Wonder Woman

Pari réussi pour le premier film de superhéroïne avec en particulier des effets visuels qui savent se faire discrets. NEW: CG progressions signées Double Negative!

À raison de trois ou quatre films par an, les superhéros se suivent et commencent à se ressembler sérieusement. Mais avec Wonder Woman, on est dans l’inédit à tous les niveaux. D’abord parce que c’est le premier film à mettre en vedette un superhéros féminin depuis… Supergirl en 1984 (Catwoman était tellement mauvais qu’il ne compte pas) ! Ensuite, parce que l’action se déroule durant la Première Guerre Mondiale, ce qui offre un cadre très original pour un film de ce genre. Et enfin, parce que Wonder Woman est le plus grand succès mondial de tous les temps pour un film réalisé par une femme. À l’heure où la parité s’impose en politique, il serait peut-être temps qu’Hollywood se penche sur la question…

L’autre aspect inhabituel du film, c’est la discrétion (relative) des effets visuels. On est très loin du bombardement VFX quasi incessant des Avengers ou d’un Batman vs Superman. De fait, Wonder Woman évoque plus un Deadpool qu’un Man of Steel par sa retenue sur les effets visuels. Il faut dire aussi que le film ne disposait que d’une fraction du budget VFX des opus précédents du DC Universe. Cette contrainte a conduit la réalisatrice Patty Jenkins à obtenir un maximum de plans directement à la prise de vues. Résultat, un film solidement ancré dans la réalité.

1800 plans VFX
Pour superviser les effets visuels, Warner Bros. a fait appel à Bill Westenhofer, détenteur de deux Oscars (À la croisée des mondes, L’Odyssée de Pi) et ancien pilier du défunt studio Rhythm & Hues. Ce dernier a réparti les 1800 plans entre deux studios principaux, Double Negative et MPC, le reste étant partagé entre Pixomondo, UPP, et Platige, ainsi que Weta Digital pour une poignée de plans de dernière minute. Westenhofer a également mis sur pied une unité VFX directement au sein de la production – elle a géré les composites basiques, les retouches, les effacements de câbles, etc.

L’objectif de la réalisatrice était de montrer un accroissement très progressif des pouvoirs de Wonder Woman (Gal Gadot). Ceux-ci apparaissent au fil de l’action, et plus celle-ci devient intense, plus les pouvoirs se révèlent être puissants. L’idée était de laisser le spectateur s’habituer à la situation et ne pas le bombarder de superpouvoirs extravagants au bout de trois scènes. Comme sur toutes les productions de ce genre, les scènes à effets visuels ont été méticuleusement prévisualisées en 3D, mais aussi postvisualisées, c’est-à-dire que les maquettes VFX ont été intégrées dans les plans eux-mêmes dès les scènes montées. Une double mission confiée à The Third Floor, grand spécialiste de ce genre de prestation.

Le spectateur découvre le premier pouvoir de Wonder Woman en même temps que celle-ci, lorsqu’elle s’aperçoit par accident que ses bracelets d’Amazone sont capables de générer une terrifiante onde de choc lorsqu’elle les frappe l’un contre l’autre. Réalisé par Double Negative, l’effet reposait sur quatre techniques différentes. D’abord, une décharge lumineuse animée à la main autour des bracelets, puis une onde de choc représentée par une déformation qui traverse le décor sous la forme d’un effet de réfraction, et enfin diverses simulations dynamiques pour visualiser l’impact sur l’environnement.

Super lasso : le Lasso de Hestia
En plus de ses bracelets, l’héroïne dispose d’un lasso dont la lanière est une décharge d’énergie pure. L’équipe ne voulait pas d’un simple lasso qui se comporterait comme un outil de cowboy. La lanière a donc été animée à la main afin de présenter un comportement quasi « intelligent » : le lasso corrige sa trajectoire, s’enroule de manière impossible, etc. Il constitue donc un vrai prolongement du personnage. À ce titre, il a été entièrement animé à la main, l’actrice ne tenant qu’un simple manche. Par contre, pour les plans où Wonder Woman tient le lasso près d’elle, Gal Gadot manipulait un lasso dont la lanière était constituée de LED, ce qui générait suffisamment de lumière pour créer une lueur interactive sur son corps. La lanière d’énergie pouvait alors être intégrée dans l’image de façon bien plus réaliste. Trois studios VFX se sont partagés ces plans.

