Brave (vo)
Avec cet excellent film, Pixar confirme son leadership en animation, tant au plan artistique que technologique.
Disons-le sans ambages. Rebelle est à cette date (1er août) de loin le meilleur long métrage d’animation de l’année 2012. Pendant que ses rivaux Dreamworks et Blue Sky prolongent leurs séries à succès (Madagascar 3,Age de glace 4) en forçant humour et histoire, Pixar prend le risque de la nouveauté avec bonheur. Tout en investissant sur le plan technique, au point de refaire une bonne partie de son « pipeline » logiciel pour les besoins du film. Pixar a aussi utilisé à fond les techniques de simulation: 90% des scènes du film y ont recours, pour animer cheveux, poils, vêtements ou plus simplement de la brume ou du feu.
Cela étant, la production de Rebelle n’a pas été un long fleuve tranquille : six ans et demi pour achever ce film ! Auteur du concept, Brenda Chapman en avait développé l’univers et le look, mais peinait à en faire un film. John Lasseter, patron créatif de Pixar, lui a adjoint comme (co)réalisateur Mark Andrews en 2010, alors qu’il ne restait que 18 mois à courir jusqu’à la sortie prévue. Un fait pas si exceptionnel, Pixar avait déjà fait la même chose en 2004 pour Ratatouille, avec le succès qu’on sait. Mark Andrews, qui officiait jusque-là comme « consultant » sur Rebelle grâce à ses origines écossaises et avait fait ses premiers pas comme réalisateur en 2006 avec One man band (voir notre article ici), a su réécrire l’histoire, la simplifier pour redonner le rythme qu’il fallait à Rebelle.
La trame de l’histoire est universelle : la quête d’identité de Merida, une adolescente en rébellion contre son milieu et les obligations que ses parents veulent lui imposer. Et qui va devoir faire preuve de courage pour assumer ses choix… et réparer ses erreurs. « Le thème principal du film est le courage, ce courage qui consiste aussi à lâcher prise. Merida est un personnage très courageux - elle escalade des falaises, tire à l’arc, affronte des ours - mais c’est véritablement le courage du coeur qui est le plus difficile à trouver » précise le réalisateur Mark Andrews. Situer cette histoire dans les Highlands d’Ecosse au Moyen-Age est évidemment un plus, avec références historiques et paysages à faire rêver (merci la 3D relief). Et côté complexités techniques, Rebelle fait le plein : vastes environnements, chevelure bouclée de l’héroïne, vêtements (jusqu’à 8 couches !), animations et simulations à coordonner. Faisons le point avec l’équipe du film sur ces principaux sujets.
La chevelure de Merida
On ne voit qu’elle dans le film : des cheveux longs, roux flamboyant et surtout très bouclés. La chevelure de Merida est sauvage et vivante, c’est un personnage à part entière, indomptable, comme Merida elle-même.
Bill Wise, Superviseur technique : « Les cheveux, c’est difficile. Mais les cheveux bouclés, c’est encore plus compliqué. Cela pose un problème de simulation complexe. Quand j’ai travaillé sur Les Indestructibles, les longs cheveux raides de Violet étaient le plus gros problème capillaire du film. Lorsque j’ai commencé à travailler sur Rebelle, on pensait qu’un programme de simulation ne pouvait pas traiter des cheveux bouclés et conserver leur volume. Les réalisateurs voulaient que les boucles bougent et interagissent entre elles d’une manière semi-réaliste, tout en conservant le volume global. Les cheveux ne doivent pas avoir l’air de ressorts. Il faut qu’ils s’étirent et gardent du corps. Nous avons dû écrire un simulateur cheveux entièrement nouveau. »
Claudia Chung, Superviseur de la simulation : « L’un des artistes a décidé que les cheveux bouclés étaient comme des cordons de téléphone qu’on agite dans tous les sens. C’est la façon dont la chevelure de Merida bouge et c’est la base de son modèle, mais ça n’a pas l’aspect naturel des cheveux. L’équipe d’animation voulait des boucles en C, des boucles en S, une chevelure en cascade qui accompagne joliment ses mouvements de tête. Nous avons finalement réalisé que les cheveux de Merida sont moins soumis à la pesanteur que ceux des autres personnages. »
Danielle Feinberg, Directrice photographie éclairages : « Merida est dotée de ces magnifiques cheveux roux, mais cela nous a pris du temps pour comprendre comment les éclairer pour que cela rende bien. Nous avons dû changerla lumière principale avec elle pour qu’elle effleure ses joues, ou baisser l’intensité de la lumière pour éviter l’effet masque. »
Ces innovations en simulation capillaire ont également été utilisées pour la fourrure de l’ours diabolique Mor’du. Dans certains cas, sa fourrure mesurait une trentaine de centimètres et nécessitait un « toiletteur » spécial pour diriger son mouvement.
