Terminator Renaissance

Skynet et ses robots Terminator sont de retour pour une quatrième tentative d’extermination de l’espèce humaine, dans un futur (2018) où  humains et robots se livrent à une guerre sans merci. Un film avec beaucoup d'effets, mais qui combine les SFX (maquettes et animatronique) du studio Stan Winston aux VFX signés ILM.

Tout est né d’une simple vision de James Cameron. En 1984, il est un jeune réalisateur de 30 ans à la filmographie peu glorieuse (Piranhas 2…). Cameron imagine une scène dans laquelle un homme apparemment normal est avalé par une énorme explosion. Il en ressort sous la forme d’un terrifiant endosquelette de métal, son camouflage humain ayant été calciné par le brasier. À partir de cette seule vision, le cinéaste échafaude toute une histoire de guerre du futur contre les robots, ces derniers envoyant l’un des leurs en 1985 pour éliminer la mère du futur chef de la Résistance. Ce concept de voyage dans le temps s’impose de lui-même car James Cameron sait qu’il n’aura jamais le budget nécessaire pour situer l’action dans le futur.
Au départ, Arnold Schwarzenegger doit incarner Kyle Reese, le héros, mais l’acteur est fasciné par le personnage du robot T-800. Contre l’avis de son entourage et de son agent, il demande à interpréter ce rôle d’assassin implacable et dénué d’émotions. La suite, on la connaît : ce rôle deviendra le plus emblématique de sa carrière. Comme quoi, l’instinct d’un acteur a parfois plus de valeur que l’avis très logique d’un agent…
En 1984, le modeste budget de 6,5 millions de dollars ne permet pas à Cameron de faire des folies, côté effets visuels. Il limite donc ces derniers au strict minimum (des miniatures, essentiellement) et investit la majeure partie du budget dans un robot grandeur nature fabriqué par le maquilleur StanWinston. On l’oublie souvent, mais c’est James Cameron lui-même qui a dessiné le fameux T-800. Ancien illustrateur et décorateur, le cinéaste sait mieux dessiner que bien des professionnels en la matière !
À l’époque, le robot crée la sensation. Pour la première fois, un film montre la structure interne d’une machine humanoïde, là où tous les précédents avaient choisi la solution de facilité en réalisant un robot aux formes pleines (Planète Interdite, Star Wars, etc.). L’innovation se situe alors sur le plan des maquillages spéciaux, mais elle a fait date.
Six ans plus tard, James Cameron joue une nouvelle fois la carte de l’innovation technologique et révolutionne les effets spéciaux. Pour Terminator 2, il n’hésite pas à mettre en scène un personnage de robot métamorphe, le T-1000, entièrement réalisé en images de synthèse. Un pari extraordinairement risqué à l’époque, car si le personnage ne fonctionne pas, c’est le film entier qui s’effondre. En un seul film, le réalisateur fait accomplir un bond de géant à l’infographie. ILM acquiert sur ce projet un savoir-faire qui lui conférera une solide avance sur la concurrence pendant une dizaine d’années.
Suite à des problèmes de droits, il faudra attendre douze ans pour voir Terminator 3. Et c’est une déception. Privé de la vision de Cameron, le film est exempt de l’esprit d’innovation qui avait marqué les deux premiers opus. Le personnage du T-X n’est qu’une version féminine et améliorée du T-1000. C’est dire si le réalisateur McG (Charlie et ses Drôles de Dames) et l’équipe d’ILM étaient attendus au tournant pour Terminator Renaissance, quatrième opus de la saga. Une saga qui s’est affranchie de son créateur, puisque James Cameron n’est même pas cité au générique.

