L'art japonais de l'amour au temps des geishas

L’art raffiné de l’érotisme au temps des samouraïs et des geishas.

Contrairement aux œuvre indiennes liées auKâma-Sûtra, les estampes érotiques japonaises – les shunga, « images de printemps » - n’ont rien de religieux. Elles s’inscrivent dans le mouvement ukiyo-e, « images du monde flottant », fruit d’une réflexion esthétique et morale sur le caractère bref et transitoire de la vie, où les angles de la beauté féminine idéalisée et de l’imaginaire érotique prennent une part prépondérante.

Ces estampes érotiques japonaises connaissent leur apogée durant l’époque d’Edo (17ème - 19ème siècle) et sont le reflet du mode de vie raffiné, luxueux et moderne de la classe des chōnin, citadins bourgeois qui fréquentent les théâtres, les quartiers de plaisir où officient les geishas, organisent des fêtes et revendiquent une existence tournée vers l’hédonisme et la satisfaction des désirs personnels.  Des artistes comme Hokusai et Hiroshige, célèbres pour leurs « Vues » sur les paysages japonais, ont aussi abordé l’érotisme dans leur carrière.

Shunga et shupon – livres érotiques – évoluent en style pendant cette période. Jusqu’au XVIIème siècle dominent les oeuvres délicates, aux couleurs impalpables et aux traits fins, où les courtisanes semblent transcender leur rôle, pour s’élever au rang d’icônes féminines, dont l’ovale du visage rappelle celui des poupées de porcelaine. Cette délicatesse fait place à l’ardeur, voire la frénésie au XIXème siècle : les lignes nerveuses exaltent les couleurs et la représentation figurative, jusqu’à dessiner un érotisme de type agressif.

Ces peintures et gravures sur bois sont souvent agrémentées d’inscriptions calligraphiques qui les complètent dans la composition. Les figures et les mots s’unissent sur le plan même de la représentation suivant un système de composition et de communication des univers poétiques, en quelque sorte  « multimédia » selon Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque de Paris. La simplicité expressive est portée à son paroxysme. Il s’exprime, d’un point de vue formel, en tentant d’optimiser le profit cinétique des mouvements de la main et de l’épaule, d’étendre les formes avec le plus petit nombre possible de coups de pinceau, idéalement d’un seul mouvement de la main, afin de créer un lien direct entre l’esprit et le produit de la créativité.

La Pinacothèque de Paris  offre ainsi à ses visiteurs une saison « Art et Érotisme en Orient »  avec, en complément de l’exposition Kâma-Sûtra, quelque 250 estampes japonaises,  livres érotiques et œuvres d’art appliqué (kimonos) jusqu’au 15 février 2015. Un art qui n’est pas qu’anecdotique : le succès des estampes japonaises à la fin du XIXème siècle en France a contribué  à la liberté artistique de Toulouse-Lautrec  ou Van Gogh entre autres.

Paul Schmitt, janvier 2015