Logan

Hugh Jackman offre de superbes adieux à son personnage fétiche avec un film exemplaire aux effets visuels particulièrement « saignants ».

Et dire que Hugh Jackman ne faisait même pas partie de la distribution originale du premier X-Men en 2000 ! C’est un autre acteur qui devait incarner le mutant aux griffes d’adamantium, mais il avait dû se désister suite à un problème d’emploi du temps. Jackman est donc arrivé à la dernière minute sur le projet – et a trouvé le rôle de sa vie. Au final, et si Logan est bien le dernier de la série, l’acteur aura interprété Wolverine pas moins de huit fois ! Un record dans le monde des superhéros.

Depuis le premier film, Wolverine est le mutant le plus populaire de la galaxie X-Men. Autant dire que Jackman tenait à lui offrir des adieux cinématographiques dignes de sa légende. Dans Logan, on retrouve Logan/Wolverine plusieurs années après les événements décrits dans les films précédents. Il fait la connaissance de Laura, une jeune mutante qui lui ressemble en tout point : normal, elle possède les mêmes gènes. Mais une agence gouvernementale cherche à lui mettre la main dessus. Wolverine va devoir se réveiller – une dernière fois.

Logan est réalisé par James Mangold qui avait déjà signé l’opus solo précédent du personnage, Wolverine – Le combat de l’immortel, en 2013. Pour créer les aspects les plus fantastiques du film, Mangold a travaillé avec le superviseur des effets visuels Chas Jarrett, dont il s’agissait du premier film de superhéros. On lui doit la supervision des effets visuels de films comme Charlie et la Chocolaterie, Poséidon ou encore les deux Sherlock Holmes. De tous les films de superhéros récents, Logan est certainement celui qui a nécessité le moins d’effets visuels : à peine 1155 plans. Un chiffre colossal pour tout film ordinaire, mais une misère dans le genre superhéros. À comparer aux 3000 plans VFX de Avengers : L’Ère d’Ultron ou même aux 1500 d’un Deadpool. Le signe d’une production qui a cherché à tout miser sur les images en direct, limitant au maximum les ajouts en postproduction.

Autre particularité du projet, ces effets ont été confiés à des sociétés bien moins connues que les ténors de la profession qui œuvrent sur les productions Marvel (Logan est un film 20th Century Fox). “J’ai fait appel à trois studios principalement,” précise Jarrett, “Soho VFX, Rising Sun Pictures, et Image Engine. Lola VFX est venu s’ajouter là-dessus pour ses effets traditionnellement invisibles. Enfin, j’ai monté une unité effets visuels au sein de la production : ils ont travaillé sur plus de 250 plans. La postproduction a duré 26 semaines, soit un peu plus de six mois.”

Le champ de force du professeur Xavier
L’effet visuel le plus marquant de Logan est certainement celui du champ de force généré par le professeur Xavier. James Mangold voulait quelque chose de totalement original. “L’effet a été compliqué à mettre au point car il s’agissait d’un concept très abstrait,” commente Jarrett. “Dans la scène, le professeur Xavier est victime d’une attaque, mais son pouvoir de mutant fait qu’il paralyse tout ce qui se trouve autour de lui. Après avoir réfléchi à différentes options, j’ai eu l’idée de réaliser un test très particulier. Nous avons filmé un décor quelconque tout en secouant violemment la caméra pendant les prises. Ça nous a donné une image complètement floue, bien sûr. Mais ces images ont ensuite été stabilisées en numérique, c’est-à-dire que les secousses ont été éliminées image par image jusqu’à retrouver un plan fixe – à ceci près que les éléments du décor restaient, eux, dans le flou puisqu’ils avaient été enregistrés ainsi. Le résultat était saisissant, les objets vibraient de façon étrange, comme s’ils étaient sur le point d’éclater, tout en restant immobiles. Ça nous a donné la base de l’effet que vous voyez dans le film : une prise de vues avec une caméra qui tremble, puis une stabilisation en numérique. Là-dessus, nous avons ajouté différentes couches d’effets visuels afin de pouvoir jouer sur chacun d’eux individuellement : l’arrière-plan a subi une déformation de type warping, certains éléments ont été floutés, la lumière jaillissant des fenêtres a été ajoutée, etc. Le résultat final est incroyablement violent !”

