J Edgar

Clint Eastwood et Leonardo DiCaprio revisitent la carrière et la personnalité ambigüe de J. Edgar Hoover, fondateur du FBI.

Aux Etats-Unis comme en France, le "biopic" a le vent en poupe. Dernier né de la tendance, le J. Edgar de Clint Eastwood met en images 40 années d'histoire du FBI et surtout de son fondateur très controversé.

Dans une Amérique des années 20 en proie aux à la violence de  divers groupuscules radicaux, à la tentation communiste, puis ensuite à l’émergence du gangstérisme à grande échelle, John Edgar Hoover s’est attaché, parfois au mépris des droits du citoyen, à rétablir l’ordre en créant une police fédérale capable d’agir en toute liberté d’un Etat à l’autre (hérésie dans un pays ou le droit des Etats fédérés et la limitation de l’Etat fédéral sont primordiaux).

Ecrit par Dustin Lance Black qui avait déjà signé le scénario d’ Harvey Milk de Gus Van Sant, biopic sur la carrière politique d’une grande figure du mouvement gay aux Etats-Unis, le film aborde les relations avec sa mère, campée par la Britannique Judi Dench (que l’on a plus l’habitude de voir en « M » dans la série des James Bond, depuis Goldeneye en 1995), les obsessions sécuritaires et  les névroses, ainsi que l’homosexualité supposée du fondateur du FBI. Sans surprise, cet aspect  n’a pas été au goût de tous les anciens amis de l’inspecteur Harry à droite. Acquis au parti républicain depuis son premier son vote en 1952, Clint Eastwood qui s’est plusieurs fois défini comme un « libertarien » (à comprendre comme « très libéral » en français) n’a jamais hésité à mettre en images le bout de sa logique. En 2004, les mêmes s’offusquaient de la scène de fin dans Million Dollar Baby, y voyant un plaidoyer choquant pour l’euthanasie, alors qu’ils passaient sans doute à côté de son message principal : le culte de l’initiative individuelle, fut-elle au prix de la mort. C’est cette fois avec subtilité et pudeur que le cinéaste explore la vie privée d’un des personnages les plus célèbres du XXème siècle, du moins de l’autre côté de l’Atlantique, campé par un DiCaprio toujours aussi en forme. Certaines rumeurs affirmeraient d’ailleurs que Leonardo DiCaprio aurait accepté un cachet de 2 million de dollars pour ce rôle, contre ses 20 millions habituels, preuve de sa motivation pour ce projet. Le bras droit, meilleur ami (et  amoureux platonique d’après le film) de John Edgar Hoover, Clyde Tolson est lui joué par l’excellent Armie Hammer, qui campait les jumeaux Winklevoss dans The Social Network de Fincher.

Direction Photo : les couleurs classiques de Tom Stern
Chef opérateur attitré, vétéran de la filmographie d’Eastwood (depuis Mystic River en 2002), Tom Stern n’a pas changé sa palette de couleurs pour J. Edgar. On retrouve les mêmes tons désaturés et grisâtres, à l’arrière goût assez numérique, déjà présents dans Mémoires de nos Pères, Lettres d’Iwo Jima (2006 et 2007) et l’Echange (2008). Comme pour ces trois précédents films, ce choix aussi artistique que technique s’explique sans doute par la volonté de faire écho aux photographies grisâtres des périodes racontées. Il faut cependant noter que, bien que largement effectué en étalonnage numérique, les décisions de tournage ont une grande influence sur le rendu final de la photographie. En effet, au grand dam des équipes d’effets visuels, Stern ne tourne pas en lumière neutre pour ensuite mieux contrôler l’image en post-production. Bien au contraire, le chef opérateur utilise un ensemble d’objectifs assez vieux et une pellicule au grain très élevé. L’alignement du rendu des plans composés numériquement avec celui des plans tournés en prise de vue réelle constitue donc un challenge supplémentaire qui pèse sur toute l’équipe de post-production, et pas seulement les étalonneurs.


