Zootopie

Le défi de ce nouveau Disney : animer ensemble et de façon crédible des animaux très divers.

Il semble bien loin le temps où les studios Disney enchaînaient les films insipides qu’on oubliait aussitôt vus, comme La ferme se rebelle ou Frère des ours. Depuis la sortie de Raiponce en 2010, la firme aux grandes oreilles vit une sorte de nouvel âge d’or et enchaîne les réussites commerciales et artistiques : La Reine des Neiges, Les Mondes de Ralph ou encore Les Nouveaux Héros. L’arrivée de John Lasseter, de Pixar, à la direction du studio en janvier 2006 n’y est sans doute pas étrangère…

Le dernier né, Zootopie, s’inscrit dans la même démarche que les deux précédents : un concept original, un design plein de fantaisie, et une réalisation inspirée. Dans le film de Byron Howard et Rich Moore, l’action se déroule dans un monde uniquement peuplé d’animaux. Ceux-ci cohabitent pacifiquement au sein de villes spécialement adaptées à leurs besoins.

Pour être portée à l’écran, cette idée insolite a nécessité l’un des plus importants efforts de design de l’histoire du studio. Dans un projet ordinaire, il s’agit « simplement » de visualiser un univers, mais dans Zootopie, il fallait aller bien au-delà du simple travail de design : en l’occurrence, trouver une solution logique aux milliers de questions soulevées par les différences de taille des personnages. Sachant par exemple qu’une girafe est 94 fois plus grande qu’une souris, comment concevoir un système de transport en commun qui soit adapté aux deux espèces ? De quelle façon le trafic automobile peut-il fonctionner avec des véhicules de taille si différente ? Et dans un restaurant, comment cela se passe-t-il ? Le travail de design allait donc bien plus loin que la seule conception visuelle, il fallait imaginer le fonctionnement d’un monde entier, calqué sur le nôtre, mais adapté à ses habitants.

Une nouvelle grammaire filmique

Le défi concernait aussi le layout, c’est-à-dire la manière dont les personnages allaient être filmés. Les premiers tests ont montré qu’il fallait inventer une nouvelle façon de cadrer l’action. Par exemple, si une souris était cadrée en pied au côté d’un éléphant, la patte de celui-ci occupait la moitié de l’image ! Avec de telles disproportions, le langage cinématographique habituel d’un film d’animation ne fonctionnait plus. Ainsi, les réalisateurs ont été obligés de multiplier les plongées et contre-plongées, notamment pour les scènes entre les deux héros : la lapine Judy Hopps et le renard Nick Wilde, le deuxième faisant le double de la taille du premier.

Pour renforcer les différences de taille, l’équipe a beaucoup joué sur la mise au point. Lorsque la caméra cadre un rhinocéros, toute l’image est nette car le sujet est de très grande taille, mais lorsque c’est une musaraigne qui occupe le même espace dans le cadre, l’arrière-plan est flou, comme cela serait le cas dans la réalité. Cette approche a donné au film un style naturel qui renforce la crédibilité de l’action. L’équipe a de la même manière intégré des imperfections volontaires dans les mouvements de caméra. Lorsque la caméra suit un personnage en train de se déplacer à grande vitesse, il y a un décalage entre le sujet et le cadre, comme si le caméraman avait du mal à rattraper le personnage à l’image. Une touche subliminale qui, là encore, confère à l’action un côté plus naturel.

L’animation
a entrainé, elle aussi, son lot de défis inédits. Sur un film traditionnel, la plupart des personnages sont très similaires, il y aura par exemple des humains et peut-être quelques animaux, ou un robot, ou autre. Cela se traduit par un nombre de cycles d’animation limité : au-delà des variations individuelles, tous les personnages humains marcheront de la même manière à la base. Sur Zootopie, c’est tout le contraire. Pas moins de 64 espèces de mammifères figurent dans le film. Et dans beaucoup de cas, le cycle d’animation de chaque espèce ne peut pas s’appliquer à une autre : une girafe ne bouge pas comme un éléphant qui lui-même n’a pas la même gestuelle qu’un félin, lequel n’a rien à voir avec un rongeur. Le développement de l’animation a donc été infiniment plus compliqué que sur un projet au sujet plus traditionnel.

