Terre des Ours

Les ours, le Kamtchatka, la 3D relief : les coulisses d’un superbe documentaire animalier.

L’équipe de producteurs Les Films en Vrac (François de Carsalade, Thierry Commissionat, Benoît Tschieret, Guillaume Vincent) a une longue expérience cumulée de la production et de la réalisation, qui court du théâtre (3 Molière en 2008 pour La Vie devant Soi de Romain Gary produit par François de Carsalade) à la fiction et surtout au documentaire animalier (notamment Le Singe qui a traversé la mer, réalisé par Guillaume Vincent et produit par Thierry Commissionat, prix du meilleur film européen de nature en 2005).
Pour leur premier long métrage ensemble, ils ont placé la barre haut : filmer des ours, à l’autre bout du monde (le Kamtchatka en Extrême Orient russe), en 3D relief (une première pour un documentaire animalier !) et avec un budget limité (5 M€).

L’idée en est née chez Thierry Commissionat en 2007 après que TF1 lui ait suggéré de filmer un animal anthropomorphique pour mieux susciter l’adhésion du public. Guillaume Vincent et son coscénariste Yves Paccalet, vétéran de l’équipe Cousteau, choisissent le Kamtchatka comme terrain d’action pour sa beauté sauvage et inconnue du public.

Et le coproducteur Orange Studio les pousse ensuite à en faire le premier documentaire de cinéma en 3D-relief tourné avec des animaux sauvages et en milieu naturel. Ce qui sera fait en s’appuyant sur l’expertise en 3D relief de la société Cameron Pace group grâce à une rencontre avec Vincent Pace, l’associé de James Cameron.

Tournage au Kamtchatka
Après un test de matériel chez Cameron Pace à Los Angeles en avril 2011 et un repérage des lieux en septembre 2011, trois équipes se succèdent de mai 2012 à avril 2013 pour « engranger les images » nécessaires à cette épopée sauvage. Les environnements grandioses de la vallée des geysers et du volcan en éruption sont filmés en mai 2012 et février 2013. Les séquences sous-marines de migration des saumons sont tournées par une équipe dédiée au large de l’Alaska au printemps 2012.

Le principal tournage a lieu en juillet-août 2012 au bord du lac Kourile dans le sud du Kamtchtaka. Un lieu unique, entouré de volcans, classé Réserve de la Biosphère par l’Unesco, où pas moins de 2 millions de saumons viennent frayer chaque été et près de 200 ours se rassemblent pour festoyer à leurs dépens ! Deux équipes se partagent le travail sous la direction du réalisateur Guillaume Vincent secondé par le directeur de la photographie Lionel Jan Kerguistel. Et sous la protection constante d’un ranger russe gardien de la Réserve, car le tournage se fait souvent à quelques mètres seulement des ours…

La première équipe utilise 4 caméras Red en 2 rigs montables sur « flight head », cad sur un support télécommandé au bout d’un bras mécanique, lui-même monté sur bateau zodiac pour se déplacer rapidement d’un bout du lac à l’autre. Et pour mieux approcher les ours et les filmer à quelques mètres, il faut diminuer l’entraxe entre les 2 caméras jumelées : celle destinée à la vision de l’oeil droit est placée au-dessus (et non en-dessous comme d’habitude) pour pouvoir filmer au plus près du niveau de l’eau, et elle capte l’image à travers un miroir. Les objectifs utilisés sont des Fujinon 45-120 mm, sans focale longue à cause de la captation à travers un miroir.

Cameron Pace a dépêché sur le tournage un expert: Manning Tillman, 48 ans dont 17 d’expérience en prise de vues et stéréographie. Après des débuts comme assistant cameraman, Manning Tillman a débuté en 3D relief lors d’un concert de U2 et a poursuivi dans cette voie, officiant notamment sur Transformers 3 et Tron l’héritage. A lui de former l’équipe à la stéréoscopie et de veiller à ce que l’image soit élégante, conforme aux souhaits du réalisateur Guillaume Vincent.

