The Wolverine
Visite musclée de Wolverine au Japon, avec en scènes culte des combats sur le toit d’un TGV ou contre un samouraï géant, grâce à Weta Digital.
Pour Hugh Jackman, Wolverine est le rôle de sa vie. Sans lui, il serait encore un acteur australien inconnu tentant de percer à Hollywood. Le rôle n’était même pas pour lui au départ. C’est un autre comédien, Dougray Scott, qui avait été choisi. À la dernière minute, il avait dû se désister, bloqué sur le tournage à rallonge de Mission : Impossible 2 où il incarnait le méchant. Et c’est ainsi que Jackman a pu hériter du rôle qui a fait de lui une star. Depuis, il s’identifie totalement à ce personnage d’immortel aux griffes d’adamantium, au point de s’investir à fond dans chacun des films. Il est d’ailleurs le seul interprète de superhéros à bénéficier du titre de producteur. Tous les autres, Robert Downey Jr., Christian Bale, Chris Evans, etc., se contentent d’être acteur.
Hugh Jackman a ainsi suggéré d’adapter la bande dessinée où Wolverine se rend au Japon. Ecrite par Chris Claremont et dessinée par Frank Miller, cette mini-série en quatre volumes a connu un grand succès commercial et critique en 1982. C’était même la BD Wolverine que Jackman préfère. Dans cette histoire, Wolverine s’entraîne avec les héritiers modernes des samouraïs, devient un maître des arts martiaux, affronte les yakuzas (ndlr: mafieux japonais), etc.
De par le cadre contemporain et l’absence des autres mutants X-Men, le film semblait avoir des besoins limités en matière d’effets visuels. Pourtant, c’est tout le contraire qui s’est produit. Wolverine – Le combat de l’immortel a fait exploser les chiffres de la saga, avec plus de 1100 plans à effets visuels, à quoi il convient d’ajouter 200 plans qui ont été abandonnés en cours de route. À la tête de cet ambitieux projet, on retrouve en Superviseur VFX Phil Brennan qui avait déjà supervisé Blanche Neige et le Chasseur l’an dernier.
Les effets visuels ont été entièrement réalisés en Australie (Rising Sun Pictures) et en Nouvelle-Zélande (Weta Digital). Le tournage en Australie permettait à la 20th Century Fox de bénéficier d'un gros abattement fiscal, à condition que la majeure partie de la post-production soit réalisée par des prestataires locaux.
Weta a signé près de 400 plans pour les scènes les plus complexes du film, à commencer par celle du combat de Wolverine contre un samouraï de trois mètres de haut, comme nous l’explique Phil Brennan.
Pixelcreation: Comment la séquence du combat contre le Samouraï d'Argent a-t-elle été tournée ?
Phil Brennan : C’était incontestablement la scène la plus ambitieuse de tout le film, celle sur laquelle nous avons investi le plus de temps et de ressources. Nous devions montrer de manière crédible ce combat contre un titan de trois mètres. La première chose que nous avons décidée, c’est d’avoir quelqu’un pour interpréter le samouraï sur le plateau, en l’occurrence un cascadeur. On ne voulait pas que Hugh Jackman joue la scène seul, face à un espace vide. On avait besoin d'une présence physique pour ancrer ce combat dans la réalité. Hugh avait un vrai partenaire avec lequel interagir.
Le cascadeur était monté sur des échasses, ce qui permettait à Hugh de regarder à la bonne hauteur. Bien entendu, l'interprète était beaucoup moins mobile que son personnage, les échasses limitaient ce qu'il pouvait faire, mais sa présence constituait un plus indéniable. Non seulement cela aidait grandement Hugh, mais on obtenait à la prise de vue des plans qui pouvaient être intégrés dans le prémontage. C'est toujours très difficile de monter une scène lorsque le personnage principal en est absent. Là au moins, les monteurs avaient les deux personnages à l'image et pouvaient construire la scène de façon optimale.
Sur le plateau, les acteurs étaient filmés par plusieurs caméras témoins qui fournissaient des points de vue différents sur le cascadeur. Cela nous permettait ensuite de trianguler sa position dans le décor en vue d'intégrer le samouraï animé en 3D.
Pixelcreation: De quelle façon le Samouraï d'Argent a-t-il été animé ?
