Rire, horreur et mort

Affiches peintes des vidéoclubs et images des morts au Ghana.

 Après l’indépendance en 1957, la politique du Ghana en Afrique de l’Ouest privilégie le cinéma d’auteur, plus flatteur pour ce nouveau pays en quête d’identité nationale. Mais à partir des années 80, des cinéastes autodidactes profitent de l’apparition de la vidéo pour créer un cinéma délibérément populaire, retrouvant la tradition des contes et du théâtre et mêlant avec humour dans leurs films croyances, superstitions et fantasmes mélodramatiques. Au milieu des années 90, le Ghana produisait 50 films par an et le Nigéria 500 !

Réalisées à la demande, par des artistes ou des ateliers collectifs, brossées sur des toiles de sac usagées, les affiches des vidéoclubs louant ou vendant ces films attestent d’un style étrangement naïf et violent, délirant. Ces images de fantasmes, de terreur et de mort, produites au Ghana et au Nigeria, sont d’abord inspirées par les films d’horreur américains et mexicains mais constituent vite un genre autonome. Elles reflètent les mutations d’une société, ses conflits de pouvoir, de sexe et la fascination de l’argent. La religion y apparaît très présente, tout comme dans ces films moralisateurs : le bien triomphe toujours du mal.

Cette peinture populaire, apparentée à celle de la publicité spontanée ou des enseignes de coiffeur constitue un genre autonome, immédiatement identifiable, dû à des artistes individuels ou à des ateliers. Elle est quasiment anonyme, les signatures y sont rares ou cryptées. Le musée du quai Branly à Paris expose, jusqu’au 19 mai 2013, une trentaine de ces affiches fantastiques associées avec des objets funéraires et représentations traditionnelles des morts au Ghana.

Notons aussi que le même genre de folklore graphique est disponible chez nous, là-aussi sous forme d’affiches de cinéma. Celles des films américains de série B, science fiction et horreur notamment, dont certains ont inspiré les artistes ghanéens. Des qui ont été largement diffusés en Europe et en France: jusque dans les années 70, les « cinétrains » et autres salles de cinéma près des gares distrayaient les « bidasses » permissionnaires entre deux trains avec des films de série B, alternant eux-aussi horreur, science-fiction et fables mythologiques du style Hercule contre Maciste. Et les affiches de ces films arboraient un graphisme un peu moins sanglant mais presque aussi tapageur que ces affiches ghanéennes. A quand une exposition de telles affiches ? Nous sommes preneurs d’une telle mise en abyme.

Paul Schmitt, avril 2013