Moana

Disney fait une nouvelle fois mouche avec un film magnifique aux effets visuels renversants.

Les studios d’animation Disney avaient fait très fort en début d’année avec Zootopie, un film très original qui avait été salué par un succès commercial inouï : plus d’un milliard de dollars de recettes mondiales. La firme aux grandes oreilles prévoit un destin tout aussi glorieux pour Vaiana, La légende du bout du monde, déjà salué par la critique comme l’une des plus grandes réussites du studio. Tout comme avec Zootopie, Disney a osé jouer la carte de l’originalité (par opposition aux histoires de princesses) en se penchant sur les peuplades indigènes du Pacifique et leur mythologie si riche.

Au cœur de cette histoire se trouve Maui, un demi-dieu capable de faire surgir des îles. Maui est présenté comme un personnage imbu de lui-même, qui croit que tout lui est acquis du fait de son statut quasi-divin. Une personnalité que les animateurs ont souligné en créant une démarche arrogante, avec « roulement de mécaniques ». Sa façon de marcher se démarque totalement de celle, beaucoup plus naturelle, de Vaiana, la jeune héroïne. Mais ce qui fait le charme de Maui, c’est la présence d’un « mini Maui », la conscience du personnage – façon Jiminy Crickett – qui se manifeste sous la forme d’un tatouage animé.

Animer un tatouage en 2D
L’idée géniale des réalisateurs, c’est d’avoir créé ce « mini Maui » en animation… 2D. C’est la première fois que les studios Disney intègrent un personnage animé en 2D dans un film créé en 3D. Les réalisateurs ont ainsi voulu rendre hommage aux racines du studio et à leur propre parcours : Ron Clements et John Musker ont co-signé de grands classiques de l’animation traditionnelle comme La petite sirène ou Aladin. Ce choix artistique s’est traduit par un énorme effort de la part de la part des animateurs. En effet, Mini Maui devait être animé par deux départements différents : celui de l’animation « manuelle » et celui de l’animation par ordinateur. Or, Mini Maui et Maui sont en interaction permanente. Pour créer ces plans, il a fallu établir une nouvelle méthodologie de travail.

L’action a dû être préparée de façon très précise lors du layout : positionnement des personnages (Mini Maui se déplace sur le corps tatoué de Maui), poses clés sur des images prédéterminées, orientation des regards, etc. Ensuite, chacun partait de son côté, animait son personnage, puis les deux animations étaient projetées côte à côte pour juger de la qualité de l’interaction. Au fil des retouches, les animations devenaient de plus en plus synchrones, jusqu’à ce qu’un véritable lien émotionnel se tisse à l’écran. Les regards, en particulier, devaient être parfaitement alignés. Certains plans se sont avérés très délicats à animer, tels ceux où les deux personnages se tapent dans la main, tant le contact physique était difficile à mettre au point.

Une fois les deux animations validées par les réalisateurs, Mini Maui passait du « côté obscur » de l’animation, soit le département 3D, et se voyait plaqué sur la géométrie de Maui, ce qui lui permettait d’épouser toutes les courbes du corps. Mais ce support en trois dimensions déformait l’animation initiale, au point parfois de la rendre illisible. Il fallait donc renvoyer le plan à l’animateur 2D qui corrigeait la position de Mini Maui par rapport au volume sur lequel il se trouvait, puis l’animation était de nouveau projetée sur la géométrie, et ainsi de suite. Entre l’interaction avec le personnage 3D et les corrections liées aux déformations, Mini Maui a sans aucun doute été le personnage qui a subi le plus de retouches d’animation. Une fois tous les éléments en place, la dernière étape consistait à appliquer à Mini Maui un traitement graphique pour qu’il présente exactement le même aspect que les autres tatouages.

