Le design en mouvement

Designer de génie et pionnier du design industriel français.

Actif de la fin des années 50 au milieu des années 90, Roger Tallon figure au premier rang des designers industriels français, au même plan qu’un Raymond Loewy, il est vrai plus américain que français, ou qu’un Philippe Starck qui a commencé à lui voler la vedette en design d’objets à partir des années 70. Du coup, Roger Tallon s’est consacré quasi-exclusivement pendant les années 80 et suivantes à sa discipline préférée : le design de transport. Sa longue collaboration avec la SNCF et la RATP, ses projets même non aboutis à l’étranger lui permettent de mettre en oeuvre son concept de design global, prenant en charge tous les aspects d’un projet : espace intérieur et extérieur, signalétique et même objets promotionnels liés à l’image de l’entreprise. Trains Corail, rames Duplex du TGV Atlantique ou encore le funiculaire de Montmartre ont marqué et marquent toujours notre époque.

La vision de Roger Tallon, aujourd’hui évidente, ne l’était pas à ses débuts. Ingénieur de formation alors que la plupart des architectes et designers français sont issus du monde des arts décoratifs comme son futur associé Pierre Paulin, Roger Tallon souffre d’être qualifié d’esthéticien industriel. Et va volontiers puiser son inspiration aux Etats-Unis où l’industrie a compris l’intérêt du design et où celui-ci dépasse le cadre de l’artisanat d’art pour adopter des méthodes rationnelles et industrielles. Olivetti, Braun et IBM sont, pour Roger Tallon, exemplaires du design global auquel il aspire. Il conçoit nombre de ses projets comme un tout dans lequel le nom, l’emballage, le transport, le logo font partie de sa réflexion. Pour les objets d’intérieur, Roger Tallon s’occupe même de la méthode de fabrication, adoptant des procédés industriels pour les chaises Wimpy (1960) à piètement aluminium, ou les sièges de bureau d’Eurosit (1979) recouverts de polyuréthane comme des sièges de voiture.

Ayant beaucoup fréquenté les milieux artistiques dans sa jeunesse, Roger Tallon établit aussi en 1973 la charte graphique de la nouvelle revue Artpress à la demande de sa fondatrice et rédactrice en chef Catherine Millet.  Trois principes y prédominent : le noir et blanc, la sobre police Univers, et la grille sur trois colonnes. « Pour que le magazine lui-même ne disparaisse pas tout entier sur les étals kaléidoscopiques des libraires, rappelle Catherine Millet, Roger Tallon eut aussi l’idée de tramer la photographie de couverture afin d’accuser encore les contrastes, de lui conférer une plus grande densité qui renforcerait l’impact visuel. Radical, il choisit une trame dite « vermicelle », irrégulière ». Une charte toujours en vigueur aujourd’hui.

Esthétiquement, Roger Tallon évolue au cours de sa carrière. « L ’homme qui arrondit les angles », selon l’expression de Catherine Millet, tourne le dos comme beaucoup de créateurs des années 1960 à l’angle droit propre à l’après-guerre. Les marches du célèbre escalier hélicoïdal M 400 (1966) évoquent des pétales de fleurs, les sièges Cryptogamme (1968) des champignons, ses services de table 3T (1967) ou ses emblématiques téléviseurs portables Téléavia (1963) sont tout en courbes.

Roger Tallon se refuse néanmoins à mêler art et design, soulignant la rationalité de sa démarche : « Je ne suis pas un intuitif, je suis dans la réalité la plus totale. Mon escalier M 400, apparemment organique, n’est pas un Brancusi. Il est le résultat d’une recherche sur les tensions du caoutchouc, il est aussi concret qu’une hélice d’avion. Je ne plaque pas de l’art sur de l’utilitaire ». Créateur à la forte personnalité, Roger Tallon a été un designer militant, a réinventé avec génie notre quotidien. Son héritage revit au musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu’au 8 janvier 2017, ainsi qu'à la galerie parisienne Jousse où vous pouvez voir de près et même toucher les pièces spectaculaires du Module 400 jusqu'au 8 octobre 2016.

Clémentine Gaspard, septembre 2016

PS:
remarquons aussi comment, en communication visuelle, les idées ont - heureusement- évolué depuis les années 70: plus personne n'oserait aujourd'hui utiliser des nus féminins pour promouvoir des sièges. Les produits solaires par contre...

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