
Deborah Turbeville est une légende dans le monde de la photographie
et de la photographie de mode. Cette « Amoureuse du temps passé » eut
comme précepte de ne « jamais chercher à ressembler aux autres »
Il y règne une ambiance vaporeuse, une couleur quasi-paradisiaque
où l’intemporel flotte. Ses clichés élégants et distingués ont
introduit une esthétique étrange, hors du temps, rare et insoupçonnée
dans le milieu de la publication. Ils tendent à faire passer les modèles pour
des apparitions de souvenirs. Fiction, rêve et fantasme métamorphosent
le désir de s’échapper de la réalité, dans des lieux supposés abandonnés,
propices aux mises en scène de Deborah Turbeville.
Première femme photographe à travailler pour Vogue, où grâce à Richard
Avedon, la décrivant comme « un véritable événement dans le monde de
la photographie », en fit sa protégée. Elle s’imposa comme photographe
et artiste tant elle avait un style particulier, une vision originale. Son
reportage sur les « Bikinis dans une cimenterie » Alexander Liberman,
directeur de Condé Nast, le qualifie comme « le plus révolutionnaire du
moment ». Mais c’est son reportage de mode « The Bathhouse » qui la rend
célèbre. « Unseen Versailles » le confirme.
Cet ouvrage sur Versailles, né d’une commande de Jacqueline Kennedy-Onassis eut comme consigne d’évoquer « le sentiment qu’il y a des fantômes et des souvenirs ». Le regard ailleurs des modèles semble ignorer l’espace de leur
confinement. À ce stade elle rejoint son pygmalion Richard Avedon,
comme me le dit David Hamilton, qui admire tant l’oeuvre de Deborah
Turbeville, la comparant à Edgar Degas, à sa manière d’affronter la notion
de l’espace.
Deborah Turbeville retravaille ses clichés (tout comme un écrivain
son manuscrit, un cinéaste son story-board) consciemment dégradés,
artificiellement abîmés, grattant, scotchant, épinglant pour donner
l’illusion de vieux clichés et par là même, créant encore plus de mystère.
Serge Aboukrat