Phil Brennan : Tout d'abord, chaque plan a été filmé en trois passes successives. Il y avait une prise avec Hugh face au cascadeur, puis une prise avec Hugh effectuant les mêmes mouvements seul dans le décor, et enfin, une prise avec le décor vide, sans les acteurs.
La première étape a consisté à effacer le cascadeur de l'image en récupérant des bouts de décor vierge extraits de la troisième prise. En général, c'est cette première prise qu'on utilisait pour incruster le samouraï dans le plan, mais parfois, l'animation collait mieux avec la prise dans laquelle Hugh était seul. En tout cas, on avait le choix entre les deux versions.
Ensuite, nous avons effectué une session de motion capture avec le cascadeur. Il a reproduit tous les mouvements de la chorégraphie du combat, excepté que cette fois, il n'était pas gêné par les échasses. Il pouvait donc se livrer à fond physiquement. Compte tenu de la différence de taille, il a fallu adapter ses proportions à celles du samouraï, afin qu’on puisse augmenter chacun de ses mouvements avec un coefficient adéquat et que son corps corresponde à celui du personnage. Cela nous a donné une bonne base pour l'animation, laquelle a été peaufinée à la main. Il a fallu notamment ajouter tous les effets de balancement des chairs afin qu'on ressente bien à l'écran la masse énorme de ce personnage.
Pixelcreation : Parlez-nous à présent de la séquence du train à grande vitesse…
Phil Brennan : Wolverine livre un combat à mort contre un yakuza sur le toit de ce train lancé à pleine vitesse dans la banlieue de Tokyo. Cette scène représentait, elle aussi, un défi considérable, car l'environnement entier devait être ajouté dans l'image. Avec Weta, nous avons commencé par regarder tout ce qui avait été fait dans le genre, comme la scène finale du premier Mission : Impossible. Nous avons observé comment cela avait été réalisé, de quelle manière on pouvait l'améliorer, etc.
Notre idée était d'utiliser la vitesse comme partie intégrante de l'action. Les personnages se servent de l'énorme déplacement d'air pour effectuer certains mouvements. Nous voulions que la scène soit parfaitement réaliste, cela nous a conduits à utiliser des arrière-plans réels, et non pas générés en images de synthèse.
Au départ, nous avions prévu de filmer le décor depuis une caméra fixée sur le toit d'un vrai train à grande vitesse, mais cela s'est avéré impossible. Il y avait trop de problèmes de sécurité et les autorités japonaises ne nous ont pas donné l’autorisation. Nous nous sommes donc rabattus sur un plan B, à savoir un tournage depuis une voie ferrée aérienne qui traverse la banlieue de Tokyo sur plusieurs kilomètres.
Pixelcreation : Comment avez-vous procédé ?
Phil Brennan : Nous avons installé huit caméras numériques Epic sur un wagon, elles couvraient le paysage à 360 degrés. Ensuite, Weta a étalonné, puis juxtaposé toutes ces prises de vues de façon à obtenir un panorama circulaire de l’environnement qui défilait autour du train. On pouvait donc cadrer l’action comme on voulait, l’arrière-plan correspondant était toujours disponible.
Il a ensuite fallu retravailler ces images en les reprojetant sur de nouvelles géométries afin que le paysage se retrouve cadré à la bonne hauteur. L'approche était assez différente du processus habituel dans la mesure où nous avons filmé ces arrière-plans en premier, avant les acteurs. Cela nous a permis de définir la lumière qui devait éclairer ces derniers. Du coup, on se retrouvait avec une lumière qui était parfaitement raccord. Souvent, j'ai participé à des projets où l'on procédait de manière inverse, à cause de problèmes d'emploi du temps, c'est-à-dire qu’on filmait d'abord les acteurs, et ensuite, on essayait de trouver un arrière-plan avec la lumière qui correspondait…
Pixelcreation : Ça doit être compliqué…
Phil Brennan : Oui, car on doit retrouver en extérieur les conditions d’éclairage de plans filmés en studio. À l’arrivée, il y a fréquemment de gros problèmes pour faire correspondre les deux. Cela n’a pas été le cas sur The Wolverine.