Un style visuel marqué par L’Ecosse et ses légendes
La palette de couleurs de Rebelle en découle : dominantes vert, bleu et mauve en extérieur, avec en contrastes des couleurs plus chaudes en intérieurs, plus le roux éclatant de la chevelure de Merida et de ses frères.
Steve Pilcher, Chef décorateur : « Les décors, l’arrière-plan, l’environnement du film sont les meilleurs seconds rôles. C’est très puissant si c’est bien fait. Walt Disney nous l’a prouvé. Avec les fonds de films d’animation comme Pinocchio et Bambi, il se crée une interaction entre les personnages et les décors qui renforce discrètement l’atmosphère et les protagonistes, et les complète.
Derek Williams Superviseur équipe décoration: « Le défi le plus important du département décors sur Rebelle a été de créer des forêts en leur donnant un aspect naturel et vivant. Nous avons créé sept forêts différentes plantées de sorbiers, de bouleaux et de pins sylvestres, et le nombre total de sortes d’arbres que nous avons utilisées s’est élevé à près de 40. La première chose que nous faisons lorsqu’on génère un décor de forêt, c’est une ébauche pour définir la disposition des objets. Une fois que la caméra et l’équipe de mise en scène entrent en jeu, nous retravaillons et commençons à déplacer les objets dans le cadre pour tirer le meilleur parti de la composition. Nous ajoutons de la végétation - de l’herbe, de la mousse, du lichen, des fougères et des bruyères générés par ordinateurs - pour atteindre la complexité souhaitée par le chef décorateur et les réalisateurs. »
L’ambiance de Rebelle est de plus renforcée par un soupçon de magie et de folklore écossais :
Steve Pilcher, Chef décorateur : « Le film donne une impression de magie sans faire appel à la magie proprement dite : nous avons ajouté du lichen sur les pierres levées ou des gouttes de rosée sur l’herbe - cela capte la lumière et scintille. Nous avons créé un univers fantastique à partir d’éléments naturels. »
Avec quand même l’ajout de feux follets pour les scènes fantastiques de nuit :
David MacCarthy, Superviseur VFX : « Il a fallu un an à l’équipe des effets pour perfectionner l’aspect de ces petits phares. On commence par créer le coeur des feux follets qui est le véritable personnage - c’est la géométrie. Nous avons rempli ce cœur d’un gaz sonore. Viennent ensuite deux niveaux à l’extérieur. La silhouette principale ressemble beaucoup à une flamme et à une bougie, sauf que lorsqu’elle bouge, son mouvement ne subit pas l’effet de la gravité. On dirait plutôt qu’elle se déplace sous l’eau. Elle exhale une lueur bleue et possède des petits filaments qui ressemblent à du plasma lorsqu’elle se déplace. Les feux follets se déplacent toujours avec langueur, de manière aérienne, d’avant en arrière et de haut en bas, et leur déplacement ressemble beaucoup à celui des méduses. »
Kilts et tartans
Katherine Sarafian, Productrice: « Dans Rebelle, les vêtements sont très importants pour vraiment définir les personnages et transmettre l’atmosphère de l’Écosse. Nous voulions qu’ils reflètent la texture accidentée de la terre et les multiples épaisseurs qu’on superposait couramment à l’époque. »
Les tartans, motifs caractéristiques des clans écossais, ont fait l’objet d’attentions spéciales :
Tia Kratter, DA shaders : « Nous ne voulions pas reproduire le tartan spécifique à une famille écossaise ou une autre, nous voulions inventer les nôtres. Pour la famille de Merida, les DunBroch, nous avons opté pour des bleus et des violets profonds. Nous avons pu choisir les couleurs, le poids des fils et leur épaisseur, et nous les avons entrés dans un programme qui nous a donné de nombreuses combinaisons différentes. »
Colin Thompson, Superviseur shaders personnages: « Philip Child, artiste shaders personnages et chargé de la mise en couleurs, a mis au point un nouveau programme qui permet de faire la cartographie d’un vêtement, comme un globe terrestre, avec des latitudes et des longitudes. À partir de cela, nous pouvons tisser des courbes les unes autour des autres. L’ordinateur fonctionne comme un designer textile ou un tailleur numérique, et crée des textures comme celle de la toile de jute, du pied-de-poule et des motifs à chevrons, avec leurs nécessaires inégalités et irrégularités. Et créer par ordinateur un tissu aussi luxueux que la soie est vraiment facile, mais réaliser de la toile de jute est incroyablement difficile.
Nous avons développé un moyen de tisser une étoffe numériquement en attribuant une séquence de couleurs à tous les fils allant dans un sens et une séquence correspondante à tous les fils allant dans le sens inverse. Pour le tartan des DunBroch, nous avons dû mettre des astuces au point pour intégrer encore plus de couleurs dans le mélange afin que l’aspect final ait l’air authentique. »
La complexité des costumes a aussi engendré des besoins inédits pour l’animation.
Katherine Sarafian, Productrice: « Dans Monstres & Cie, Boo porte un tee-shirt et des leggings. Et la mère d’Andy est vêtue d’un pantalon moulant dans Toy Story 2. C’est tout ce dont on était capable à l’époque. Dans Rebelle, le roi Fergus superpose huit couches de vêtements : cotte de mailles, armure, un kilt qui compte plusieurs couches de tissu enroulées, une ceinture, un fourreau pour son épée et même une cape en fourrure d’ours. Merida doit pouvoir monter à cheval avec sa robe tout en tirant à l’arc. Tout cela doit être programmé afin que chaque épaisseur bouge comme il se doit et interagisse avec les autres vêtements. Notre équipe s’en est sortie grâce à une nouvelle technologie, un nouveau logiciel. »
Animation et simulation
Rebelle comprend 10 personnages principaux, 20 personnages secondaires et plus de 100 personnages figurants (dont le nombre pouvait être doublé pour les scènes de foule).
Bill Sheffler, Superviseur modélisation et rigging personnages: « Un personnage comme Merida possède des milliers de contrôleurs d’animation et des cinématiques inverses complexes (un procédé qui permet aux animateurs de déterminer les macro-mouvements, positions et rotations des articulations d’une main ou d’un bras via des opérations mathématiques complexes), c’est du jamais vu. Le rigging des visages est plus complexe, nous y avons travaillé avec un tout nouveau logiciel développé en interne. »
Idem pour l’animation : Pixar a développé Presto, un nouveau système d’animation propriétaire.
Steve May, Superviseur technique : « Rebelle est le premier film Pixar à utiliser ce nouveau système d’animation propriétaire. Il nous permet d’atteindre un niveau de complexité dans l’animation impossible auparavant. L’une des choses les plus difficiles à réaliser en animation est de contrôler plusieurs personnages reliés entre eux et dépendants les uns des autres. Il y a une scène dans laquelle Merida monte son fidèle destrier Angus tout en brodant une tapisserie, accompagnée des triplés. L’animation de chaque personnage dépend des autres : si l’un bouge, les autres doivent réagir, et la manière dont ils dépendent les uns des autres évolue au cours du plan. Les connexions sont dynamiques, et pour simplifier la tâche des animateurs il était nécessaire de mettre une nouvelle technologie d’animation au point. »
Bill Wise, Superviseur technique: «. Presto nous a permis d’avoir plus de contrôle et plus de puissance, en particulier pour les scènes avec les ours et les chevaux. Ce sont des personnages imposants, lourds et musclés, et nous voulions intégrer de la simulation dans le processus d’articulation afin d’obtenir ce mouvement secondaire : la secousse dans le muscle et la chair au moment de l’impact. Nous voulions faire ressentir ce poids et cette masse. Le résultat est visible lorsque le cheval Angus avance d’un pas lent ; son poitrail et ses muscles bougent à chaque pas pour obtenir ce résultat. Cela nous a permis d’intégrer la simulation au processus d’animation. C’est une énorme avancée. »
Steve May, Superviseur technique : « La scène de la rivière – où Merida et sa mère pèchent le saumon et se débattent dans les tourbillons - combine de l’animation dernier cri pour les cheveux et les vêtements de Merida, et une simulation d’eau pour la rivière. L’eau est animée grâce à de nouvelles technologies qui permettent de créer aussi bien un mouvement d’ensemble, comme la forme générale de la rivière, que des éléments très détaillés comme les tourbillons qui se forment autour des rochers ou les éclaboussures provoquées par les personnages. C’est probablement la simulation physique la plus complexe jamais réalisée dans l’animation.»
Au résultat, Rebelle est digne de figurer parmi les meilleurs films de Pixar, peut-être pas au niveau des Toy Story, mais certainement à celui de Ratatouille, deWall-E ou deLà-Haut. Et, cerise sur le gâteau, Rebelle est précédé en salles par La Luna, un excellent court de Pixar (réalisateur : Enrico Casarosa), poétique à souhait.
Paul Schmitt, août 2012
Les galeries à voir sur les mêmes sujets :
Films du studio Pixar :
>> Cars 2
>> Toy Story 3
>> Là-Haut
>> One man band