Le film de mutants le plus gore

En termes de violence, justement, Logan repousse les limites de tout ce qui a été fait dans le genre. Wolverine et la jeune mutante Laura font usage de leurs griffes, et le résultat est on ne peut plus graphique : le sang gicle, les membres tombent… Pour la première fois, un film montre ce qui arrive vraiment lorsqu’un personnage se bat avec six lames de 30 cm plantés au bout des poings ! Les gerbes de sang ont toutes été créées par des simulations de fluides réalisées en images de synthèse. Elles ont été dosées plan par plan, puis soigneusement calées sur l’action. De même, les membres coupés ont été ajoutés dans les plans et le vrai membre effacé. Des effets réalisés par Rising Sun qui est devenu de facto le spécialiste « gore » du film.

Prévisualisation et postvisualisation pour les scènes d’action
Ces scènes de combat ont fait l’objet d’une étroite collaboration entre le département des cascades et celui des effets visuels. “Notre réflexion a porté sur la manière dont les effets visuels pouvaient permettre, ou ne serait-ce que renforcer, telle ou telle situation de combat ou de poursuite,” explique Jarrett. “Pendant la préproduction, Garrett a préparé chaque scène d’action avec des doublures. Il filmait les tests en vidéo pour les montrer à James et valider l’action. Parfois, il tournait la cascade ou le combat sur fond bleu, puis il me demandait d’ajouter l’arrière-plan par ordinateur. Il s’agissait juste de brouillons de composite dans lesquels nous ajoutions des effets basiques (sang, etc.) qui permettaient à James de visualiser l’action en situation, et de valider ou non le concept. Lorsque la scène était trop complexe pour faire l’objet d’un test filmé, nous passions à la prévisualisation 3D. Plus tard, en postproduction, les plans de cascades impliquant les effets visuels ont subi une postvisualisation : nous avons pris la scène avec les acteurs ou les doublures cascades, puis intégré là-dedans une version provisoire et basique de l’effet spécial. Ça nous permettait de tester plusieurs versions à peu de frais, et lorsque le concept était validé, l’effet était réalisé en haute résolution. La différence avec ce qui avait été fait en préproduction, c’était que nous travaillions cette fois sur les images finales du film, avec les vrais interprètes en situation. C’est donc beaucoup plus précis.”

Pour ces scènes d’action, des doublures numériques se sont révélées souvent indispensables, en particulier pour la jeune actrice Dafne Keene qui n’avait que 11 ans. Dans de nombreux plans, l’action a été tournée avec une doublure, puis le visage du cascadeur ou de la cascadeuse a été remplacé par celui des acteurs. Ces visages ont été réalisés à très haute résolution afin de pouvoir être cadrés plein écran. Pour ce faire, Hugh Jackman et Dafne Keene ont été scannés en HD avec plusieurs expressions au Graphics Lab de l’Institute for Creative Technologies à Los Angeles, un centre de recherche qui se situe à la pointe de la reconstitution des visages humains par ordinateur. Ensuite, Image Engine s’est servi de ces données pour recréer les têtes en numérique et les caler dans l’action.

Un tout organique
Chacun de ces effets visuels a été conçu et réalisé pour s’intégrer de la manière la plus fluide possible dans le film. À l’exception de « l’explosion psionique », la majorité de ces effets passent inaperçus à l’écran. “Ils sont intégrés de manière très organique, si bien qu’ils attirent rarement l’attention. Prenez par exemple la main mécanique du méchant de l’histoire, Donald Pierce. On la remarque au début, mais ensuite, on l’oublie, et pourtant, il s’agit d’une animation 3D qui est présente dans des dizaines de plans – Soho VFX a remplacé la vraie main de l’acteur. Les scènes sont simplement filmées de sorte qu’on ne s’attarde pas sur ces effets. Bien sûr, Logan reste à la base un film de superhéros, mais nous voulions absolument nous démarquer du reste du genre. Le film a sa propre identité visuelle qui ne ressemble à aucun autre film de superhéros.”

Alain BIELIK, Mars 2017
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.