Les acteurs ont été filmés dans un studio sur un toit de wagon entièrement entouré d'un fond vert. Ils étaient suspendus à des câbles qui leur permettaient d’effectuer diverses acrobaties. Toutes les péripéties du combat avaient été soigneusement prévisualisées en amont du tournage. Pour simuler la grande vitesse, deux techniques étaient employées : de gros ventilateurs qui balayaient le décor, et surtout, de petits jets d’air comprimé déclenchés depuis le côté de la caméra et dirigés droit sur l’acteur – ils donnaient de bien meilleurs résultats.

Pixelcreation : La scène d'ouverture est elle aussi très impressionnante.
Phil Brennan : On y voit Wolverine échapper à l’explosion nucléaire sur Nagasaki en 1945. La scène a été réalisée par Rising Sun Pictures. L’action et le décor ont été créés en images de synthèse, excepté le premier plan avec les acteurs. Pendant les prises, il y avait divers effets de souffle créés en direct sur le plateau, cela permettait de lier visuellement l'avant-plan et l'arrière-plan.
Pour l'explosion elle-même, nous nous sommes efforcés d'être aussi réalistes que possible. Par contre, nous avons pris beaucoup de libertés avec la réalité sur certains aspects. Ainsi, lorsqu'une bombe atomique explose, l'effet de souffle se propage à quelque 1000 km/h ! Cela veut dire que dans la scène, le souffle aurait atteint le premier plan en moins d’une seconde, ce qui n'avait aucun intérêt sur le plan dramatique. Nous avons donc considérablement ralenti cet effet pour rendre l'action plus lisible et plus spectaculaire, avec un vrai suspense.
De même, l'avion qui largue la bombe aurait été en réalité beaucoup plus haut, on ne l'aurait même pas vu depuis le sol comme c'est le cas dans le film. Mais là encore, c'était pour obtenir un meilleur effet dramatique.
Pixelcreation : La signature visuelle de Wolverine, ce sont ses griffes rétractiles. De quelle manière les effets visuels ont-ils traité l'effet ?
Phil Brennan : C’était très différent selon les plans. Dans les scènes les plus calmes, Hugh Jackman portait des griffes en vrai métal, elles accrochaient la lumière de façon superbe. Lorsque l'action n'était pas trop intense, il utilisait une version en mousse semi rigide qui limitait les risques de blessure. Et quand il s'agissait de se donner à fond dans un combat ou une cascade, Hugh ne portait que des griffes partielles, à peine un ou deux centimètres de long. On ajoutait ensuite les griffes en animation 3D en se calant là-dessus. Cela lui permettait de s'investir totalement dans une scène sans penser à faire attention aux griffes.
Nous avons procédé de la même façon pour l'épée des ninjas. Les acteurs répétaient la scène, et s'ils sentaient qu'il y avait un risque, ils utilisaient un sabre dont la lame avait été réduite de moitié. En post-production, on intégrait la lame entière en animation 3D.
Pixelcreation : Parlez-nous des effets de rajeunissement éclair de Lord Yashida…
Phil Brennan : Pour créer ces effets, il a fallu filmer l'acteur deux fois. Dans la première prise, il avait le visage au naturel, et dans la seconde, filmée sur fond vert, il portait un maquillage qui le vieillissait. À chaque fois, il reproduisait exactement la même interprétation, les mêmes expressions.
On ne pouvait "morpher" directement du personnage veiux au personnage jeune car, pendant qu'il rajeunit, le personnage continue de parler. L’action a été filmée par trois caméras afin de reconstituer les mouvements du visage en trois dimensions. La tête a été ensuite réanimée en 3D, avec une projection des textures, ce qui nous a permis de passer du visage âgé au visage jeune en un seul plan.
Pixelcreation : Quel bilan tirez-vous de ce projet ?
Phil Brennan : Je trouve que tout s'est vraiment très bien passé. Nous avons eu la chance de bénéficier de délais raisonnables. Le tournage s'est terminé en novembre 2012 et nous devions livrer les derniers plans en juin 2013. Côté planning, c'était parfait. Si les délais sont trop courts, vous devez travailler dans l’urgence, mais s’ils sont trop longs, les responsables ont le temps de changer d’avis et vous vous retrouvez à refaire les plans, si bien que vous finissez dans l’urgence !
ALAIN BIELIK, Juillet 2013
(Légendes visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet