Le temps des dinosaures
Troisième aventure pour Sid, Manny et Diego, et Scrat bien sûr! Une histoire qui les propulse dans un univers inédit et spectaculaire. Avec en prime, le bénéfice de l’image en 3D relief, une grande première pour Blue Sky Studios.
La saga L’Âge de Glace, c’est de l’or en barre pour Blue Sky Studios. Filiale de 20th Century Fox, la société d’animation 3D n’a pas encore développé autant de méga franchises que DreamWorks avec Shrek et Madagascar même si le récent Horton(2008) a été un franc succès aux États-Unis où le livre original est un classique incontournable. Avec L’Âge de Glace (2002), Blue Sky a réussi à faire mouche dans le monde entier. Et mieux encore, à fédérer un public beaucoup plus large avec le second filmen 2006 : 380 millions de dollars de recettes mondiales pour l’opus 1, plus de 650 pour le second ! Autant dire que la plus grande attention a été portée à la réalisation du troisième film.
On y retrouve Sid le paresseux, Diego le tigre aux dents de sabre, et Manny, le mammouth, ainsi qu’une grande partie des personnages rencontrés dans le deuxième film. Comme souvent, c’est Sid qui va mettre le petit groupe dans le pétrin. Lorsqu’il disparaît sans laisser de traces, ses amis partent à sa recherche et découvrent l’entrée d’une caverne qui mène à un gigantesque monde souterrain dont personne n’avait jusque-là soupçonné l’existence. Ils découvrent aussi que ce monde est le royaume de dinosaures qui ont survécu depuis l’ère jurassique. La rencontre entre les braves mammifères et les féroces dinosaures va être explosive…
Leur quête sera suivie à distance par Scrat, l’écureuil fou, lui aussi de retour avec un rôle encore plus étendu. Les responsables du studio sont toujours étonnés de l’incroyable popularité de ce personnage déjanté. Il faut rappeler qu’il n’avait qu’une présence anecdotique dans le premier opus, mais la scène était sans doute la plus mémorable du film. Depuis, chacune de ses apparitions est plébiscitée par le public, tant et si bien qu’il est devenu la mascotte de la saga, celle qu’on met en scène dans le teaser pour promouvoir le film à venir. De vrais films en miniature, ces teasers sont un régal absolu pour les amateurs d’animation "nonsensique" façon Tex Avery.
Up/Là-Haut, le Pixar de l’année étant déjà sorti depuis un moment aux États-Unis, L’Âge de Glace 3 a tout l’été devant lui pour engranger un maximum d’entrées. Et tout comme Là-Haut, il est en 3D relief (dans les salles équipées, bien sûr), une technologie qu’il a fallu apprendre à maîtriser sur le tas. C’est ce que Jim Bresnahan, superviseur de l’animationd'Age de Glace 3, a expliqué à Pixelcreation.
Pixelcreation : Quel a été votre rôle sur ce projet ?
Jim Bresnahan : En tant que superviseur de l’animation, j’assurais la bonne marche du département animation. Celui-ci était placé sous la direction de Galen Chu, superviseur senior de l’animation, qui était en liaison permanente avec le réalisateur Carlos Saldanha. Ma mission consistait à assister aux rushes avec Carlos, Galen, et les principaux animateurs, puis à passer de poste en poste pour guider les animateurs, répondre aux questions, corriger certains plans, etc. Quand j’avais un peu de temps, j’essayais d’animer moi aussi. C’était mon petit plaisir…
Pixelcreation : Vraiment ? Quels plans avez-vous faits ?
Jim Bresnahan : Je me suis, entre autres, « gardé » un plan de Scrat et de Scratina, la Scrat girl. La scène de leur rencontre autour d’un gland était propice à des effets d’animation délirants. J’ai fait le plan où Scrat retire le gland des pattes de la femelle et part avec un air vainqueur.
Pixelcreation : Les aventures de Scrat sont devenues comme un film dans le film. Cela doit vous mettre une certaine pression, car vous savez à quel point le public adore ces petites scènes.
Jim Bresnahan : Oui, à chaque fois, on doit se surpasser. Il faut trouver quelque chose qui soit plus spectaculaire et plus drôle que dans le précédent. Et là, avec l’apparition de Scrat girl, nous avions un atout majeur pour renouveler le personnage.
Pixelcreation : Dans le deuxième film, Manny rencontrait une femelle mammouth. Cette fois, c’est Scrat qui tombe amoureux. Ces romances à répétition, c’est la formule magique pour injecter de la nouveauté dans l’histoire ?
Jim Bresnahan : Si l’on veut, oui, même si ça reste anecdotique. Il y a toujours une grande histoire derrière : le dégel dans le second, le monde des dinosaures ici. Cela dit, c’est vrai qu’on pourrait refaire ça pour le quatrième film. Avec Diego, peut-être ? [Rires]
Pixelcreation : Êtes-vous directement passé d'Age de Glace 2 au 3 ?
Jim Bresnahan : Non, il y a eu Horton entre temps. Et ça nous a d’ailleurs causé pas mal de problèmes parce que ce film a été fini plus tard que prévu. Du coup, nous nous sommes retrouvés avec un planning extrêmement serré pour L’Âge de Glace 3 : à peine 10 mois pour animer tout le film ! C’était un peu fou… D’ordinaire, avant d’attaquer l’animation d’un film, on a une période de préparation où l’on s’adapte aux personnages, à l’histoire, etc. On se plonge progressivement dans le film. Là, nous sommes passés directement de l’animation de Horton à celle de L’Âge de Glace 3, sans période de transition !
Pixelcreation : Comment avez-vous réussi à animer un long métrage de 1h30 en seulement dix mois ? Ça semble difficile à imaginer…
Jim Bresnahan : Il a fallu doubler la taille du département animation pour y arriver ! En temps normal, on travaille avec une équipe de 40 à 45 animateurs, ce qui semble être la taille idéale pour un projet de ce type. Là, nous sommes montés jusqu’à 80 ! Cela nous a obligés à revoir notre organisation… à commencer par la formation des nouvelles recrues. Comme nous n’avions pas le temps de les former nous-mêmes, nous avons décidé de réaliser des tutoriels vidéos qui expliquaient le fonctionnement de nos logiciels, notre pipeline, nos procédures, etc. Les animateurs se sont donc formés eux-mêmes. C’était beaucoup plus rapide. On récupérait des animateurs immédiatement opérationnels, et certains se sont avéré être de véritables perles. Le problème avec un groupe de cette importance, c’est que les superviseurs passent beaucoup plus de temps avec les animateurs. Ils n’ont plus le temps de faire autre chose que de passer de l’un à l’autre du matin au soir. C’est une pression énorme.
Pixelcreation : Quels sont les logiciels que vous utilisez chez Blue Sky ?
Jim Bresnahan : Le travail de modélisation, de rigging et d’animation est basé sur Maya. Nous utilisons aussi un peu de zBrush pour le modeling. Par contre, le moteur de rendu est un logiciel développé en interne.
Pixelcreation : Avez-vous modifié ou amélioré les personnages par rapport au film précédent ?
Jim Bresnahan : Non, ils ont tous conservé le même rig. Comme ces personnages fonctionnaient très bien, nous avons préféré nous investir dans d’autres domaines. En particulier, l’accent a été mis sur les mouvements de caméra. Dans les deux premiers films, la caméra se déplaçait peu, essentiellement pour des raisons de budget. Plus la caméra bouge et plus il faut créer de décor, plus le rendu est long, etc. Vous savez, malgré ce qu’on pourrait penser, nous travaillons avec un budget très modeste. [ndlr – les productions Blue Sky coûtent de 30 à 50% moins cher que les films Pixar ou DreamWorks].
Pixelcreation : De quelle façon cela s’est-il traduit dans le film ?
Jim Bresnahan : Il y a une grande scène de poursuite aérienne dans laquelle nos héros montent des ptérodactyles et volent sur une longue distance. C’est le genre de scène que nous n’avions jamais eu les moyens de réaliser auparavant, mais cette fois, nous avons décidé d’y investir le temps et l’argent qu’il fallait. Cela nous a conduits à revoir la façon dont fonctionne le département layout. D’ordinaire, les plans passent du story-board au layout, puis à l’animation, et chaque département fonctionne de manière autonome. Pour ce film, nous avons décidé d’impliquer plusieurs animateurs dans ces étapes préliminaires afin que le travail sur la caméra soit pensé en fonction de l’animation et inversement. Cela a dilué les frontières entre les départements et donné naissance à des scènes, je pense, beaucoup plus dynamiques.
Pixelcreation : Quels étaient les autres aspects du film qui présentaient un défi ?
Jim Bresnahan : En fait, quand on a lu le scénario, il n’y avait rien qui nous a sauté aux yeux en termes de difficulté technique particulière. Ça, pour le coup, c’est ce qui s’était passé pour le deuxième film : nous avions fait un gros travail de recherche et développement sur la fourrure afin d’améliorer le look des personnages. En plus de ce défi, il y avait aussi la question de l’eau, une inondation massive à animer en 3D, y compris les interactions avec les personnages. Tout ceci avait représenté un vrai bond technologique pour nous à l’époque. Mais dans L’Âge de Glace 3, il n’y avait rien de vraiment compliqué. Le travail de recherche a surtout porté sur la redéfinition du layout, comme je vous l’ai expliqué, mais aussi sur les lumières et les ambiances. L’équipe des effets d’atmosphère et celle de l’éclairage ont réalisé un travail fantastique sur le monde souterrain.
