Richard Prince american prayer

Collectionneur ou artiste ? Richard Prince mêle les deux et  dévoile à la BnF sa collection d’ « Americana »,  les œuvres qu’il en conçoit et les ressorts de sa créativité.

Pour beaucoup, Richard Prince est la quintessence de l’artiste contemporain : newyorkais, célébrissime, continuateur du pop art et explorateur de la culture américaine contemporaine. Et ce qui ne gâte rien à notre sens, d’une sensibilité proche du graphisme dans sa façon de collectionner et juxtaposer objets  et images qui l’environnent. Richard Prince en tout cas ne laisse pas indifférent. La controverse concerne surtout sa pratique artistique d’ « appropriation » : à la suite de l’artiste dada Marcel Duchamp, qui le premier a exposé en 1917 un urinoir en le signant et le déclarant œuvre d’art, Richard Prince reprend des images ou objets autour de lui pour leur donner un nouveau sens et un statut d’œuvre d’art. On voit clairement la filiation avec le pop art d’Andy Warhol retraitant le portrait de Marilyn Monroe ou le visuel d’une boîte de soupe Campbell.

Mais Richard Prince va plus loin : dans beaucoup de cas, il intervient peu ou même pas du tout sur l’objet, il l’expose seul ou accompagné d’autres objets, et c’est dans cette mise en scène et cette construction que se situe son acte de création artistique. Il s’est ainsi rendu célèbre en rephotographiant les images de cow-boys des publicités Marlboro et surtout  en reprenant en 1983 une photo de l’actrice Brooke Shields nue à dix ans et en l’intitulant Spiritual America. Des gestes qui résument l’inspiration créative de Richard Prince qui se nourrit de l’imagerie en vogue pour mieux tourner en dérision la société américaine. Cette pratique d’appropriation lui vaut parfois des déboires : le mois dernier, Richard Prince s’est vu condamner par un juge new-yorkais pour avoir repris sans autorisation des clichés du photographe français Patrick Cariou.

L’exposition à la BnF
Point de telles photos à la BnF, mais « carte blanche » à Richard Prince pour nous  montrer à la fois son goût de collectionneur et l’inspiration qu’il en retire. Richard Prince est en effet un collectionneur assidu de livres, ainsi que de documents qui s’y rattachent (manuscrits, illustrations). Il a ainsi une vingtaine d’éditions de Lolita de Nabokov et un ensemble probablement unique de documents sur les auteurs des générations « beat hippie punk » selon son expression, des années 50 aux années 80. Egalement présents à la BnF, des ouvrages de littérature populaire, de la science fiction de Philip K Dick aux revues érotiques bon marché en passant par les romans de gare.

Le titre de l’exposition Richard Prince american prayer est tiré d’un poème de Jim Morrison, comme en écho au Spiritual America qui l’a rendu célèbre. Dans une ambiance musicale mêlant Jimi Hendrix, les Doors, The Clash et le Velvet Underground (tous artistes chéris de Richard Prince et dont il possède de nombreux documents), une cabane américaine en bois expose livres et documents, par exemples American/English, des éditions américaines et anglaises du même livre dont on peut ainsi comparer typos et mise en page/en perspective. En contrepoint, en sortie d’exposition, une « salle de lecture » remplis de faux livres et de vraies œuvres de Richard Prince dont deux des peintures Nurses que lui a inspiré le fantasme érotique de l’infirmière présent dans les romans populaires montrés en première partie d’exposition. Entre ces deux « salles », se déploie un espace périphérique structuré en sept parties, véritable invitation à un voyage au coeur de la Beat Génération, de la musique rock des années 60-70, des expériences et des excès des contre-cultures des années 1960-1980: Lolita & Lollipop, Beat Hotel, Bomb, Dreams, On the road, On the Bus, Criminals and Celebrities, Sex and Drugs and Rock and Roll.

A voir et même revoir à loisir, jusqu’au 26 juin 2011, cette american prayer, exposition en forme de voyage initiatique, à travers l’Amérique contemporaine et ses (contre-)cultures et à l’intérieur des ressorts créatifs de Richard Prince.

Paul Schmitt, avril 2011