Maquillage à l’ancienne.
Un des grands paris, et également partis pris esthétiques du film réside dans les maquillages. A l’opposé de Fincher qui a vieilli et rajeuni numériquement ses personnages dans Benjamin  Button - une réussite qui a valu l’Oscar des meilleurs VFX à Digital Domain en 2009, Clint Eastwood a préféré l’utilisation de maquillage et prothèses pour faire évoluer ses personnages de la vingtaine à la soixante-dizaine.  Il faut dire que la nostalgie latente du film pour toute une période révolue de l’histoire américaine s’accommode très bien de la bonne vieille méthode –peut-être un peu trop à en croire certaines critiques-  popularisée depuis Frankenstein en 1931.
Ce travail colossal a été effectué par la maquilleuse Sian Grigg, collaboratrice attitrée de Leonardo DiCaprio depuis Titanic sorti 1997, et à Deborah Hopper à qui l’on doit la mise en costumes des 16 derniers films de Clint Eastwood.


VFX  signés Method Studios
Pour créer les plans d’ensemble allant des inaugurations présidentielles dans les années 30 et 60 aux émeutes raciales de Chicago, tout en passant par les scènes glamour de Broadway, Clint Eastwood a fait appel à son collaborateur de longue date Michael Owens et à la branche canadienne de Method Studios implantée à Vancouver. Ce sont également eux qui avaient créé et géré les foules numériques (composées de supporters de rugby dans les stades d’Afrique du Sud en 1994) sur Invictus en 2009, dont ils ont conservé une large palette de comportements pré-enregistrés et réutilisés sur ce long-métrage. Les effets visuels des scènes de bataille de Mémoires de nos Pères et Lettres d’Iwo Jima avaient en revanche été confiés à Digital Domain en 2006.

Le film montre en plan large, depuis le balcon du bureau de Hoover, deux inaugurations présidentielles avec la traditionnelle remontée en voiture de la Pennsylviana Avenue :  celle du démocrate Franklin Delano Roosevelt en janvier 1933, et celle du républicain Richard Nixon en janvier  1969. Ces plans sont composés de divers agents au comportement bien spécifique: policiers et militaires gardant la route, civils saluant leur champion, ainsi que de simples passants. Tous ces comportements ont été enregistrés en motion capture par bloc de 6 personnes, puis ensuite remélangés afin de créer des groupes à qui l’on a attribué des réactions par point géographique.
 

Method Studios a bien sûr utilisé là l’incontournable logiciel de gestion de foules Massive, développé à la fin des années 90 par les équipes de Weta Digital pour la trilogie du Seigneur des Anneaux. Les foules on ensuite été passées sur Houdini qui, selon les équipes de Method, permet une gestion plus précises des différentes attributs de chaque foule grâce à la méthode des « nuages de points ». De cette façon, l’infographiste est capable de dessiner une zone géographique où, par exemple, une telle moitié s’habille d’une telle manière, ou de décider que dans ce coin en particulier, les gens seront plus dynamiques qu’ailleurs.

Le reste est constitué de matte-paintings classiques : ajout de building, de lumières, et de reflets. Anecdote assez amusante : les arbres qui jonchent la Pennsylviana Avenue aujourd’hui étaient déjà présents lors des deux inaugurations que montre le film, mais ils étaient alors peu plus jeunes. Method Studios leur a donc simplement fait subir une cure de jouvence visuelle de respectivement 42 et 78 ans.
Quant au plan d’ensemble montrant les quartiers sensibles de Chicago brûler lors des émeutes raciales de 1968, il s’agit d’un matte-painting combinant majoritairement des photos de Chicago mélangés avec du feu, de la fumée (génération de particules) et divers jeux d’ombres et de lumière.

Ultime témoignage de l’admiration ambiguë que se portent mutuellement le cinéma et la police, J Edgar a été modestement accueilli au box-office américain, où il récolté quelque 37 millions de dollars. En revanche, il vient de démarrer assez fort en Italie et en France, ce qui confirme une fois de plus la popularité de Clint Eastwood dans l’hexagone,  ainsi que la permanence de l’intérêt des Européens pour l’histoire américaine.

Wilhelm Kuhn, janvier 2012

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