Pixelcreation : Comment avez-vous abordé les nouveaux personnages ?
Jim Bresnahan : Le plus intéressant était Buck, une sorte de belette dont un œil est recouvert d’un patch, façon pirate. Le réalisateur souhaitait qu’il ait toujours le corps tordu, avec la tête d’un côté et le buste de l’autre. Il fallait que les poses soient toujours intéressantes. L’animation reposait beaucoup sur la colonne vertébrale, laquelle devait être extrêmement souple. Le personnage était animé en « inverse kinematics », ce qui signifiait que tout mouvement imprimé aux épaules se répercutait automatiquement le long de la colonne vertébrale, et que celle-ci s’alignait de façon naturelle avec le bassin. Mais lorsque c’était nécessaire, nous pouvions aussi passer en « forward kinematics » pour animer à la main certains points de la colonne vertébrale. On a beaucoup travaillé sur ce rig. Ce personnage était réellement très plaisant à animer.
Pixelcreation : Et pour les dinosaures, comment cela s’est-il passé ?
Jim Bresnahan : Nous avons commencé par regarder les grands films du genre, même s’il n’y en a pas vraiment beaucoup qui vaillent la peine. Nous avons aussi visité un muséum d’histoire naturelle, et rencontré des paléontologues qui nous ont expliqué comment les différentes espèces se déplaçaient. Ensuite, nous nous sommes basés sur ces informations pour animer les dinosaures. Le plus important était de bien traduire la sensation de masse des gros spécimens. Nous avons mis au point pour chaque espèce un cycle de marche le plus réaliste possible. Ces cycles étaient utilisés dans les scènes de déplacement sans enjeu comique. Par contre, lorsque la scène devenait humoristique, nous n’hésitions pas à briser les règles de réalisme pour que l’action soit plus drôle.
Pixelcreation : De quelle façon les animateurs travaillent-ils ? Un animateur par plan ? Par personnage ?
Jim Bresnahan : Nous n’avons pas d’animateur unique dédié à un personnage précis. Les personnages sont répartis entre plusieurs artistes. Pendant la préparation, nous assignons un chef animateur à un personnage. Il le suit pendant tout son développement, la mise au point du rig, la création des différents cycles et expressions clés. Ensuite, il relaie cette information aux animateurs en charge de ce personnage. Lorsqu’il y a plusieurs personnages dans un plan, on sépare la scène en deux niveaux : l’action principale, et l’action d’arrière-plan. Même s’il y a une dizaine de personnages dans le cadre, l’action se focalise en général sur deux ou trois d’entre eux seulement. Nous avons donc un animateur qui s’occupe seul de ces personnages d’avant-plan, et un ou plusieurs autres qui gèrent l’arrière-plan. En général, chaque animateur bouclait 75 images finalisées par semaine. Une très bonne moyenne !
Pixelcreation : Comment avez-vous géré l’image en relief ?
Jim Bresnahan : C’était la première fois pour Blue Sky. Nous avons dû créer un département spécifique pour superviser la stéréoscopie. Au fil des semaines, nous avons appris à gérer ce nouvel outil. Il a fallu changer certaines mauvaises habitudes, comme celle de ne pas avoir deux personnages réellement face à face lorsqu’ils se parlent. En 2D, ça marche, on ne remarque pas le décalage. En 3Drelief, il faut que ça soit parfait : le personnage doit être exactement en face de l’autre, sinon le décalage saute aux yeux. Et lorsqu’ils se touchent, il faut être encore plus précis. Avec l’image relief, on ne peut plus tricher comme on le faisait avant. Cela signifie qu’on doit passer plus de temps sur chaque plan. Nous avons aussi découvert qu’avec l’image en relief, les personnages ne devaient jamais sortir du cadre de l’écran par les côtés : comme les images « œil droit » et « œil gauche » sont décalées, si le personnage sort sur le côté, l’un des yeux va le « perdre » avant l’autre, ce qui va générer une sensation de gêne visuelle. Les plans étaient animés sur un moniteur 2D et visionnés en 2D également. C’est plus tard que l’équipe de la stéréoscopie contrôlait l’effet de relief. Parfois, ils nous demandaient de retoucher tel ou tel détail pour que l’effet soit plus réussi, mais c’est arrivé rarement.
Pixelcreation : Finalement, malgré le handicap d’avoir à travailler pour la première fois en stéréoscopie, vous avez réussi à boucler l’animation en dix mois…
Jim Bresnahan : Oui, et j’espère ne plus jamais avoir à le refaire ! Je souhaite vraiment qu’on revienne à des délais plus raisonnables pour notre prochain projet. Mais hélas, maintenant, nous avons prouvé qu’on pouvait le faire en dix mois. Alors, ça va peut-être leur donner des idées…
Alain Bielik – juin 2009
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.
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