Le dernier grand pouvoir de Wonder Woman, c’est sa capacité à bondir bien plus loin qu’un être humain. Pour ces plans, la production a recouru à la technique qui fonctionne si bien pour Superman : filmer le vrai acteur en situation en train de simuler le saut, puis effectuer une transition invisible avec une doublure numérique ; même principe pour la réception du saut. Toute l’astuce consistait à choisir une pose clé, une posture « héroïque » que le personnage prenait juste avant de sauter ou juste après avoir atterri : cette pose était le point de transition entre le réel et le virtuel. Parfois, l’action réelle n’était pas assez « héroïque », même s’il s’agissait d’une doublure cascade surentraînée : le mouvement restait trop « humain ». Lorsque cela se produisait, l’intégralité du mouvement était réalisée en animation 3D. C’est le cas, par exemple, pour le plan spectaculaire où Wonder Woman saute à travers une fenêtre avec un soldat.

Dans cette perspective, l’actrice a subi un scan complet en costume. Puis, elle a rejoué toutes les scènes face à une batterie de cinq caméras Alexa synchronisées braquées sur son visage. Face à elle, un moniteur diffusait la scène, tandis qu’elle revivait les émotions du personnage face aux caméras. Ces images permettaient ensuite de reconstituer en 3D le visage en mouvement de l’actrice. Il pouvait être dès lors intégré dans la version numérique de Wonder Woman, ou bien superposé au visage d’une doublure cascade. Le même procédé a été appliqué au grand méchant de l’histoire. Lors du combat final, le personnage est soit l’acteur réel revêtu d’un costume créé par ordinateur, soit d’une doublure avec le visage de l’acteur et l’armure virtuelle, soit un être totalement créé en numérique.

Seule contre tous

Les pouvoirs de Wonder Woman sont mis en évidence lors de deux grandes scènes d’action. Au cours de la première, l’héroïne affronte seule des soldats allemands au milieu des tranchées. Tandis que le personnage charge au milieu de ce no-man’s land, les troupes ennemies la submergent de tirs de mitrailleuses et d’artillerie. La scène a été tournée dans un vaste décor de tranchées construit en extérieur dans les studios de Leavesden, près de Londres. De nombreuses explosions réelles étaient déclenchées tout autour de l’actrice, tandis que celle-ci simulait la faculté de Wonder Woman de détourner les balles avec son bouclier ou ses bracelets. Ensuite, Double Negative a ajouté dans l’image de dizaines de balles traçantes, des explosions très proches du personnage, des projections de terre, des impacts de balles, etc., tout en prolongeant le décor réel à perte de vue. En revanche, la bataille finale a, elle, été filmée presque entièrement sur fond vert. Seul l’espace immédiat autour des acteurs était réel.

Les scènes les plus physiques ont été tournées sur fond vert, avec l’actrice courant sur place sur un tapis roulant – une astuce qui lui permettait de se concentrer sur l’aspect « héroïque » de sa course et non pas sur le fait… de ne pas trébucher dans un trou d’obus. Pour la scène du char d’assaut, Gal Gadot a été filmée en train de soulever, puis de jeter un bloc de polystyrène vert. MPC a ensuite remplacé l’accessoire par le char d’assaut créé en 3D, et simulé l’effondrement de l’église à l’aide de simulations dynamiques.

VFX de dernière minute
Mais l’effet le plus spécial du film a été aussi le plus inattendu. Il n’a été développé qu’en cours de postproduction, lorsqu’il s’est avéré que Gal Gadot était tombée en enceinte à la fin du tournage principal. Lors des prises de vues additionnelles, elle s’est présentée avec le ventre arrondi d’une femme enceinte de cinq mois. Impossible de cacher cela à l’écran. La solution ? Découper une ouverture autour du ventre dans l’armure, puis recouvrir le ventre par du tissu vert… et enfin reconstituer en 3D l’armure originale, avec le ventre plat qui sied à toute superhéroïne ! Là, pour le coup, même Wonder Woman n’aurait pas pu faire mieux.

Alain BIELIK, juin 2017
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 26 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.