Vous racontez votre quotidien professionnel

Amis graphistes, animateurs 3D, illustrateurs et autres virtuoses du Flash, comment allez-vous en cette étrange année 2009 ?
Fidèle à sa tradition, Pixelcreation.fr est allé à votre rencontre.
Revenus, humeur (bonne ou mauvaise), prévisions, tendances, envies et craintes : nous vous avons tout demandé. Et vous avez parlé...

A quoi ressemblent vos métiers ?

Tous, vous êtes passionnés par votre métier. Ou plutôt, vos métiers, au pluriel. "On ne fait pas un métier, mais plusieurs à la fois", affirme en effet Goulven Baron, graphiste print et web freelance en Vendée.

"Il faut connaître l'ensemble de la chaîne graphique afin de concevoir une création qui puisse être déclinée sur différents supports techniques. Evidemment, la déclinaison d'une création n'est plus de la création à proprement parler mais plutôt de l'exécution. Mais cela reste tout de même passionnant car les procédés d'impression ou de fabrication évoluent aussi et il y a beaucoup à apprendre de la technique", affirme Guillaume Belin, graphiste en région parisienne.

Des professions en crise ?

"Le graphisme est un métier en crise !" prévient d’emblée le directeur artistique Elhadi Yazi, pourtant signataire de nombreux projets prestigieux. "Nous pensons que nous devrons cesser cette activité dans 1 ou 2 ans", complètent les orléanais du studio Laboratoire CCCP, Dr. Peche et Melle Rose, avec une triste ironie.

"En ce moment, tout le monde fait tout et n’importe quoi !", regrette à son tour François Caspar, trésorier et cofondateur de l'Alliance Française des Designers. "Les métiers du design sont des professions qui se paupérisent car il y a trop de gens inexpérimentés sur le marché."

"Il y a encore beaucoup de charlatanisme dans les métiers du design interactif", renchérit Benoît Drouillat, Président de l’association des Designers Interactifs. "Des gens qui bricolent dans leur coin, un peu touristes. Il faut absolument définir ce que sont nos professions. Et c’est bien la difficulté des métiers du design : nous n’avons pas d’ordre, n’importe qui peut se dire designer."

Guillaume Belin abonde dans son sens. "De plus en plus, certains exercent ce métier par le biais d'internet sans déclarer leur revenus ou métier, ce qui pose un gros problème de concurrence : comment peut on vendre la même prestation avec des charges qu'un autre n'aura pas ? Ou comment expliquer à un client un tel écart de prix ?"

Mais Benoît Drouillat ne joue pas uniquement la carte négative. Il voit du positif dans le monde du design. "Nous assistons à un début de maturité des professionnels. On sent que les gens ont besoin de se rencontrer, d’échanger notamment à l’occasion de workshops."

Des écoles en phases avec les réalités du marché ?

Benoît Drouillat constate cependant que dans les écoles l’enseignement du design interactif est encore un peu balbutiant. "On ne sait pas quoi mettre dans les programmes", explique-t-il. Les meilleures écoles sur ce secteur ? "L’ENSCI, l’Ecole de design Nantes Atlantique, les Gobelins, le Strate College…" Il regrette notamment que les étudiants n’aient pas une culture assez robuste sur le numérique.

Des écoles qui ne forment pas nécessairement aux subtilités du numérique, ni même à celles de la gestion d’une petite entreprise – comptabilité et démarches commerciales incluses ! "Je n'ai pas été formé au web, ni au commercial, ni à la gestion de projets", se souvient Goulven Baron. 

Les statuts

Agessa, Maison des Artistes, Urssaf, PME, auto-entrepreneur… Les designers, les métiers de la création, dépendent d’une multitude de statuts. Un univers flou où il n’est pas toujours simple de trouver son chemin quand on débute.

Témoin de l’incroyable complexité statutaire d’une profession aux fonctions élargies, Guillaume Belin qui a renoncé à la très confortable protection sociale offerte par la Maison des Artistes (MDA). "Je suis actuellement en libéral, inscrit à la chambre des métiers et de l'artisanat en Entreprise Individuelle. Ainsi je peux facturer une prestation d'impression et d'exécution, ce que le statut de la MDA ne permet pas. Certes, les charges sociales sont plus élevées, mais je ne suis pas hors la loi."

