Dragons

Dragons, le nouveau film d’animation des studios DreamWorks marque un net progrès sur le plan dramatique. Et Dreamworks en a aussi profité pour revoir ses méthodes d’animation. Revue de détail avec Kristof Serrand, Superviseur d’animation.

Entre les deux locomotives que sont Madagascar et Shrek, le studio DreamWorks Animation parvient tous les ans à glisser un film original qui ne soit pas issu de l’une de ces deux lucratives sagas. Après Nos Voisins les Hommes en 2006, Bee Movie en 2007, Kung Fu Panda en 2008 et Monstres contre Aliens en 2009, la société co-fondée par Steven Spielberg et Jeffrey Katzenberg nous plonge cette fois dans un tout autre univers adapté du livre de Cressida Powell How to train your dragon. L’action de Dragons se déroule en effet dans une communauté de Vikings condamnée depuis 300 ans à cohabiter sur leur île perdue avec de terribles dragons. Un jour, un adolescent va découvrir que ces dragons ne sont peut-être pas aussi féroces qu’ils en ont l’air…
Le film a cumulé de nombreux défis artistiques et aussi technologiques : fourrure et cheveux, eau, feu et explosions, tout y est. Les Vikings, et particulièrement leur chef Stoïk, sont une masse de fourrure dont émerge une barbe fournie. Mais les logiciels développés pour ces effets par Dreamworks depuis le premier Shrek savent traiter ce genre de problèmes techniques.

C’est donc plutôt d’animation que nous a parlé Kristof Serrand, Superviseur Animation et l’un des « Frenchies » les plus en vue de DreamWorks.


Son parcours : après des débuts comme animateur sur des longs métrages ASTÉRIX chez Gaumont (Astérix chez les Bretons et Astérix et la surprise de César), Kristof Serrand rejoint les studios Amblimation à Londres où il devient superviseur d’animation sur BALTO CHIEN-LOUP, HÉROS DES NEIGES, LES QUATRE DINOSAURES ET LE CIRQUE MAGIQUE et FIEVEL AU FAR-WEST. Kristof Serrand entre chez DreamWorks en 1995 comme superviseur d’animation sur LE PRINCE D’ÉGYPTE. Il occupe ensuite le même poste sur LA ROUTE D’ELDORADO où il est également superviseur artistique puis occupe le poste de directeur de l’animation sur SPIRIT, L’ETALON DES PLAINES et SINBAD, LA LÉGENDE DES 7 MERS. Il enchaîne avec les comédies d’animation GANG DE REQUINS et NOS VOISINS LES HOMMES puis DRAGONS. Il enseigne régulièrement à l’école des Gobelins à Paris et occasionnellement dans divers établissements en France (ESMA – Montpellier, Supinfocom – Valenciennes & Arles, EESA Georges Méliès – Orly, La Poudrière – Valence) et à l’étranger (Nanyang University – Singapour  .

Pixelcreation : Quel a été votre rôle sur ce film ?
Kristof Serrand : J’étais l’un des superviseurs d’animation. Nous étions plusieurs à nous partager les personnages, le département étant chapeauté par le directeur de l’animation, Simon Otto. Sur certains des films précédents, j’avais moi aussi occupé ce poste, notamment sur Sinbad ou sur Spirit, mais cette fois, j’avais envie d’animer des personnages. Quand on supervise toute l’animation d’un film, on devient comme un coordinateur, on doit gérer les relations avec les autres départements, etc. Et moi, ce que j’aime dans ce métier, c’est animer ! Et là, pour le coup, j’avais vraiment envie de le faire. Le scénario de Dragons m’avait beaucoup plu, en particulier la manière dont il racontait trois histoires en parallèle : celle d’un enfant et de son père, celle d’un garçon et d’un dragon, et enfin, celle d’un loser qui devient un héros. J’ai trouvé que ces trois récits s’imbriquaient très naturellement. J’étais beaucoup attiré par le personnage de Stoïk, le père du héros. Il me rappelait mes débuts, lorsque j’animais des grosses brutes de Romains dans les films d’animation d’Astérix. Et puis, j’adore cet univers des Vikings. Mon premier réflexe a d’ailleurs été de relire Astérix et les Normands, juste pour me remettre dans l’ambiance !
Pixelcreation : Le film a connu une genèse pour le moins compliquée…
Kristof Serrand : C’est vrai. Lorsque je suis arrivé sur le projet, le film était destiné à un jeune public. Le style était très rigolard, avec une animation cartoon. Mais à un moment donné, le studio a décidé que ce n’était peut-être pas la meilleure approche. Le scénario était vraiment de grande qualité, et il semblait dommage de ne pas en profiter pour en faire un film un peu plus sérieux, notamment en « vieillissant » les héros. Les enfants de la version de départ sont donc devenus des adolescents. Du coup, le public cible a également changé : on visait désormais des spectateurs plus âgés, les adolescents. Au fil des changements, le réalisateur original est parti et Dean DeBlois et Chris Sanders l’ont remplacé.

Pixelcreation : Ce changement de direction en plein milieu de la production a dû bousculer le calendrier…
Kristof Serrand : Absolument. Le temps que le film redémarre sur de nouvelles bases, on s’est retrouvé avec les délais les plus courts que j’avais jamais eus pour animer un film : onze mois seulement ! C’est un nouveau record pour DreamWorks. Je sais que Pixar avait réussi à animer Ratatouille dans à peu près le même temps, là aussi parce qu’il y avait eu un changement de concept pendant la production. Bien sûr, quand vous travaillez avec de tels délais, il y a une grosse pression car vous n’avez pas de recul sur ce que vous faites. Si vous êtes dans l’erreur, vous avez très peu de temps pour vous retourner. D’un autre côté, il y a aussi un sérieux avantage à travailler de cette façon : les délais sont tellement serrés que les choses sont validées bien plus vite ! Tout le monde sait qu’on n’a pas le temps de finasser, alors on a beaucoup moins d’interférences de la part du studio. Les idées passent plus vite, et parfois, cela donne un résultat plus spontané…
Pixelcreation : Combien d’animateurs ont travaillé sur le film ?
Kristof Serrand : Au départ, nous étions une vingtaine, puis c’est monté jusqu’à cinquante. Personnellement, j’étais sur le film depuis un an avant que le processus d’animation ne démarre. J’ai participé au développement des personnages, à la mise au point du rig de Stoïk (costumes, cheveux, barbe…), j’ai animé des cycles de marche, etc. Ensuite, nous avons décidé de mettre en place une nouvelle organisation. En temps normal, un film est partagé en séquences qui sont confiées à différents superviseurs de l’animation. Un même personnage se retrouve donc animé par un grand nombre d’animateurs dans des équipes différentes. Je me souviens que sur Prince d’Égypte, mon équipe comportait plus de quarante animateurs uniquement pour animer Moïse ! Du coup, je n’avais plus du tout le temps d’animer, je ne faisais que passer d’un animateur à l’autre. Or, à mon sens, un superviseur doit toujours participer à l’animation. C’est lui qui guide l’équipe, qui donne les références d’animation. Un animateur qui n’anime plus, c’est un peu comme un acteur qui ne jouerait plus la comédie !

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous abordé le projet ?
Kristof Serrand : Nous avons choisi de nous partager le film non pas par séquences, mais par personnages principaux : il y avait un superviseur pour Astrid l’adolescente, un autre pour l’entraîneur, moi-même pour Stoïk, puis deux pour Harold le héros et deux autres pour son dragon – ces deux personnages avaient tellement de scènes qu’un seul superviseur ne suffisait pas. Nous sommes de fait revenus au système que Walt Disney avait mis en place sur ses films : un animateur/superviseur par personnage. Cela donne un acting plus consistant, plus cohérent.
Pixelcreation : Mais vous n’animez pas seul le personnage ?
Kristof Serrand : Non, bien sûr, comme chez Disney à l’époque, le superviseur a plusieurs animateurs sous sa responsabilité, entre sept et huit en ce qui nous concerne, mais ça peut monter jusqu’à une quinzaine. Chaque équipe anime un seul personnage, et le superviseur répartit les scènes en fonction des sensibilités de chaque animateur, comme dans un casting. Certains sont plus à l’aise dans les scènes d’action, d’autres dans les scènes d’émotion, etc. Personnellement, je me suis réservé les plans les plus importants, et j’ai réalisé tous les tests sur le personnage.
Pixelcreation : Comment procédiez-vous lorsque deux personnages principaux se trouvaient dans une scène ?
Kristof Serrand : En général, il y a toujours un personnage qui domine, que ce soit sur le plan de l’action ou du dialogue. Dans ce cas, l’équipe de ce personnage anime aussi les autres personnages. Mais si c’est une scène importante avec, par exemple, deux personnages principaux, il faudra faire valider l’animation par leurs superviseurs respectifs. Comme on se connaît tous depuis des années chez DreamWorks, cela s’est déroulé de façon très naturelle.
Pixelcreation : Quel type d’animation avez-vous adopté pour le film ?
Kristof Serrand : On a opté pour un acting très crédible, c’est-à-dire que les personnages devaient être authentiques sur le plan des émotions, sachant que ce style d’animation devait malgré tout coller avec le design qui était, lui, caricatural. On se rapprochait plus du style d’animation réaliste du Prince d’Égypte que de celui de Kung Fu Panda, qui était franchement cartoon. Au niveau du look général, nous avons joué sur l’équilibre entre le réalisme des textures et des lumières, et le design caricatural.
Pixelcreation : Comment avez-vous abordé l’animation ?
Kristof Serrand : Pour commencer, nous avons regardé tous les films de Vikings et de dragons que nous avons pu trouver, histoire de voir ce qui avait déjà été fait dans ce domaine. Pour les personnages, nous avons eu des inspirations différentes suivant l’acteur qui interprétait la voix. J’ai eu la chance d’avoir un interprète très « physique » pour prêter sa voix à mon personnage, Stoïk : Gerard Butler s’est beaucoup investi dans le rôle, il débordait d’idées et lorsqu’il enregistrait le dialogue, il vivait la scène avec son corps. Nous filmons toujours ces enregistrements en vidéo car cela fournit parfois une bonne référence pour l’animation, mais ça dépend énormément de l’acteur. Par exemple, je me souviens que pour Prince d’Égypte, Ralph Fiennes (Ramsès) interprétait physiquement son personnage, tandis que Val Kilmer (Moïse) se concentrait uniquement sur la voix, sans montrer d’expression… Donc, suivant l’acteur, on a plus ou moins d’indications sur la manière d’animer le personnage. Avec Gerard Butler, j’ai été vraiment gâté. Tout de suite, j’ai fait quelques tests d’animation de Stoïk en me basant sur sa gestuelle et le résultat était très prometteur. Pour ce qui est des dragons, je n’ai pas travaillé dessus à titre personnel, mais l’équipe a utilisé énormément de références animales. Ils se sont inspirés des félins, des chauve-souris, des aigles, des chiens aussi. Grâce aux sites de partages vidéo comme YouTube, on bénéficie à présent d’un accès immédiat à des références filmées. C’est un atout majeur dont bénéficient les animateurs aujourd’hui : il suffit de taper le nom d’un animal et vous le voyez tout de suite en mouvement ! Jusqu’à récemment, c’était beaucoup plus compliqué de trouver de telles références filmiques.
Pixelcreation : Le film est très spectaculaire sur le plan du réalisme de l’action et des effets visuels
Kristof Serrand : Les flammes, les explosions, l’eau, c’est sûr que c’est un « plus » au niveau du spectacle, mais ça ne m’intéresse pas personnellement. Les effets de simulation dynamique n’ont pas de véritable valeur artistique. Les gens nous disent souvent combien ils sont impressionnés par les cheveux qui bougent, par la fourrure du costume, etc., mais c’est très facile à faire en 3D. Tout est géré par le logiciel. À l’époque de l’animation traditionnelle, ces effets étaient un vrai casse-tête : il fallait les dessiner à la main. Pour moi qui viens de cet univers, les animations dynamiques de la 3D semblent incroyablement faciles…
Pixelcreation : Quel est votre sentiment sur le film à présent ?
Kristof Serrand : Je trouve qu’il est très différent des autres films DreamWorks. Il y a moins de comédie et beaucoup plus d’émotion, et ça fonctionne très bien. Par ailleurs, notre expérience sur la nouvelle philosophie de répartition du travail a selon moi porté ses fruits. Ce retour à l’ancienne méthode Disney s’est avéré très profitable, même si elle va surprendre beaucoup d’animateurs 3D. À l’époque de Walt Disney, cette approche tombait sous le sens, car plus il y avait d’animateurs sur un même personnage, plus on perdait de temps avec les retouches sur sa physionomie. Il était préférable qu’un groupe d’animateurs se concentre sur un seul personnage. Car même s’il y avait un modèle unique pour le personnage, les artistes dessinent tous de manière différente. Il fallait donc sans cesse corriger les variations pour que le personnage soit cohérent d’un bout à l’autre du film. Quand la profession est passée à la 3D, on s’est tous dit que ce n’était plus la peine de travailler ainsi : puisque le physique du personnage était défini une fois pour toutes par son modèle 3D, il n’y avait plus de risque de variation d’un plan à l’autre. C’est pourquoi nous avons commencé à travailler par séquences et non plus par personnages. Mais dans la pratique, on s’est rendu compte qu’un personnage 3D pouvait se retrouver avec une physionomie différente selon les plans. Les possibilités de déformations du modèle sont aujourd’hui tellement vastes qu’on se retrouve avec de grandes variations. J’espère que notre travail sur Dragons va faire réfléchir les dirigeants du studio et qu’on va continuer à travailler dans ce sens.

Alain Bielik  –  Mars 2010
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.