Age de glace 4

Retour en force et en nombre pour les héros de cette saga préhistorique, avec un quatrième épisode qui accumule les défis techniques et les personnages. Cette fois, les héros vont se retrouver confrontés à une bande de pirates aussi loufoques qu’impitoyables.

Comme dans toute saga qui se respecte, l'ambition des réalisateurs deL’Age de Glace est montée d'un cran avec le 4e opus. Place au grand spectacle avec une aventure loufoque qui nous révèle la véritable histoire de la dérive des continents: c'est Scrat le coupable! Séparés du reste du groupe par un séisme, Sid, Manny et Diego se retrouvent piégés sur un iceberg qui part à la dérive sur l'océan. Après les dinosaures deL'Age de glace 3, ce sont ici des pirates qui donneront du fil à retordre aux héros...

Le cadre marin se prêtait particulièrement à l'introduction du format scope dans la saga. Le film a été réalisé au format de 2.35:1, une rareté dans le cinéma d'animation. Autre nouveauté dans L’Age de Glace 4, l'arrivée de l'inévitable relief 3D. La stéréoscopie s'est avérée particulièrement à son avantage dans la scène de tempête où les vagues semblent balayer le spectateur.

L'animation a été co-supervisée par Nick Bruno, dont il s'agissait du premier projet à ce niveau de responsabilités. Il raconte à Pixelcreation cette expérience mémorable.

Pixelcreation : Quel a été votre rôle sur ce film ?
Nick Bruno : J'ai dirigé toute l'animation avec un collègue. Notre premier rôle consiste à servir d'intermédiaires entre les réalisateurs et les animateurs. Ensuite, on travaille en étroite collaboration avec les animateurs et les autres départements pour aider à développer les personnages, pour les faire agir de la manière qui nous semble la plus amusante. Quand on est sur un film, on se sent comme un groupe d'acteurs. On a même souvent l’air ridicule car on mime l’action pour bien la ressentir physiquement. Si Mémé, la grand-mère de Sid, est souriante, on fait des grimaces maladroites pour essayer de trouver le bon sourire. Comme elle n'a pas de dents, nous essayons d'imaginer ce que cela fait dans notre bouche et nous commençons à animer le personnage de cette façon…

Pixelcreation : Comment le groupe fonctionnait-il au quotidien ?
Nick Bruno : Le matin, on commençait par visionner tous les plans qui avaient été finalisés la veille. Nous disposons pour cela d’une véritable salle de projection. Les plans sont projetés avec les dialogues et une bande son temporaire avec musique et bruitage. Ils sont aussi présentés dans le cadre de la scène où ils seront intégrés. La scène est donc pré-montée par notre équipe de montage. L'idée est de découvrir le plan sur grand écran de la manière la plus proche possible de celle des futurs spectateurs. C'est le meilleur moyen de ressentir ce qu'ils vont ressentir. Ensuite, je passe ma journée à aller d'animateur en animateur pour discuter des plans en cours.

Pixelcreation : Parlez-nous du travail avec les acteurs.
Nick Bruno : Comme presque toujours dans les films d'animation, les acteurs ont enregistré leur dialogue séparément. Leur emploi du temps ne permettait pas de les réunir pour les enregistrements. On les a filmés en vidéo de manière à avoir une référence pour l'animation faciale. Certains acteurs étaient très physiques dans leur interprétation, d'autres beaucoup plus sobres. Les réalisateurs avaient décidé de ne pas leur demander de jouer les scènes physiquement, ils préféraient les voir se concentrer sur leur interprétation vocale. De toute manière, les animateurs étaient encouragés à laisser libre cours à leur inspiration. On n'était pas dans un film en performance capture.

Pixelcreation : Avez-vous procédé à des mises à jour techniques des personnages pour ce film ?
Nick Bruno : Très peu. Nous avons simplement ajouté des contrôleurs supplémentaires ici et là. On cherchait à obtenir un rendu plus organique sur le visage de Sid et de Manny. La majeure partie de notre effort a porté sur les nouveaux personnages. Tout le monde était très excité à l'idée d'animer cette bande de pirates ! On avait tous joué aux pirates quand on était enfant, alors c'était un vrai bonheur que de retrouver cet esprit-là dans un film.

Pixelcreation : Quels étaient les défis posés par ces nouveaux personnages ?
Nick Bruno : L’un des défis a été d'associer le côté pirate et le côté animal. Il fallait qu'on tire le meilleur parti de chaque anatomie. Par exemple, l'un des pirates est un kangourou. On s'est dit que la particularité de cet animal était sa poche et on a imaginé d'en faire le lieu de stockage de tout un arsenal. Dans une scène, on le voit sortir une épée gigantesque, on se dit : « comment diable cette arme pouvait-elle tenir dans cette poche ?! », la réponse est : « On n'en sait rien ! » [Rires] Donc, pour chaque animal, on essayait de trouver une ou plusieurs caractéristiques qu’il pouvait exploiter en tant que pirate. Autre exemple, le pirate lapin. Avec ses pattes puissantes, on a eu l'idée d'en faire un personnage ultrarapide. Mais d'un autre côté, on l’a doté d'une sorte de complexe de Napoléon, c'est-à-dire qu'il est trop petit et trop mignon pour vraiment faire peur, ce qui, en tant que pirate, le frustre énormément…

Pixelcreation : Le personnage du capitaine Gutt, l'orang outan chef des pirates, est très intéressant.
Nick Bruno : Oui, son évolution a été très longue. Au départ, c'était un lapin ! Je vous l'accorde, ça n'avait rien à voir avec le résultat final ! On avait réussi à en faire un personnage très drôle, mais il lui manquait quelque chose. Il n'avait pas assez de présence dramatique. De ce lapin, on est parti à l'extrême opposé et on a envisagé d'en faire un ours, mais là, on s'est dit qu'on avait trop vu ça dans les films récemment [ndlr – y compris dans Madagascar 3]. On a alors cherché un animal qui pouvait être à la fois grand, effrayant, et original. Et on a pensé à l'orang-outan. Tout de suite, ça nous a donné une personnalité très particulière. La caractéristique de ce primate, c'est son mélange de lenteur et de puissance. On s'est dit qu'on pouvait exploiter cette lenteur pour en faire un personnage vraiment menaçant. Comme la plupart des autres personnages sont très mobiles, le contraste avec Gutt était saisissant. Ça rendait le personnage d'autant plus remarquable.

Pixelcreation : Kira, la tigresse aux dents de sabre, est elle aussi assez fascinante…
Nick Bruno : Elle a été très difficile à finaliser. À l'origine, elle était exactement de la même race et de la même couleur que Diego, notre tigre à dents de sabre. Le problème, c'est qu'on avait du mal à faire la différence. Alors, on a décidé d'en faire une tigresse blanche, et pour la rendre encore plus séduisante, on lui a donné les yeux d’Elisabeth Taylor… Son animation été assez délicate, car elle devait présenter une personnalité assez dure en tant que pirate, mais aussi rester très féminine. L'équilibre n'était pas facile à trouver. On s'est inspiré du personnage de Kate dans la série Lost, une femme très belle mais qui pouvait être aussi très dure. On a travaillé le côté féminin de Kira avec de petits détails, par exemple, la manière de poser ses pattes sur le sol, un comportement plus réservé que celui des autres pirates. Surtout, on s'est servi de ses longs cils pour jouer sur les regards.

Pixelcreation : À l’inverse, on est dans le burlesque total avec Mémé, la grand-mère de Sid l’oppossum
Nick Bruno : En fait, avec Mémé, on voulait susciter des sentiments partagés. D’un côté, elle essaie de faire de bonnes choses, mais de l’autre, elle peut être vraiment méchante. Nous nous sommes beaucoup inspirés du personnage de la grand-mère acariâtre dans la vieille série comique The Beverly Hillbillies (1962-1971). On s’est bien amusé avec ce personnage, on a pris quelques libertés avec la réalité, par exemple en lui permettant de se déplacer beaucoup plus vite qu’une personne âgée normale !

Pixelcreation : Sur le plan technique, le film a dû être un vrai défi côté simulations.
Nick Bruno : Tout à fait. Notre département effets visuels a fait des merveilles, à commencer par les scènes en mer. Nous voulions aborder l’océan comme un véritable personnage. Il pouvait être en colère ou bien apaisé, ce qui nous donnait une tempête ou bien une mer calme. On procédait de la manière suivante. Les effets visuels commençaient par créer une simulation sommaire qui fournissait le mouvement de base de la surface. On récupérait cette simulation et on animait les personnages là-dessus. Puis, on renvoyait le plan aux effets visuels, et la simulation était peaufinée. Ensuite, on le récupérait une nouvelle fois pour voir s'il fallait rectifier l'animation, et ainsi de suite. C'était la première fois que je travaillais ainsi avec des mouvements d'aller et de retour entre deux départements. Le but était de faire ressentir aux spectateurs le mouvement de la houle, sans pour autant les rendre malade !

Pixelcreation : Quels types de simulation aviez-vous sur les personnages proprement dits ?
Nick Bruno : Il n'y en avait aucune sur les personnages récurrents de la saga. Depuis le premier film, tous les mouvements de type simulation (fourrure, queue, etc.) sont réalisés à la main à partir de set-ups automatisés. Pour que des simulations soient possibles, il aurait fallu revoir complètement les personnages et nous n'en avions pas le temps. Par contre, les nouveaux personnages ont eux été conçus pour bénéficier de simulations le cas échéant. Cela comprend la barbe du capitaine, les vêtements de certains pirates, les mouvements de peau de l'éléphant de mer, etc. Cela dit, ces simulations restent relativement discrètes car il ne doit pas y avoir de différence visible entre les nouveaux personnages et les anciens.

Pixelcreation : Comment l'équipe d'animation était-elle organisée ?
Nick Bruno : Le département comportait environ 70 animateurs, l'ensemble du processus a duré 12 mois. Les animateurs passaient d'un personnage à l'autre en fonction des plans qu'on leur confiait. La seule exception était Gutt, il disposait de « sa » propre équipe. Pendant la préparation, un groupe d'animateurs a étudié les orangs-outans, visionné des vidéos, analysé leur manière de se mouvoir, etc. Ils se sont ensuite occupés de tous les plans de Gutt. Toutefois, ils étaient libres de travailler sur d'autres personnages de temps en temps. Lorsqu'un membre de l’équipe exprime le souhait de s'occuper de tel ou tel personnage, le résultat est toujours très satisfaisant car son inspiration se traduit par une énergie supplémentaire dans le plan. Et puis, c'est plus gratifiant pour un animateur de toucher un peu à tous les personnages, ça entretient sa motivation…

ALAIN BIELIK, juin 2012
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis plus de 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.