Elhadi Yazi, lui, imagine un statut d’intermittent de la création sur le modèle des intermittents du spectacle. "Il faudrait créer un statut du designer", conclue Benoît Drouillat. L’AFD y travaille justement… Et la profession de croiser les doigts.

Comment se comportent les commanditaires ?

"De plus en plus, les clients comprennent que le design (graphique, produit…) est un investissement rentable pour eux", assure François Caspar, plutôt optimiste.

"Tout dépend du statut et de l’âge du client", nuance Stéphane Munnier, Flash designer et directeur artistique web freelance. "La relation n'est pas la même si c'est un DA ou un chef de projet ou encore si mon interlocuteur est débutant ou non."

Elhadi Yazi douche son enthousiasme. "Les rapports avec les commanditaires se dégradent petit à petit", regrette-t-il. "Sur le marché on trouve trop de graphistes – ou de gens qui se prétendent graphistes."

Goulven Baron n’est pas loin de partager son avis. "Les commanditaires perçoivent nos métiers avec un mélange de fascination et de méfiance. Ils ne savent pas ce qu'ils veulent, les institutions ne savent pas ce qu'on vend ni comment on le vend, la société ne perçoit que la face visible de l'iceberg (des ordinateurs qui font des images)." Il se réjouit néanmoins de constater un intérêt de plus en plus important des PME pour le média web.

Guillaume Belin lui aussi avoue des rapports en dents de scie avec ses commanditaires. "Certains sont très fiers de faire appel à un indépendant pour de la communication visuelle et considèrent son intervention comme une réelle valeur ajoutée. D'autres au contraire pensent faire appel à un étudiant qui dessine sur un ordinateur et qui va bidouiller quelque chose sans que cela ait une incidence sur des ventes ou une image de marque. Tous les commanditaires ne se comportent pas de la même façon."

La tentation de casser les prix

Les temps sont durs, les concurrents nombreux, certains pourraient être tentés de serrer leurs devis au maximum pour, au moins, remporter quelques marchés. Une stratégie perdante à tous les coups pour François Caspar, cofondateur de l’AFD. "Quand on n’est pas cher, on récupère certes des clients – mais de mauvaise qualité. Des clients qui voudront toujours payer moins cher", explique-t-il. "Il faut résister le plus possible aux prix bas, à terme ça paye", insiste-t-il. "Cela devrait même être une stratégie pour ne plus subir le marché. Je connais de très bons designers qui ne remportent pas le succès qu’ils devraient simplement parce qu’ils n’ont pas fait le choix d’une démarche qualité."

"D’une manière générale les débutants peuvent pratiquer des prix jusqu’à 20% moins chers que ceux des designers confirmés avec 10 ans d’expérience", explique François Caspar qui prévient. "Une plus grande réduction donnerait un prix vraiment trop bas qui casserait le marché."

La crise, quelles conséquences ?

Pour Antoinette Lemens, fondatrice du cabinet de recrutement spécialisé Jobs in Creation et responsable clientèle Europe chez Aquent, "c’est en période de crise que les gens montrent la plus grande créativité. Les périodes de crise sont bonnes pour les créatifs. Cela va peut-être permettre un assainissement des pratiques, notamment par rapport aux compétitions (pas ou peu dédommagées). C’est aussi le bon moment pour les jeunes de sortir du bois, avec de nouvelles idées, de nouveaux métiers."

Pour Elhadi Yazi, directeur artistique freelance depuis quinze ans et signataire de plusieurs refontes de titres de presse, la crise est déjà une réalité. "J’assiste à une baisse des commandes", reconnaît-il. Célèbre directeur artistique interactif à la tête du studio Incandescence, Etienne Mineur reconnaît lui aussi quelques problèmes. "Des clients en profitent pour essayer de ne pas nous payer sur certains projets commencés bien avant la crise (ça va s'arranger, mais cela m'énerve au plus au point)."

