Le Monde Fantastique d'Oz

Sam Raimi revisite avec faste l’univers du Magicien d’Oz, un monde féérique grâce à plus de 1500 plans à effets visuels, un enchantement visuel que le public américain a d’ores et déjà plébiscité.

Mise à jour de l'article: en galerie 2,  des images avant (tournage)- après (vues finales) pour vous montrer les coulisses du film, courtesy Sony Pictures Imageworks. Pour les vidéoprogressions, il faudra revenir après le 1er avril, embargo de la production oblige...

En 2010, Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton avait lancé avec panache la saison des blockbusters américains. Cette année, Hollywood renouvelle l’expérience avec Le Monde Fantastique d’Oz, un film que le public américain a plébiscité dès sa sortie et qui devrait connaître la même réussite commerciale.
Le parallèle entre les deux films est évident. Tous deux sont inspirés d’un classique de la littérature pour enfants, ils sont signés d’un réalisateur de renom et distribués en relief 3D. Ils racontent l’histoire d’un personnage humain projeté dans un univers fantastique où il va croiser le chemin de créatures plus étranges les unes que les autres. Dans les deux cas, son arrivée déclenche une série d’événements qui font basculer le destin de ce monde. Autres éléments communs entre les deux films, leur design a été conçu par le même artiste, le chef décorateur Robert Stromberg (Avatar), et les principaux effets visuels ont été réalisés par le même studio, Sony Pictures Imageworks. Normal qu’il y ait un certain air de familiarité entre les deux productions. En revanche, l’image en relief d’Alice était le fruit d’une conversion (pas toujours heureuse) en postproduction, tandis que Le Monde Fantastique d'Oz a été directement filmé en 3D sur des caméras Red Epic dotées du dispositif stéréoscopique 3ality de Technica.

Un design volontairement différent du Magicien d’Oz
Autre différence, pour Le Monde Fantastique d’Oz, production Disney, il existait une version précédente qui avait été produite par un studio concurrent, le fameux Magicien d’Oz de 1939, fleuron de la MGM de la grande époque. Sur le plan juridique, cela présentait un défi intéressant. Il fallait réaliser un film qui s’intégrait parfaitement dans le même univers, mais sans rien reprendre de sa charte graphique. Le Monde Fantastique d’Oz raconte en effet des événements qui se sont déroulés avant Le Magicien d’Oz, une certaine continuité visuelle était donc nécessaire… “Le studio ne possédait pas les droits du film original,” explique Stromberg. “On ne pouvait rien reprendre de ce qui avait été créé pour la version de 1939, ce que Sam a beaucoup regretté au début. Il fallait même faire attention à ne pas être trop proches dans nos designs. Nous avons donc réalisé notre propre vision des mêmes éléments : la Cité d’Émeraude, la route de briques jaunes, etc. Comme nous partions de la même source, les concepts étaient forcément similaires, mais nous les avons complètement revisités.”

Chaque design a dû être validé par des avocats spécialistes du copyright afin de garantir que MGM n’ait aucune raison d’intenter un procès… Une contrainte qui a souvent freiné la créativité des artistes, comme le maquilleur effets spéciaux Howard Berger : “La caractéristique la plus célèbre de la sorcière du Magicien d’Oz, c'est sa couleur verte. Tout le monde en Amérique connaît son look. Nous sommes donc partis sur des designs de sorcières à la peau verte, mais Disney nous a tout de suite dit : “Non, on ne peut pas la faire verte, il y a un copyright !” Et moi je répondais : “Mais il faut qu’elle soit verte ! Ça fait partie du Magicien d’Oz !!” Finalement, après de nombreux tests, nous avons mis au point une couleur verte qui était suffisamment différente de l'original pour qu'on ne puisse pas être accusés de plagiat…” Le même problème s’est posé pour les éléments les plus emblématiques de l’œuvre, comme la Cité d’Émeraude ou la Route de Briques Jaunes. Là encore, il fallait évoquer sans copier, rendre hommage sans plagier. Un vrai travail d’équilibriste…

Le Monde d’Oz : une réalité augmentée, rêvée
Le look général du film se basait sur le principe de la « réalité augmentée », une volonté du réalisateur Sam Raimi. “L'idée était que les environnements soient photoréalistes, mais que leur réalité soit augmentée,” explique Stromberg. “Si on allait trop loin dans le réalisme, ça ne fonctionnait pas. Imaginez qu'on ait construit une route en briques jaunes sur la plus verte colline d'Irlande, le résultat aurait peut-être été très joli, mais ça n'aurait pas été le monde d’Oz. Il aurait manqué ce soupçon de magie, ce côté décalé qui fait qu'on se demande en permanence : ‘Est-ce que je suis dans un rêve ou non ?’. Ce monde n'est pas notre monde, il fallait que chaque élément ait un côté légèrement irréel. Par exemple, on poussait la physique jusqu’au point de rupture, notamment avec les massifs montagneux qui présentent des formes « presque » impossibles. C'est également passé par un look aux couleurs très saturées. Nous voulions rendre hommage au flamboyant Technicolor du film original, dont la technologie n’existe plus aujourd’hui.”