SFX plutôt que VFX
Ancien d’ILM, le superviseur des effets visuels Charles Gibson (Pirates des Caraïbes) confie les 366 plans d’animation 3D à ILM, secondé par les studios Asylum, Rising Sun, Pixel Liberation Front et Sony Imageworks India. Le  projet est par ailleurs supervisé en interne par Ben Snow, qui sort d’un an et demi de travail sur Iron Man et semble donc tout indiqué pour créer les divers effets robotiques du film.
Alors que la tendance générale de l’industrie semble aller vers une utilisation croissante de la 3D, McG et Charlie Gibson misent sur les prises de vues réelles dans un maximum de scènes. Selon eux, les éléments réels peuvent ancrer le film dans la réalité bien mieux que le virtuel ne saurait (encore) le faire. De fait, Terminator Renaissance devient l’un des plus gros projets d’effets miniatures de ces dernières années. Le projet est confié aux bons soins de Kerner Optical, l’ancien département d’effets miniatures d’ILM, devenu indépendant en 2006. Sous la supervision de Brian Gernand, le studio réalise des dizaines de maquettes. Les antennes paraboliques géantes de la scène d’ouverture sont ainsi fabriquées en miniature, puis détruites de façon astucieuse. Au lieu d’utiliser des effets pyrotechniques, l’équipe utilise des câbles qui tirent la structure vers le bas, ce qui entraîne sa rupture et empêche les pièces de rebondir sur le sol. Même approche pour l’effondrement d’un gratte-ciel au passage d’un Hunter-Killer, les machines de guerre volantes des robots. La maquette mesurait plus de sept mètres de haut.
La destruction de la forteresse de Skynet (l'ordinateur qui commande les robots), scène finale du film, fait intervenir deux décors de 15 mètres de côté fabriqués à des échelles différentes. La tour Skynet est construite au 1/24, puis le quartier environnant au 1/48. Les deux sont détruits par des charges explosives au déclenchement piloté par ordinateur. Ensuite, ILM scanne les prises de vues, puis incruste l’explosion de la tour au milieu de l’explosion du quartier, les deux décors étant alors combinés en un seul. Si l’équipe scinde la séquence en deux éléments différents, c’est parce que la tour devait être filmée de beaucoup plus près que les bâtiments environnants, ce qui impliquait de travailler à une échelle plus petite. À l’arrivée, l’explosion bénéficie d’un côté organique et tactile qui démultiplie l’impact de la séquence.
Les miniatures sont également utilisées pour la scène de combat aérien entre les chasseurs A-10 de la Résistance et les Hunter-Killers de Skynet. Chaque destruction d’avion fait intervenir une énorme maquette de trois mètres d’envergure : l’engin est filmé en train de glisser à grande vitesse le long d’un câble, ce qui génère des turbulences réalistes sur l’explosion. Quant au Hunter-Killer, l’impact d’un missile sur le réacteur est réalisé à l’aide d’une maquette partielle : le réacteur est détruit en miniature, puis incrusté sur un engin 3D qui se désintègre en simulation dynamique. Une combinaison de techniques qui renforce le réalisme de l’effet. Toutes ces prises de vues et animations sont ensuite combinées avec des images aériennes enregistrées dans des canyons escarpés.
Pour Ben Snow, c’est une nouvelle façon de travailler. Dans Star Wars - Episode II et Pearl Harbor, il avait réalisé la plupart des destructions d’engins à l’aide de simulations dynamiques. Ce retour à des effets basés sur des éléments réels renvoie à une époque où l’animation 3D n’occupait pas encore une place aussi dominante dans le monde des effets visuels. Mais au final, ces effets sont parmi les plus réalistes qu’ILM ait jamais créés ces dernières années.

Terminator T-600 et T-800
La même approche est appliquée aux scènes de robots. Là encore, Charlie Gibson va proposer des combinaisons d’effets réels, créés par Stan Winston Studio, et des animations 3D. Dans les plans serrés, les robots T-600 ou T-800 sont des marionnettes télécommandées, tandis que dans les plans larges, chaque fois qu’un robot doit se déplacer, il s’agit d’une version 3D. L’équipe de Ben Snow commence par scanner une par une chacune des pièces qui constituent la version « réelle » du robot. Ces textures permettront ensuite d’obtenir un robot virtuel 100% identique au robot réel. ILM et Stan Winston Studio avaient déjà procédé de la même façon pour Iron Man, avec le résultat que l’on sait.
Cette fois, ILM décide de tester une nouvelle approche pour l’éclairage de ces pièces métalliques. Sur le plateau, l’équipe prend soin de photographier l’environnement avec un bracketing beaucoup plus important que d’habitude. L’idée est de pouvoir ensuite s’adapter au traitement d’image extrême, très contrasté, qui va être appliqué à tout le film. ILM utilise une nouvelle technique de shading mis au point par le Français Christophe Héry, pilier du département R&D. Elle permet de combiner les hautes spéculaires et les reflets en une seule passe, ce qui produit une lumière bien plus réaliste sur les surfaces métalliques. Dans ce domaine, ILM bénéficie de l’immense expérience acquise sur des films comme Pearl Harbor, Transformers, et Iron Man.

Pour animer les robots, ILM utilise un maximum de références réelles. Les scènes avec les T-600 et T-800 sont ainsi tournées avec des acteurs portant des justaucorps gris équipés de trackers. Plusieurs caméras enregistrent l’action afin de fournir des points de vue différents sur la scène. En postproduction, ces diverses perspectives permettent de reconstituer, par triangulation, chaque mouvement du personnage. Baptisée iMoCap et inaugurée sur Pirates des Caraïbes, cette technique permet aux réalisateurs d’obtenir une parfaite interaction entre les acteurs et les personnages virtuels – car il y a un vrai contact physique entre les deux.
La séquence de poursuite à moto ne fait pas exception à cette règle : les plans sont tournés avec des cascadeurs conduisant des Ducati à grande vitesse. Ils portent, eux aussi, des combinaisons spéciales munies de trackers. Ensuite, ILM les efface de l’image et intègre à la place les Moto-Terminators 3D. Grâce à la référence fournie par les vraies motos, les engins de Skynet évoluent sur la route avec un réalisme absolu.