La deuxième équipe, basée à l’autre bout du lac, filme les ours en plans larges à l’aide d’une « soulcam ». Il s’agit d’un ballon captif, légèrement aplati aux pôles pour diminuer la prise au vent, doté de petits moteurs électriques et qui porte un rig avec deux caméras Red en parallèle. Alors qu’un film comme Océans utilisait un mini-hélicoptère pour ses vues aériennes, Les Films en Vrac choisit pour Terre des Ours un dispositif encore plus discret pour effaroucher le moins possible les ours.

L’entraxe minimum est ici de 14 cm, avec des optiques Zeiss de 25mm pour filmer en plans larges, mais le réglage de la 3D relief en est compliqué d’autant. Un capteur Blackmagic (avec une demi-HD par œil anamorphosé) permet de visionner ces « rushes » chaque soir sur un téléviseur 3D.

Et, rencontre opportune, le photographe et cinéaste suisse Michel Roggo est venu lui aussi photographier les ours autour du lac Kourile. Spécialiste de la prise de vues en rivière, son matériel permet de réaliser pour Terre des Ours des vues  d’ours en train de pêcher sous l'eau.

Notons que la seule séquence non tournée sur place est celle des oursons nouveaux nés dans la caverne avec leur mère. Trop compliquée, trop dangereuse à réaliser dans la nature, cette séquence a été réalisée en avril 2013 dans les Pyrénées avec une ourse captive dans un abri spécialement aménagé.

Et après le tournage…
Un stock de 40 disques SSD (128Go chacun) est disponible pour enregistrer les images des caméras Red. Et chaque soir, le data manager Mathieu Straub fait tourner deux PCs spécialisés Onebeyond, fournis par Cameron Pace avec et des cartes Red Rocket qui accélèrent le rendu. Ces PCs sont aussi équipés des  logiciels Red Cine (vérification des images en anaglyphes pour pointer les éventuelles problèmes d’écart des caméras) et R3D Data Manager (sauvegarde des rushes sur cassette LTO et vérification des fichiers pour éviter les erreurs de copie). Ces cassettes LTO (1,5 To) servent d’intermédiaire entre le tournage et la postproduction : elles sont envoyées à un labo pour conversion des rushes au format DnX pour montage sur station Avid.

Au total, Terre des Ours cumule une petite cinquantaine d’heures de rushes : bien en-dessous des moyennes habituelles, mais assez pour avoir cette « souplesse dans la narration nécessaire à un sujet qui se dérobe » selon la formule de Guillaume Vincent.

Montage et bande sons sont réalisés à partir de mai 2013. L’automne est consacré à l’étalonnage et à la conformation du film, et surtout à l’enregistrement du commentaire en voix off par Marion Cotillard.

Terre des Ours déroule ainsi une épopée sauvage et tendre à la fois, de vie et de survie dans un environnement grandiose. Guillaume Vincent privilégie une narration  au plus près des faits, sans humaniser ou dramatiser les protagonistes, à rebours du récent Chimpanzésd’Alastair Fothergill.
Un parti pris qui sensibilise le spectateur selon Guillaume Vincent : «La vie des ours au Kamtchatka  suit le rythme des saisons : survivre à un très long hiver, remettre le corps en marche et se nourrir pour se préparer à l’hiver suivant. Et il y a aussi des thèmes inhérents à la vie des ours que je voulais raconter, comme la séparation de la mère avec ses petits au bout de 3 ans, tous les efforts qu’elle déploie pour les amener enfin à l’âge…. où ils vont partir. Le film place l’ours au sein de la nature et d’un grand cycle de la vie. Le spectateur prend alors conscience que chaque animal fait partie d’un tout et que c’est ce tout, cette nature, ces milieux qu’il faut préserver. L’ours est le symbole, l’emblème de cette nature à sauvegarder. »

La France a une tradition exceptionnelle de cinéma animalier qui dépasse ses frontières, de Cousteau à Jacques Perrin ou Nicolas Vanier. Les Films en Vrac s’inscrivent dans cette lignée avec ce superbe Terre des Ours qui vise une carrière internationale au-delà de la France et de la Russie. En attendant Géants des Mers/The Giants, leur prochain projet de long métrage animalier sur la migration des baleines entre Antarctique et Polynésie.

Wilhelm Kuhn, février 2014
Montage & réalisation vidéos : Wilhelm Kuhn