L'Affrontement

Andy Serkis et Weta Digital révolutionnent la performance capture. Plus réalistes que jamais, les singes 3D forment le cœur dramatique du film.

Il y a trois ans, Weta Digital avait créé la sensation avec César, un personnage de chimpanzé intelligent 100% photoréaliste et parfaitement expressif. César est interprété dans ces deux films par Andy Serkis, certainement l’acteur « performance capture » le plus expérimenté: il a joué  Gollum dans Le Hobbitet le Seigneur des Anneaux, King Kong dans le film de Peter Jackson et le capitaine Haddock dans le Tintin de Steven Spielberg.

Et César est sans aucun doute l’un des personnages 3D les plus réussis de l’histoire des effets spéciaux. Weta Digital avait largement innové sur le plan technique pour le premier Planète des Singes en mettant au point un système de Performance Capture à la sophistication inédite. Le dispositif était capable d’enregistrer simultanément le langage corporel et les expressions faciales, que ce soit en intérieur ou en extérieur, dans la rue, en forêt, etc. Un sacré bond technologique.

Toujours co-dirigée par Joe Letteri et Dan Lemmon, l’équipe VFX a été reformée pour cette suite qui exigeait de passer à la vitesse supérieure. “Ce projet présentait plusieurs difficultés majeures,” commente Lemmon. “D’abord, le film comportait beaucoup plus de plans avec les singes 3D : un millier de plans environ contre 800 pour le précédent. Ensuite, les singes étaient bien plus nombreux à l’écran : 12 chimpanzés principaux, plus 20 « figurants », ainsi que quatre gorilles et quatre orangs-outans. Le troisième défi, c’était que nous devions les faire parler de manière crédible. Enfin, il fallait intégrer les singes dans un environnement autrement plus complexe, celui d’une nature vierge, avec tout ce que cela impliquait de variations du look : pluie, humidité, boue, saletés, brindilles, etc. Dans le premier film, les singes évoluaient dans un environnement urbain aseptisé. Leur apparence n’évoluait pas de scène en scène comme ici. Sur le plan du traitement de la fourrure, c’est infiniment plus compliqué.”

L’équipe a commencé par effectuer une grosse mise à jour technique sur les personnages afin de les doter d’un rig facial plus mobile et aussi plus adapté à la formation de phonèmes.
L’apparence des deux singes principaux a également été modifiée : César d’abord, parce qu'il est plus vieux de 10 ans, et Koba, parce que c'est un nouvel acteur, Toby Kebbell, qui l’interprète. Koba a ainsi été remodélisé pour intégrer les aspects les plus significatifs du visage de Toby Kebbell.

Parallèlement, le département R&D a développé un nouveau logiciel dédié à la création de poils et au grooming (« coiffage »). Ce software de dernière génération a permis de générer des looks qui auraient été impossibles à obtenir sur le film précédent : poils trempés par la pluie, mouillés par la brume, agglutinés par des projections de boue… Au final, près d’une centaine de « grooms » originaux ont été développés pour ce film. Le modèle de César comporte 820.000 poils individuels, celui de Maurice (l’orang-outan) plus de 900.000.

Performance capture par tous les temps
Sur le plateau, chaque plan a été tourné en trois versions différentes. En premier lieu, l’action était filmée avec les acteurs qui interprétaient les singes et ceux qui interprétaient les humains. Ensuite, l’équipe tournait une deuxième prise identique, mais cette fois sans les « singes », avec uniquement les acteurs qui incarnaient des personnages humains. Ceux-ci répétaient les mouvements qu’ils avaient effectués dans la prise précédente. Enfin, il y avait une troisième et dernière prise sans aucun acteur, avec juste le décor vide. Le choix de la prise finale se faisait au cas par cas.

“Effacer un acteur de l'image est toujours compliqué,” précise Lemmon. “Aussi, chaque fois que nous pouvions utiliser la prise sans les interprètes des singes, nous le faisions, parce que c'était beaucoup plus simple à gérer. Cela concernait par exemple les scènes de dialogue, lorsqu'il n'y avait aucun contact physique entre les humains et les singes. Mais dès que l’action impliquait une interaction physique, la prise avec les interprètes des singes fonctionnait beaucoup mieux. Pour les scènes à cheval, il a fallu effacer les acteurs et reconstituer les parties manquantes du cheval. Parfois, c’était tellement difficile qu’on préférait recréer tout le cheval en full 3D…”

Le système de Performance Capture comprenait trois dispositifs qui fonctionnaient en parallèle. “D'abord, nous avions entre six et huit caméras Sony F3 réparties autour du plateau pour enregistrer l'action à partir de points de vue différents et complémentaires. Puis, selon le décor et l'action, il y avait entre huit et quarante caméras à infrarouge disséminées dans le décor, pour suivre image par image les trackers à LED fixés sur le costume des interprètes. Le dernier élément du système de Performance Capture était la caméra faciale que portaient les interprètes des singes. Grâce à toutes les mises à jour que nous avons effectuées depuis le premier film, le dispositif a parfaitement fonctionné, que ce soit sous la pluie, dans la brume, au milieu d'une végétation dense, face à un mur de flammes, de près comme de loin, etc.”

Retrouver l’émotion originale

Les données de Performance Capture étaient ensuite traitées par le département animation placé sous la supervision de Dan Barrett. Une partie de cette équipe se chargeait alors de transposer les données de performance capture sur les personnages 3D.

“Les mouvements des interprètes sont appliqués aux singes, ce qui implique un processus de ciblage très complexe pour compenser la différence de morphologie,” explique Barrett. “Notre équipe est aujourd'hui rôdée à cette transposition des mouvements entre l’homme et le singe. Lorsqu'on voit un acteur prendre une certaine pose ou faire un mouvement avec la bouche, on sait déjà quel est l’équivalent pour le singe.”

Sur le plan de l’animation faciale, l’interprétation des acteurs constituait la seule et unique référence. “Nous ne changeons rien à ce qu’Andy Serkis (interprète de César) et ses partenaires ont fait sur le plateau,” poursuit Barrett. “Leur jeu a été validé par le réalisateur et c’est ce que nous nous efforçons de reproduire jusqu'aux détails les plus subtils. À partir des données de la caméra casque, notre équipe de « ciblage » (ou retargeting) nous fournit une animation faciale déjà bien en place. L’essentiel est là – expression, regard, phonèmes, etc. – mais il manque encore les détails, les petits frémissements, les nuances – tout ce qui rend un personnage vivant. Nous travaillons avec deux fenêtres sur le moniteur : une avec le visage 3D, et l'autre avec le visage de l'acteur. Elles sont placées côte à côte, et l'animateur s'efforce de reproduire sur le singe ce qu'il voit sur l’acteur. Il retouche le plan jusqu'à ce qu'on ne voie pas de différence d’émotion entre les deux images. Le plus souvent, nous nous basons sur les vidéos de référence captées par nos caméras témoins, pas sur celles de la caméra casque, trop déformées.”

Les dangers de l’anthropomorphisme
Suite à l’expérience acquise sur le premier film, l’équipe de Dan Barrett savait qu’elle ne pouvait pas aller trop loin dans la transposition des expressions humaines. “Si les singes affichaient un comportement trop humain, le résultat était bizarre, l’émotion ne passait plus,” souligne Barrett. “Il fallait trouver un juste milieu entre les deux, et ça se faisait vraiment au feeling. Cela dit, nous avions un peu plus de liberté que sur le premier Planète des Singes, car dans cette histoire, nous retrouvons les singes après 10 ans d'évolution. Nous pouvons donc supposer qu'avec l'arrivée du langage, etc., leur comportement s'est un peu « humanisé ». Par exemple, nous avons intégré le sourire dans leur répertoire d'expressions. Dans la réalité, les singes ne sourient pas…”

Après ce nouveau succès, Dan Lemmon, Dan Barrett et leur équipe n’auront guère le temps de se reposer sur leurs lauriers. Les développeurs sont déjà au travail sur les améliorations possibles des différents logiciels. En effet, le troisième Planète des Singes sortira dans moins de deux ans. Tout juste assez de temps pour améliorer encore le système de Performance Capture (notamment par le développement d’un dispositif entièrement sans fil) et pour aller plus loin encore dans l’animation faciale (avec des dialogues toujours plus nombreux). Rendez-vous est pris pour le 27 juillet 2016.

Alain BIELIK, Juillet 2014
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet


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