Animations multiples et réalistes
Un film comme Monstres Academy comportait déjà un très grand nombre de personnages au physique totalement différent, mais ces créatures-là étaient imaginaires. Pixar pouvait s’amuser à loisir avec des cycles d’animation pleins de fantaisie. Dans Zootopie, le défi est bien plus grand car l’animation des animaux est basée sur leur version réelle. Même s’ils se déplacent tous sur deux pattes (y compris les girafes !), les personnages du film présentent tous le comportement caractéristique de leur espèce, que ce soit dans la démarche ou les gestes. Pour que le public s’attache à eux, il faut qu’il reconnaisse le vrai animal derrière le personnage.

Pour chacune des 64 espèces, l’équipe a dû étudier les animaux réels, observer leur comportement, analyser leur démarche, puis ensuite, en tirer une synthèse qui fonctionne sur une version bipède, qui plus est recouverte de vêtements adaptés… Les premières étapes ont consisté à visionner un maximum de documentaires et de vidéos. Les superviseurs de l’animation ont aussi beaucoup fréquenté les zoos et se sont rendus en Afrique pour observer les animaux sauvages dans leur environnement naturel : c’est une chose de voir un éléphant en vidéo, c’en est une autre de « sentir » sa masse et sa puissance en personne. Pour montrer le ressenti des petits animaux au passage d’un éléphant, il fallait le vivre en direct en tant qu’humain.

Le but de ces observations était de comprendre la nature profonde de chaque animal pour en tirer une animation logique et fidèle. Ensuite, les animateurs ont travaillé pendant des mois pour définir sur chaque espèce l’équivalent des émotions humaines. Les réalisateurs ne voulaient pas que les animaux aient des expressions totalement humaines. Ils devaient ressentir les mêmes choses que nous, mais les montrer de manière subtilement différente. Ainsi, l’équipe est restée relativement sobre sur le plan de l’animation faciale, mais a compensé en jouant sur la position des oreilles, très expressives.

D’une fourrure à l’autre
Comme si le design et l’animation ne présentaient pas assez de défis, le projet a posé en plus un problème technique majeur et inédit : quasiment tous les animaux de Zootopie possèdent une fourrure, un élément toujours très compliqué à réaliser. Non seulement il a fallu recouvrir de poils des dizaines de personnages, mais il a fallu aussi faire réagir ces poils au vent, aux vêtements, aux contacts physiques, etc. La solution : utiliser des simulations de poils à une échelle inédite dans le cinéma d’animation.

“L’une des directives de départ était de ne surtout pas donner à nos personnage l’allure d’animaux en peluche,” précise Scott Kersavage, superviseur de ces effets. “Nous avons fait de longues recherches pour atteindre cette authenticité. Et l’une de nos découvertes a été qu’au contraire des cheveux, qui sont semblables d’un être humain à l’autre, les poils des animaux sont très différents d’une espèce à l’autre. Ce dont nous avions besoin, c’est d’un contrôle accru sur chaque poil individuel et sur la façon dont ils bougent. Nous voulions être capables, par exemple, de montrer l’effet du vent. Dans le film, les rues sont constamment balayées par une petite brise qui fait bouger les poils. Par le passé, un seul poil guidait le mouvement de toute une touffe, mais c’était totalement insuffisant pour Zootopie. Ce qu’il nous fallait, c’est contrôler les poils un par un de façon suffisamment intuitive pour que le procédé puisse être appliqué à tous les personnages à poils sur quelque 1800 plans. Personne n’avait jamais tenté cela dans un film d’animation.”

Comme une telle technologie n’existait pas, le département R&D a mis au point une brosse virtuelle baptisée iGroom et destinée à gérer l’apparence des poils. C’est la grande nouveauté du film sur le plan technique. iGroom a permis par exemple de créer de façon réaliste les quelque 9,2 millions de poils qui recouvrent le corps de la girafe principale. Surtout, le logiciel a permis de « coiffer » chaque animal de façon à lui donner une implantation de fourrure qui soit unique, avec toutes ses imperfections et disparités.

Salué par des critiques dithyrambiques, encensé par le grand public, Zootopie marque une nouvelle réussite majeure des studios Disney. Prochaine étape dans cette série gagnante : Vaiana, à sortir dès le mois de novembre prochain.

Alain BIELIK, février 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 24 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.