Château Fort Fort
Être agitateur de manière raisonnée, mais surtout expérimenter : le design est un voyage au long cours selon Anabelle et Sébastien, fondateurs de ce jeune studio graphique.
La galerie Toutouchic de Metz fait décidément office de découvreur de talents graphiques. Après Benoît Bodhuin à l’automne 2013, c’est au tour de Château Fort Fort d’y montrer ses recherches personnelles, en particulier l'expérience Datatopia 3.0.
Jeune studio de design et de communication, Château Fort Fort est créé en 2012 à Lyon par Anabelle Delaunay et Sébastien Noguera à la sortie de leurs études. Anabelle est diplômée d'un DSAA Design graphique de l'école de La Martinière-Diderot (Lyon). Sébastien est diplômé d'un DSAA In situ Lab du lycée Le Corbusier à Illkirch-Graffenstaden (67) et est également enseignant à l'École d'Art de Bellecour de Lyon depuis 2013.
Château Fort Fort intervient dans la conception et la réalisation d'identités visuelles, de projets de communication papier ou web, d'édition et de multimédia dans les domaines culturels, institutionnels et industriels. Une large palette qui n’empêche pas, se nourrit même de recherches personnelles comme nous l’expliquent Anabelle et Sébastien.
Un parcours professionnel…
« Notre rencontre remonte à nos études communes de BTS Communication visuelle au lycée Jeanne d'Arc de Rouen où, après un cursus littéraire et une mise à niveau pour Anabelle et un enseignement d'arts appliqués pour Sébastien, nous n'avons cessé de travailler ensemble. Nous sommes en réalité une société de fait, la réunion de deux professionnels indépendants du design graphique sous tutelle d'un même donjon.
Nous avons depuis nos débuts quelques clients réguliers, par exemple l'entreprise de travaux publiques Razel-Bec pour qui nous concevons les cartons d'invitation de ses événements vinicoles. Leur enthousiasme et leur ouverture vis à vis de la ligne graphique mise en place et de ses déclinaisons nous pousse à conforter nos relations. C'est ce qui a aussi découlé de notre projet d'identité graphique pour le designer Marian Dumontet réalisé il y a deux ans : nous venons tous juste de finaliser l'identité de sa jeune marque d'objets et de mobilier Gone's créé en collaboration avec son frère. Une aventure positive et enrichissante.
En dehors de ces contacts nées de réseaux communs, beaucoup de nos projets sont des réponses à des marchés publics où nous nous investissons entièrement, un exercice très formateur et constructif. Et nous ne lésinons pas sur la réflexion et la mise en œuvre de projets auto-initiés : plaquettes de présentation, cartes de vœux, sites internet et autres projets multimédias qui sont des vecteurs de développement et d'affirmation de nos dess(e)ins. »
… sous le signe du design graphique
« Le design graphique est un univers en constante expansion, parsemé de multiples facettes toutes plus scintillantes les unes que les autres. Avec les avancées technologiques et les récentes interrogations sur le positionnement du designer en société, il devient de plus en plus difficile d’en définir les frontières.
C'est pourquoi, afin de garder le cap, nous nous appliquons volontairement à respecter quelques préceptes, en adéquation avec le principe d'innovation que doit nécessairement promouvoir un professionnel du design.
Être agitateur de manière raisonnée, penser de manière "latérale" mais surtout expérimenter pour mieux juger les réalités de notre travail, de notre métier; surtout de nous-mêmes. Voici les grands principes de notre implication professionnelle. Le recul et l'autocritique quadrillent notre conduite de travail : nous gardons à l'esprit que tout projet abouti aura un jour le malheur (ou la chance) de finir aux oubliettes. C’est donc bon signe lorsque, jetant un regard sur nos projets passés, nous décelons les porte-à-faux et les fissures de nos réflexions. Cela nous renseigne sur la structure de notre regard et de notre pratique, sur son renforcement et son évolution.
Dans cette nébuleuse qu'est le design graphique, notre bagage intellectuel et professionnel est constamment à renouveler. Il est important de naviguer, au sens large comme au sens figuré, vers des contrées déjà explorées afin d'acquérir le pouvoir de se perdre intelligemment. En saisissant les enseignement d'expériences passées nous devenons aptes à entreprendre nos propres croisières: le chemin le plus court n'est pas forcément le plus droit, c'est celui dont le vent aura gonflé au mieux les voiles de notre embarcation. »
Inspirations et influences
« Une discussion dans un bar, une estampe du XIXe siècle, la toiture d'une église alsacienne, l'implantation d'une chevelure… Tout est source d'inspiration dès qu'on en saisit l'essence. Le designer ausculte, écoute, ressent, questionne. C’est un métier d'empathie. Le designer travaille à améliorer la vie. Ici il doit simplifier les usages, là il doit rendre plus lisible, mais dans tous les cas, il s’adresse aux Hommes.
De ce fait les enseignements de designers tels Joseph Muller-Brockmann, Johannes Itten, Jan Tschichold, Jost Hochuli ou Kenya Hara, pour ne citer qu'eux, sont pour nous les bases sur lesquelles débuter tous nouveau chantier. Plus l'intérêt pour des studios de design et de recherche tels que Conditional Design, Dexter Sinister, Metahaven, etc. Et, comme précisé auparavant, nous sommes partisans de voyages vers des horizons nouveaux. Nous apprécions en particulier le design graphique japonais et l'engagement des travaux de Kashiwa Sato, de Tadanori Yokoo, d'Ikko Tanaka, ou de Yusaku Kamekura.
Ces inspirations et influences sont inestimables pour notre métier, mais pas seulement. La littérature, les thèses théoriques et philosophiques, la connaissance des cultes ainsi que le fourmillement réel et virtuel des réseaux sociaux sont comme des reflets à partir desquels nous, designers, appliquons honnêtement notre valeur ajoutée, notre savoir-faire. Car les solutions du designer s'adressent avant tout à ses contemporains. Nous devons donc rechercher à ancrer dans notre temps les bases durables de concepts définit d'après l'analyse solide des projets qui nous sont confiés. »
Datatopia 3.0
« Notre dernière réalisation en date est le projet Datatopia 3.0, actuellement exposé à la Galerie Toutouchic de Metz jusqu’au 7 février 2014 . C'est un projet de recherche alternatif s’interrogeant sur les facultés «inespérées» (visuelles, formelles, architecturales ou même sociétales...) de l’erreur, et cela par l’emploi désorientant du détournement.
Partis d'une image choisie au hasard nous avons pris le parti de lui faire vivre le principe de l'erreur active, en en introduisant dans le code du fichier et en l’interprétant ensuite dans de nouveaux logiciels de création (ndlr : le processus détaillé est en commentaire des images en fin de galerie ci-contre) . Au final, ce processus résulte en la création d'un objet 3D, d'une vidéo immersive tridimensionnelle ainsi que d'un son l'accompagnant : trois formes de réalités toutes issus d'un seul et même noyau. En gardant cette disposition à l’inattendu – à la surprise – et en recherchant et réutilisant l’imprévu, nous pourrions mener à bien des œuvres novatrices car « inespérées». »
Et l’avenir ?
« En plus d'une volonté d'approfondir notre rapport avec l'objet "livre", nous souhaiterions par la suite intégrer au terreau de notre démarche la création scénographique, pour se jouer de l'espace et élargir ainsi notre expertise à d'autres médiums et contraintes. Et comme nous sommes encore jeunes, chaque expérience menée sera l'occasion d’élargir notre regard et notre connaissance des rhizomes de notre métier. »
Propos recueillis par Paul Schmitt