L’océan, personnage de tous les défis
L’autre personnage très « technique » du film, c’est… l’océan. Dans cette histoire, Vaiana noue un lien très étroit avec l’élément liquide, lequel est ici représenté comme une entité consciente, capable de former des excroissances pour frapper un personnage, en porter un autre, etc. Les studios Disney avait déjà eu à travailler avec des simulations de fluides pour créer de l’eau en 3D : le lac qui gèle dans La Reine des neiges, le vol au ras de l’océan dans Les nouveaux héros, les fontaines de Zootopie… Mais toutes ces réalisations étaient d’une grande simplicité en comparaison de l’énorme défi qu’a représenté l’eau dans Vaiana. Cette fois, il ne s’agissait pas de reproduire l’élément liquide, mais de l’animer comme un personnage à part entière, un être capable d’interagir physiquement avec Vaiana et Maui. La question qui se posait donc était de savoir comment animer de manière contrôlée des milliards de particules plus ou moins incontrôlables…

Pour résoudre ce problème, le département R&D de Disney Animation a décidé de développer un tout nouveau moteur de simulation de fluides. Il existait bien dans le commerce des outils parfaitement adaptés à la création de l’océan en lui-même, mais aucun ne permettait d’en faire un être doué de raison. L’équipe avait déjà raisonné de la même manière pour La reine des neiges : aucun outil du commerce ne pouvait générer l’effet des traces des personnages dans la neige – Disney en avait donc créé un de toutes pièces. Cette innovation a ensuite trouvé de nouvelles applications dans les films suivants : la crème glacée dans Zootopie, le sable dans Vaiana

Pour l’océan de Vaiana, la solution a consisté à animer des formes simples pouvant être manipulées à partir d’un vrai rig. Lorsque l’océan fait jaillir un « tentacule » d’eau, celui-ci est un cône déformable que l’équipe anime en key frame. L’animation s’est avérée plus délicate que prévue car il fallait que le pseudopode reste partie intégrante de l’océan. Or, les tests ont révélé qu’il était très facile de voir le pseudopode comme une créature surgissant de l’eau, mais sans rapport avec elle.

Les effets visuels ont joué un rôle clé pour résoudre ce problème. Ce sont eux qui ont connecté visuellement le pseudopode et l’océan en s’assurant que les simulations de fluides à l’intérieur du cône « répondaient » à celles de l’élément liquide autour. Ensuite, l’équipe ajoutait l’écume, les gouttelettes, les bulles, etc. De fait, l’animation de l’océan a nécessité une collaboration inhabituellement étroite entre le département animation et celui des effets visuels. Tout ce que faisait l’un affectait l’autre, et inversement. De nombreux allers et retours ont été nécessaires pour qu’animation et simulations se retrouvent en parfaite harmonie.

Te Ka, le monstre du volcan
Le même type de collaboration a prévalu à la naissance de Te Ka, démon de lave qui se trouve au centre de l’action pendant la dernière partie du film. La créature volcanique a été animée en key frame à partir d’une géométrie humanoïde, puis les effets visuels ont ajouté les flammes sur la tête, les fissures de lave sur le corps, les écoulements de lave en fusion sur le sol, etc. Le personnage a été ensuite intégré dans l’environnement du volcan en éruption, au milieu des projections de lave et des colonnes de fumée. Ces dernières se sont d’ailleurs avérées problématiques lorsque les simulations, basées sur des paramètres réalistes, persistaient à entourer le personnage central au point de le masquer… Pour que le démon reste constamment visible, l’équipe a dû tricher sur les simulations afin qu’elles se concentrent sur les côtés et l’arrière du personnage.

Au final, entre la simulation de l’océan dans son ensemble, celles des manifestations physiques de l’océan, celles du démon de lave, et celles liées aux environnements (vent, flammes, etc.), le département effets visuels s’est retrouvé à réaliser le plus grand projet de toute son histoire. Plus de 80% des plans du film comportent des effets visuels ! Un chiffre ahurissant à comparer à celui d’un film comme Les nouveaux héros : malgré ses multiples explosions, ses destructions, ses créatures en nano-particules, etc., ce film-là comporte à peine 40% d’effets visuels. Et le plus beau, c’est que l’énorme travail accompli sur Vaiana passe inaperçu à l’écran : à l’image, la seule chose qui intéresse les spectateurs, c’est Vaiana et Maui…

NDLR: Et en ouverture de Vaiana, ne manquez pas l'excellent Inner Workings, dernier court d'animation de Disney dévoilé au festival d'Annecy.


Alain BIELIK, Novembre 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.