Le film reprend par ailleurs l’astuce remarquable qui avait été utilisée sur Le Magicien d’Oz : dans l’œuvre originale, lorsque Dorothy arrive au pays d’Oz, l’image passe du noir et blanc à la couleur – en 1939, alors que la couleur était encore exceptionnelle au cinéma, l’effet avait époustouflé les spectateurs ! Sam Raimi se devait de reprendre à son compte cette transition choc : “Pendant les 18 premières minutes du film, on se trouve au Kansas, en 1905. L’image est en noir et blanc, au format 1.66:1 (très étroit). La 3D est au minimum et le son en mono. Puis quand on arrive au pays d’Oz, l’image passe d’un coup en format large 2.35:1, on passe du son mono au son 7.1, du noir et blanc à la couleur, et la 3D est poussé à son maximum !” Effet garanti…

Si Stotdyk n’avait pas travaillé sur Alice au Pays des Merveilles, beaucoup des membres de son équipe au sein de Imageworks y avaient participé : “Les deux projets étaient très similaires sur le plan des effets visuels. D'ailleurs, l'expérience acquise sur Alice nous a beaucoup servi. Les besoins étaient plus ou moins les mêmes, à savoir des environnements extravagants et beaucoup d'animation 3D de personnages. Le film compte environ 1500 plans à effets spéciaux, et Imageworks en a réalisé un millier, à savoir tous les décors et les personnages. La post-production a duré environ un an.”

Le choix d’un maximum de décors réels
L’expérience Alice a permis à l’équipe d’aborder Oz de manière différente. Le film de Tim Burton avait été tourné presque entièrement sur fond vert, avec seulement une poignée de décors partiels. À l'inverse, Le Monde Fantastique d’Oz a été filmé dans un maximum de décors réels. Au départ, l'idée était d'obtenir le plus de plans possibles directement à la prise de vue, sans effets visuels, mais il a fallu plier cette belle théorie aux contraintes pratiques. La nature même du scénario exigeait qu'une partie du film soit tournée sur fond vert. Dans plusieurs scènes, le héros voyage sur une grande distance, ce qui était impossible à visualiser à l’aide de décors réels.
Malgré tout, Sam Raimi tenait à éviter l’imagerie un peu stérile d’Alice. “La règle était qu'on devait toujours partir d'un décor construit en dur,” précise Stotdyk. “S'il n'y avait aucun élément réel sur lequel baser le plan, notamment dans les plans panoramiques ou aériens, on partait du décor réel qui figurait au début ou à la fin de la scène. Par exemple, la Cité d'Émeraude a beau être entièrement numérique, nous nous sommes basés sur le look, l'architecture et les textures des éléments de décor qui avait été fabriqués pour les acteurs : entrée d’immeuble, coin de rue, etc. Par contre, pour les vues panoramiques, on n’avait pas le choix, il fallait les créer entièrement par ordinateur. Nous voulions nous inspirer du look des films des années 30 et 40 où tout était filmé entre les quatre murs d'un studio. À l'époque, les équipes n’allaient presque jamais en extérieur. On a voulu retrouver l’ambiance de ces films-là, mais en remplaçant les toiles peintes d'arrière-plan par des matte-paintings photoréalistes en 3D. Si nous avions filmé un vrai paysage, ça aurait juré par rapport au reste des environnements. Ce parti pris esthétique nous permettait aussi d'avoir une certaine continuité visuelle par rapport au Magicien d'Oz, lequel était un film de studio à 100%.”

Une fois n’est pas coutume, Imageworks a opté pour des fonds bleus, et non pas verts, sur le plateau. La première raison était liée à la présence de plusieurs décors et personnages de couleur verte, ce qui aurait compliqué inutilement l’extraction des mattes. L’autre raison tenait au confort de l’équipe : “La nuance de vert qu’on utilise pour les effets visuels est très agressive pour les yeux. Personne n’avait envie de passer cent jours avec cette couleur omniprésente sur le plateau. Ça nous aurait rendu dingue… Le bleu est beaucoup plus agréable à ce niveau…”

Cité d’émeraude et nature luxuriante
Les environnements ont été créés de trois manières différentes : d’abord des décors réels construits en studio et prolongés en numérique, des décors totalement créés en 3D, et enfin, des décors 3D combiné à des matte-paintings. La Cité d'Émeraude a été entièrement modélisée immeuble par immeuble. Les bâtiments étaient des géométries à moyenne résolution que l’équipe retouchait au cas par cas lorsqu'ils passaient au premier plan. Imageworks sortait de plusieurs années successives de créations d’environnements urbains complexes pour les quatre Spider-Man. Une expérience considérable qui a largement profité à la Cité d’Émeraude.

