Alain Le Quernec

"Mon métier ?
Affichiste ? Le mot est démodé.
Graphiste ? Trop technique.
Artiste ? Trop prétentieux
Publicitaire ? Pas d'insulte, s'il vous plaît.
Je ne suis pas sûr qu'il y ait un mot pour définir ce métier. Je ne suis pas sûr que ce métier existe."


Alain Le Quernec, le Breton, qui détourne les vagues grassesde la marée noire et en asperge la symbolique servante bretonne, la trop fameuse Bécassine qui en devient rouge de rage et qui, transformée en pétroleuse écolo, hurle sa colère contre l'Amoco Cadiz de triste mémoire.
Alain, le chasseur armé d'une affiche, ce "fusil à un coup"qui ne peut rater sa cible. Le safari politique n'est pas sans risque : le gros gibier blessé charge parfois... Mais le coup de crayon du graphiste d'élite fait mouche et brise le miroir trompeur d'un président qui se voyait volontiers en plus beau monarque de la Veme république.
Miroir brisé, 7 ans de malheurs : la sagesse populaire dit-on... Montage par attraction aurait théorisé Eisenstein, autre finconnaisseur de la rhétorique des images au service d'une cause.
Alain, maître de l'école du graphisme engagé s'entend, qui détourne le portrait officiel d'un président en exercice et par l'ajout de trois inoffensifs triangles l'affuble d'un bonnet d'âne minimaliste - voire suprématiste -  et mine l'allure martial qui pointe encore sous ce couvre-chef tricolore et iconoclaste. Alain, l'amateur de jeux de mot, aime par dessus tout l'économie de moyens.
Exemple : Boycott Total, faut-il l'expliciter ? Cette main caoutchoutée de bleu est plus intrigante. Bien sûr, c'est celle des volontaires - plutôt en jaune d'ailleurs - qui nettoyent l'infâme marée noire revenant semble-t-il avec la régularité des grandes catastrophes naturelles. Le propos est grave certes, mais n'y a-t-il pas quelque dérision, dans cette icône de lutte en costume de vaisselle?
Peut-être...
En tout cas, chez Alain, le militant, l'humour n'est pas interdit de séjour et l'utopie a l'élégance de sourir d'elle-même. Alain, le styliste, a fait ses classes en Pologne, chez Tomaszewski. Les amateurs de généalogie artistique apprécieront l'inspiration. Certaines images sont fortes, très fortes, trop fortes : il faut lutter avec elles et contre elles. La table à dessin est une potence où l'artisan graphiste fait son office de bourreau des clichés. Il faut les briser, leur tordre le cou, les découper en morceaux, les écarteler, ou encore les copier-coller...
Mais, l'exercice est jubilatoire, et parfois on s'y enivre... et l'affiche se transforme en shaker dans lequel le graphiste secoue à l'envi quelques échantillons puisés dans le stock des icônes consacrées. Il en ressort un cocktail au sens propre : une queue de coq, une gerbe de couleurs au goût décapant dans laquelle les vieilles images retrouvent fraicheur et jeunesse. On y invite souvent au théâtre ou à l'Opéra.
A déguster sans restriction... Et puis, Alain le pédagogue, et quelle leçon !
Avec cette incroyable histoire des vraies-fausses publicités réalisées par des collégiens, sous la houlette du prof de dessin qui n'est autre que le sieur Le Quernec, publicités qui placardées dans toute la ville, font du bruit à Quimper, dans tout le département jusqu'à Landerneau et au-delà. Scandale, procès, toutes les télés du monde viennent filmer ces affichistes mineurs qui font trembler les géants industriels du tabac. Qu'ont-ils donc montré de si terrible ces adolescents ? Après tout, ils n'ont fait que suivre les préceptes de leur bon maître.

Oui, mais quand le talent s'y mêle, alors, quelle force, quelle charge, quel retournement de situation ! La publicité est prise à son propre piège...
Les images n'étaient donc pas naïvement séduisantes, elles possédaient aussi cette force cachée quele graphiste doit révéler. Alain, le disciple sincère de la maïeutique graphique, frère du sculpteur inuit qui ne s'arroge d'autre mission que de faire naître la figure qui était déjà présente dans le morceau d'ivoire, avant qu'il ne le choisisse pour accomplir cet acte sacré de révélation...

Propos recueillis par Thierry Le Boité