Maroussia Jannelle passe à table
Installée au cinquième étage d’un immeuble du IIIe arrondissement, Maroussia Jannelle domine Paris.
Un point de vue qui ne l’empêche pas de garder les pieds sur terre et de signer sans naïveté, avec humilité et professionnalisme, la communication visuelle d’institutions culturelles françaises dont elle commence à devenir une actrice incontournable.
Le studio de Maroussia Jannelle - alias Maji - est un appartement : tomettes au sol, plusieurs petites pièces dont une véritable cuisine qui occupe quasiment la moitié du studio. Cette jeune graphiste de 31 ans, formée l’Ensad, indépendante depuis sa sortie de l'école, reçoit avec les petits plats dans les grands. Elle évolue avec talent et sans naïveté au sein de la scène culturelle française au coeur de laquelle elle a déjà accroché quelques étoiles. Car il est un peu question de cuisine. Travailler dans le champ culturel demande des compétences étendues et un vrai sens de l'organisation : il faut tenir compte des contraintes techniques, budgétaires et même temporelles, du rapport aux publics, savoir comment le lieu se positionne, répondre à des objectifs spécifiques .
En résumé, il faut savoir être multi-tâches - graphiste, mais aussi illustrateur, typographe ou photographe - puisque les budgets ne permettent pas de faire appel à d’autres fournisseurs… Il faut également tenir compte des contraintes techniques, budgétaires et même temporelles, du rapport aux publics, savoir comment le lieu se positionne, répondre à des objectifs spécifiques…
Révélée aux côtés de Florence Jacob avec qui elle opérait sous l’enseigne Jacob&Jannelle, Maroussia est désormais seule aux fourneaux après leur séparation, il y a trois ans. Elle poursuit ses créations dans l’univers culturel, en travaillant pour de nombreuses institutions, à commencer par La Ferme du Buisson dont elle signe la communication visuelle depuis 2001. Elle a également reçu à sa table d’autres grands noms de la culture, comme l’Imec (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine -ndlr), Images au Centre (manifestation d’exposition de photographie contemporaine dans les châteaux de la Loire), Arcadi (Action Régionale pour la Création Artistique et la Diffusion en Ile-de-France), ou encore l’Onda, l’Office National de la Diffusion Artistique.
Pour chacun de ces commanditaires, Maroussia Jannelle tente de mettre en place une communication globale, signant l’ensemble de l’identité visuelle, du logo aux brochures, en passant par la charte graphique, le dessin typographique ou le site Internet. C’est pour ces dernières applications, entre autre, qu’elle travaille désormais avec un jeune graphiste, Benjamin Gomez, 27 ans, lui aussi issu de l’Ensad après une formation typographique, et avec qui elle a conçu les typographies d’Arcadi et de La Ferme du Buisson. Il vient de la rejoindre au sein du studio pour d’autres collaborations, toujours en tant qu’indépendant. Si elle adore cuisiner, Maroussia n’aime pas les brigades, les batteries, les intermédiaires et encore moins le surgelé, le réchauffé ou la cuisine industrielle… Elle est de ces chefs qui cuisinent avec une certaine éthique, refusant les appels d’offres non rémunérés et privilégiant une certaine complicité avec son commanditaire à qui elle demande de respecter son travail tout en acceptant rapports de force et contraintes.
Pour qu’un projet graphique parle au public, il faut qu’il soit investi, qu’il y ait une vraie générosité dans les échanges pour s’accorder sur un langage visuel partagé. Elle évoque même une responsabilité citoyenne, une approche politique de la création, au sens premier du terme, et si elle ne travaille pour aucun parti ni grande cause, Maroussia tente de créer un discours cohérent, qui a une capacité de résistance formelle, face aux différentes contraintes de la commande. Ouverte, généreuse mais pas naïve (les institutions culturelles tendent à opérer comme certaines structures privées, avec trop d’intermédiaires, une structure pyramidale et des mises en compétitions gratuites), elle commence par travailler avec les mots, au moins aussi importants que la matière visuelle dont elle se nourrit. Par la suite, elle poursuit sa création, cherche les saveurs, l’émotion, mélange intelligemment l’illustration vectorielle et la photographie, joue avec les profondeurs, la couleur et la typographie à laquelle elle attache une importance toute particulière. Il n’y a pas que le travail, je n’envisage le boulot que dans l’échange, précise-t-elle. Elle aime créer, goûter, présenter, partager. Sans chercher à décrocher d’autres étoiles à tout prix, elle continue à raconter une histoire, pour toucher les gens, démarche peu, est sensible aux critiques et préfère aller au bout d’une relation en rappelant que c’est l’inculture du langage visuel qui fait une mauvaise communication ! Sa dernière commande : la charte graphique du Crac-Scène Nationale de Valence, Centre Recherche d’Action Culturelle. C’est Jérôme Delormas, ancien Directeur Artistique du Centre d’Art Contemporain de la Ferme du Buisson et actuel Directeur du Crac, qui la contactée pour mettre en place une charte graphique, verrouillée mais modulable à souhait… un peu comme une règle du jeu, une recette à concevoir à partir d’ingrédients prédéfinis.
En passe d’être renommée Lux, qui signifie Lumière en Latin, cette première et unique scène nationale consacrée à l’image fera appel à des graphistes différents à chaque saison. C’est à La Bonne Merveille, un studio dont nous avons parlé récemment, que reviendra la charge de signer la première communication annuelle. Si Maroussia aime mettre en place la communication d’un lieu, elle ne cherche pas à s’imposer, à se placer eu premier plan, partageant voloniters ses entrées et même ses recettes. Après avoir été reçu à sa table, croyez-moi, on y prend goût !