Comme dans Alice au Pays des Merveilles, l’une des caractéristiques d’Oz, c’est sa nature luxuriante, avec des plantes aux formes et aux couleurs extravagantes. “Au cours des dernières années, nous avons développé à Imageworks une vaste banque de données végétales. Tout comme nous avons des centaines de géométries de mobilier urbain (bâtiments, réverbères, poubelles de rue, etc.), nous disposons aussi d’une grande quantité de plantes déjà modélisées et texturées : une centaine d'arbres différents, et au moins autant de végétaux de tailles variées. Dans Oz, on partait du décor réel, et on ajoutait des végétaux qui correspondaient au look de la scène en combinant des arbres et des plantes. Lorsqu’il fallait animer cette végétation, on faisait intervenir nos spécialistes de simulations de poils ou de tissus, car le principe était le même.”

Les défis de l’animation : mêler acteurs et personnages virtuels
Pour Imageworks, le vrai défi du film, c’était les personnages animés, à commencer par la poupée de porcelaine China Girl et le singe volant Finley qui tiennent des rôles clés auprès du héros incarné par James Franco.
 

China Girl, en particulier, s’est révélé passionnante à animer, du fait même de sa nature hautement inhabituelle : le personnage est une poupée de porcelaine vivante (china étant aussi le nom anglais pour la porcelaine de Chine). “Sa « peau » rigide nous a posé un défi inédit,” avoue Stotdyk. “Pour l'animation du corps, nous nous sommes basés sur les mouvements de la marionnette présente sur le plateau. Elle était animée par l'un des plus grands marionnettistes au monde. C'était absolument fascinant : il arrivait à nous faire ressentir les émotions de China Girl uniquement par le langage corporel, le visage restant statique. Ça nous a beaucoup inspirés. Nous y avons ajouté une animation faciale assez discrète, en évitant de changer d'expression face à la caméra, c’est-à-dire qu’on changeait l’expression entre deux plans, ou bien lors d’un mouvement de tête rapide. Ça évitait que son visage ne fasse trop « caoutchouc ».”

Chaque scène a été filmée à plusieurs reprises : avec James Franco et la marionnette à fils, puis avec l’acteur répétant seul l’action en essayant de maintenir le même rythme. Cette seconde prise servait ensuite à récupérer un arrière-plan vierge pour effacer la marionnette dans la première prise. Restait encore à régler la question de l’interaction vocale entre l’acteur et sa partenaire miniature, dont la voix était interprétée par Joey King.

Une solution inattendue a été trouvée : “Sur mon film précédent, Mission G, j'avais remarqué à quel point l'absence de partenaire « réel » handicapait les comédiens,” raconte Stotdyk. “Ils n'avaient jamais la même spontanéité lorsqu'ils devaient jouer face un simple point de repère. C'est pourquoi sur Le Monde Fantastique d'Oz, nous avons tout fait pour qu’ils puissent interagir avec les personnages virtuels. Au lieu d’enregistrer son personnage en postproduction, Joey King était présente sur le plateau, dans une cabine audio insonorisée. Elle entendait ce que James disait, et lui-même entendait la voix de Joey grâce à une oreillette. De la sorte, il y avait une véritable interaction entre les deux, ils jouaient la scène ensemble.”

Finley, le singe volant
Le cas de Finley, le petit singe volant, était différent. Comme le personnage vole et bondit dans tous les sens, il était impossible de faire appel à une marionnette. L’équipe a donc mis au point ce qu’elle a surnommé « puppet cam » : un technicien vêtu de bleu se déplaçait sur le plateau en tenant un moniteur du genre iPad au bout d’une perche, à l’emplacement où devait se tenir la tête du personnage. Le moniteur retransmettait l'image et la voix de l'acteur qui interprétait la voix du singe. Tout comme Joey King, il était filmé dans une cabine à côté du plateau.
“C’était une sorte de vidéoconférence mobile,” commente Stotdyk. “James pouvait interagir avec l'image et le son de son partenaire en direct, comme s’il avait été réellement présent devant lui. Le dispositif a remarquablement bien fonctionné, de la même manière pour Joey King. Les acteurs étaient beaucoup plus à l'aise, et cela se sent dans l’authenticité accrue de ces scènes. Il y avait un vrai échange entre eux, parfois même des improvisations, et non pas un monologue face à une balle de tennis.”

Sur le plan technique, Imageworks a utilisé son arsenal habituel de logiciels du commerce et d’outils développés en interne : Maya pour l’animation de personnages, Houdini pour l’animation effets spéciaux, Naiad pour l’animation des rapides, Katana pour le lighting, Arnold côté rendu, et Nuke pour le compositing.
À l’arrivée, Scott Stotdyk estime que le film a réussi à se démarquer d’Alice au Pays des Merveilles : “Oz a sa propre identité, son propre style. C’est un film qui ne ressemble à aucun autre. À la base, de toute façon, les deux projets se différenciaient par leur origine même : il n’y a rien de plus anglais qu’Alice, alors que Oz est typiquement américain !”

ALAIN BIELIK, mars 2013
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.