Schwarzenegger, oui, mais en 3D!
Une autre approche est utilisée pour la déjà fameuse scène de l’apparition du T-800… sous les traits d’Arnold Schwarzenegger. Mais l’acteur n’a pas le physique de l’homme de 62 ans qu’il est aujourd’hui, mais celui de l’homme de 38 ans qu’il était en 1985 ! Car ILM a tout simplement réussi à reproduire le Schwarzenegger du film original. Pour ce faire, ils bénéficient d’un sérieux coup de pouce de la part de Stan Winston Studio, lequel avait conservé les moules originaux de l’acteur. Le studio utilise ces moulages pour fabriquer une fausse tête hyperréaliste de l’acteur tel qu’il était à l’époque. Ensuite, le studio Gentle Giant scanne la tête à très haute résolution, puis la peaufine en se servant de photographies d’époque comme modèle. Enfin, cette tête est animée en 3D, puis incrustée sur le corps d’une doublure filmée dans le décor. En fait, exactement la même technique que Digital Domain pour Brad Pitt dans Benjamin Button.
Le personnage de Marcus (Sam Worthington) exige une approche différente. Au fil de l’action, ce robot à forme humaine voit son enveloppe corporelle se détruire peu à peu, ce qui met à jour son endosquelette. Pour le réaliser, ILM reprend la technique qui avait si bien fonctionné pour Arnold Schwarzenegger dans Terminator 3 : l’acteur porte des morceaux de tissu bleu sur le corps aux endroits où l’endosquelette doit être visible. Ensuite, ces parties bleues sont effacées de l’image, puis remplacées par la partie équivalente de l’endosquelette 3D. Le procédé sera utilisé de la même façon pour les plans du T-600 moitié humain, moitié cyborg.

La scène d'ouverture
Toutes ces technologies semblent avoir été concentrées dans un seul plan de la scène d’ouverture. Pendant plus de deux minutes – une éternité pour un film d’action – la caméra suit Christian Bale (John Connor) dans une série de péripéties : le personnage monte d’abord dans un hélicoptère posé dans le désert, puis décolle, tente de contrôler l’appareil en perdition, s’écrase tête en bas et sort de la carcasse pour assister à une explosion nucléaire tandis qu’un Terminator T-600 lui saute dessus. Le tout en un seul plan ! Une telle scène était bien entendu impossible à filmer en seule prise, d’autant plus que la caméra passe plusieurs fois de l’intérieur à l’extérieur de l’appareil.
Il s’agit en fait d’un plan « impossible » comme celui réalisé par ILM pour la scène de l’autoroute dans La Guerre des Mondes (2005), ou ceux créés par Double Negative pour Les Fils de l’Homme (2006). Impossible dans le sens où ces plans sont constitués d’un assemblage de prises de vues différentes avec des transitions invisibles de l’une à l’autre. Dans Terminator Renaissance, le plan en question est le résultat de la juxtaposition de six plans différents : l’hélicoptère dans le désert du Nouveau-Mexique ; un hélicoptère factice dans un décor de studio qui décolle à l’aide d’une grue ; Christian Bale dans un décor de cockpit monté sur vérins devant un fond bleu ; des images extérieures du vrai hélicoptère – et d’une réplique 3D – en train de tournoyer ; un cascadeur pour le plan d’impact au sol dans un décor ; et enfin, Bale sortant de la carcasse dans un autre décor. Ouf !
Pour réaliser les transitions, ILM utilise un arsenal de techniques 2D et 3D basé, entre autres, sur la re-projection des images. Les dernières images de la prise A et les premières images de la prise B,  tournées de façon à être les plus proches possible, sont analysées par l’équipe, puis une réplique du décor est modélisée en 3D. Les images filmées sont alors projetées sur cette géométrie, ce qui permet de caler à la perfection la transition entre les deux prises. Le processus est ensuite répété sur les autres transitions. En revanche, pour passer du cascadeur à Christian Bale, ILM utilise un bon vieux morphing en retouchant le costume image par image pour que l’effet soit indétectable. L’ensemble de la scène est réalisé dans Zenviro, un logiciel développé en interne.
Lorsque les images ne « collent » pas suffisamment pour être juxtaposées en projection, des éléments 3D sont ajoutés afin d’assurer le passage de l’une à l’autre. Les transitions s’avèrent encore plus compliquées que prévues car les prises ne sont pas forcément tournées avec la même focale ! Un cauchemar pour les graphistes chargés de dissimuler un changement de focale au beau milieu d’un plan… Sans parler des conditions de lumière très différentes entre des plans dans le désert, des plans aériens et d’autres en studio !
Le compositing final est assuré dans Nuke, tandis qu’ILM peaufine la scène en intégrant de nombreux éléments additionnels : les antennes paraboliques – un matte-painting en plan large, des miniatures en plan serré ; puis, plusieurs couches d’animation de poussière, le nuage atomique, (mélange d’effet miniature et d’animation de particules), et enfin, le T-600 animé en 3D. À l’arrivée, des mois de travail pour un plan que la plupart des spectateurs ne remarqueront pas spécialement. En revanche, voilà sûrement un plan qui va être décortiqué par la communauté des effets visuels sur le futur DVD !

Alain Bielik – Juin 2009
(Légendes des visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.