “Il y a un plan en particulier où Babydoll fait un bond gigantesque et atterrit juste devant la caméra, le tout sans coupure. Nous avons filmé Emily Browning en train d’amorcer le saut, aidée par des câbles, puis en train d’atterrir, là encore avec des câbles. Ensuite, nous avons animé le personnage en 3D pour qu’il effectue le saut et relie de manière invisible les deux parties en prises de vues réelles.”
Seule la doublure numérique d’Emily Browning a été réellement travaillée sur le plan visuel. Le personnage devait être cadré de près dans plusieurs plans d’action, alors que les doublures 3D des autres filles n’étaient vues que de loin. Pour plusieurs d’entre elles, il a fallu créer des simulations de poils afin d’animer les cheveux, ainsi que des simulations de tissus pour certains vêtements flottants.

Le combat contre le samouraï géant dans le premier monde imaginaire posait sans doute le plus grand défi pour l’équipe. Comment filmer un duel entre une jeune femme armée d’une épée, et un personnage censé mesurer 3,50 mètres de haut et armée d’une mitrailleuse lourde… “Au départ, j’avais pensé tourner la scène avec un cascadeur perché sur une plate-forme de sorte que sa tête se retrouvait au même niveau que celle du personnage,” explique Des Jardins. “L’idée était qu’ainsi, Emily puisse interpréter la scène en regardant au bon endroit. Mais ça ne fonctionnait pas. Du fait de l’éloignement physique entre les deux interprètes, l’action tournait à vide. Il n’y avait pas de contact. J’ai donc proposé de répéter le combat avec le cascadeur à la même hauteur qu’Emily, tandis que celle-ci regardait vers le haut, en direction d’une tête découpée dans du carton. Le résultat était beaucoup plus dynamique.”

Sabre et armes à feu
Toutes ces scènes d’action ont été largement augmentées en postproduction par l’intégration d’effets animés en 3D sur les armes. Ainsi, la flamme qui jaillit au bout du canon à chaque détonation a été ajoutée par ordinateur. Par sécurité, l’équipe préférait éviter le recours à des balles à blanc, surtout lorsque l’action exigeait que l’arme soit pointée vers un acteur. Dans ce cas, les actrices utilisaient des armes spéciales équipées de deux LEDs à l’extrémité du canon. L’une était dirigée vers l’avant, l’autre vers l’arrière, de sorte qu’elles étaient visibles de partout. Lorsque l’actrice appuyait sur la gâchette, les LEDs s’illuminaient, et l’animation de la flamme était ensuite calée là-dessus.
Emily Browning a également bénéficié d’un coup de pouce numérique pour le sabre de son personnage. Elle est la seule des héroïnes à utiliser une arme blanche dans le film. “Il y a plusieurs plans dans lesquels la lame a été animée en 3D et calée sur la poignée vide que tenait Emily. Le plan le plus difficile était celui où la caméra longe littéralement la lame à quelques centimètres de hauteur. On peut voir qu’elle est gravée d’une multitude de petits motifs. En fait, il s’agit d’une fresque miniature qui raconte toute l’histoire du personnage, du début à la fin. C’est l’illustrateur Alex Pardee qui l’a dessinée. Zack trouvait le concept plein d’ironie : le fait qu’Emily tenait son destin entre ses mains à l’aide de ce sabre, mais que son destin était déjà inscrit sur ce même sabre sans qu’elle ne s’en rende compte. Dans ce plan-là, la lame 3D remplit tout le cadre de l’image. Il fallait qu’elle soit absolument parfaite au niveau des textures (avec toutes les micro-éraflures) et du rendu (avec le reflet déformé de l’environnement).”
Un défi tout aussi passionnant était posé par la scène du dragon. Le scénario impliquait de montrer un combat aérien entre la créature et de vieux coucous de la Première Guerre Mondiale. L’équipe a passé des mois à concevoir les différentes péripéties d’un tel combat pour que l’action reste crédible, tout en maintenant le suspense. Très particulier, le look du dragon rappellera de bons souvenirs aux passionnés de jeu vidéo : il est un hommage à la créature du jeu Dragon’s Lair !

Lors de sa sortie aux États-Unis, le film a été assassiné par la critique, mais tous les observateurs ont reconnu son exceptionnelle richesse visuelle, et salué le talent stylistique de Snyder. Pendant 1h50, les effets visuels assurent le spectacle, un grand spectacle, et c’est bien là tout ce qui importe aux yeux du public cible de ce film !

Alain Bielik, mars 2011
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 19 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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