Graphiste-maquettiste dans la presse depuis 10 ans, Alice Andersen est récemment devenue freelance. Mais elle aborde la crise avec une certaine philosophie. "La presse va mal, dit-on… Mais en fait, cela va mal partout… donc tout ira mieux demain, j’en suis persuadée", positive-t-elle. "Je ne pense pas que grand chose va changer, il faut simplement ne pas s’enfermer dans des habitudes. Il est important de rester vraiment ouvert : même si je ne travaille pas dans le secteur du Net, j’ai fait des formations afin de ne pas être larguée."

Face à la crise, comment s’en sortir ?

"Un designer a plus de chance de marcher s’il se positionne sur un créneau super spécialisé : l’AFD recommande aux designers de se positionner franchement sur un créneau. Un spécialiste est vu comme quelqu’un de plus facilement intégrable à une équipe", explique François Caspar.

D’après les équipes d'Antoinette Lemens, "les agences de communication sont à la recherche de nouveaux talents, de profils capables d’accompagner plus en profondeur les clients. Aujourd’hui un créatif en agence doit être un peu commercial, parler anglais pour pouvoir vendre ses créations. Fini le temps de l’artiste penché sur sa planche à dessin !"

Face à la crise, "les profils qui ont 2 ou 3 ans d’expérience sont les moins bien armés pour traverser la crise qui va plutôt valoriser soit les juniors peu chers et encore malléables, soit les profils expérimentés." D’après Eric Gandibleu, directeur régional Europe du Sud d’Aquent, les seniors vont même revenir en grâce au sein des agences. "Avec la crise le profil demandé a changé. On demande notamment des profils senior qui ont les épaules large et déjà vécu des turbulences."

"En période de crise, il faut chouchouter ses clients", assure Hélène Sagné, présidente de l’agence de création Bug.

Benoît Drouillat aussi a ses bons conseils pour traverser la crise sans trop de casse. "Quand un designer possède une expertise, il doit impérativement la valoriser. C’est l’heure des niches. A l’inverse, une autre attitude peut être de se diversifier en se formant pour tenter de posséder plus de cordes à son arc."

Autres conseils du fondateur des Designers Interactifs : l’agent. "L’agent est souvent une bonne idée. Certes, il prend 30 % de commission mais c’est un système confortable : il apporte des projets, négocie pour nous et nous aide à aiguiller notre carrière dans la bonne direction." Benoît Drouillat propose une autre idée aux designers freelances : "Il peut être possible d’établir un contrat avec une agence pour s’assurer un volume de travail garanti."

Métiers d’avenir et secteurs en berne

D’après Eric Gandibleu, "il y a en ce moment une pénurie de talents créatifs". Malgré la crise. Les secteurs les plus en demande : les nouveaux médias, le monde digital qui subissent une forte pénurie. "Directeurs de création, webdesigners sont très demandés, la France rattrape son retard sur ce secteur", explique-t-il. "Sur les postes techniques, notamment à propos des développeurs, il y a 5 demandes pour 1 seul candidat. La France n’arrive pas à les payer correctement, même l’Espagne paye mieux."

Benoît Drouillat, des Designers Interactifs, confirme les intuitions d’Eric Gandibleu. "Il est très difficile de trouver de bons développeurs Flash. Nous manquons aussi d’intégrateurs HTML. C’est un métier qui a été déprécié, du coup les entreprises manquent de main d’œuvre." C’est donc un vrai métier porteur.

Autre tendance lourde : les créatifs sont de plus en plus recherchés au sein des entreprises. "Procter & Gamble (Pampers, etc…) dispose de 200 créatifs en interne", affirme Antoinette Lemens.

Par contre, d’après le rapport d’Aquent, "dans les métiers de la création tout ce qui n’est pas digital est en perte de vitesse."

Salaires, quelle tendance ?

"Avant la crise, la tendance des salaires était plutôt à la hausse", se souvient Benoît Drouillat qui reste optimiste. "Je pense que cela va continuer à progresser, mais plus doucement."