Métiers graphiques et rémunérations en 2006 page 2

| Un métier, des métiers | Clients, tarifs et statuts | Evolutions et quête de sens |
François Caspar : interview|Marsha Emanuel : la vigie du graphisme|Tableau des rémunération|Adresses utiles |
 

Commanditaires et société

Pas toujours évident pour les commanditaires, même aujourd'hui, de comprendre la valeur ajoutée apportée par un designer indépendant. "C'est un métier mal connu, voire ignoré du grand public", confirme le graphiste grenoblois Grégory Thouvenin (C'est Bon Signe). Et le cliché de l'artiste un peu fou-fou à la vie dure. "Pour la société, le poncif de l'artiste n'a pas beaucoup évolué", regrette Perrine Dorin, historique animatrice d'Agent 002, l'agence d'illustrateurs créée par Michel Lagarde, et désormais illustratrice indépendante et heureuse de l'être. "Il y a toujours cette réputation bohème, d'air du temps et de doute qui plane sur l'activité artistique. Les artistes ne sont toujours pas reconnus socialement. Le travail manuel est considéré comme un loisir". Il est vrai que la communication visuelle comme outil de développement économique ne hante pas l'esprit du quidam moyen, ni même du patron de PME. "Peu de gens se posent la question de savoir qui a bien pu concevoir la maquette du magazine qu'ils sont en train de lire, l'habillage du paquet de biscuits qu'ils ont acheté, le dessin des lettres et des pictogrammes des panneaux qui leur permettent de trouver leur chemin dans un bâtiment...", poursuit Grégory Thouvenin. "Au sein de la société actuelle, nous sommes tellement abreuvés d'informations graphiques que leur existence finit par nous sembler naturelle". Malgré tout, la perception qu'on les commanditaires de leurs prestataires graphiques semble évoluer dans le bon sens, "Ils se sont aperçu que la communication autour de leur projet est vitale pour eux, ils sont à cet égard assez respectueux", explique Valérie Voyer.

Surtout ne pas se brader
Sur ce marché ultra-concurrentiel où les petits jeunes affamés sont prêts à tout pour travailler, pas facile pour les designers de faire respecter une tarification décente. "Il faut cependant rester assez ferme sur ses positions parce que la fragilité de notre statut en fait parfois un prétexte à tous les abus de la part de commanditaires peu scrupuleux de payer les freelances en temps et en heure", explique Antoine Mouquod. Tous le disent, baisser ses tarifs, c'est prendre le risque de dévaloriser la profession dans son ensemble. "Les gens ont une vision assez floue du temps que peut prendre la création d'un site internet, par exemple, et il est souvent bon de bien expliquer en quoi consiste notre travail afin que le client comprenne que le prix indiqué correspond à un travail réel", complète le webdesigner rennais. Une tendance au nivellement financier par le bas qui en inquiète beaucoup, à l'image d'Arnaud Giret, freelance image dealer de Neuilly sur Seine, "La juste rémunération de mon travail se situe à 500 € HT par jour. Mais en réalité, c'est une négociation au cas par cas. Les clients se soucient de moins en moins de la qualité ou de la créativité mais souvent seulement du prix. C'est assez dangereux car il y a un aspect apport de culture dans nos métiers". Et puis, payer correctement l'image, oeuvrer à un paysage visuel qualitatif et responsable, c'est aussi faire un choix de société, pense Perrine Dorin. "L'illustration jeunesse ne se vend pas comme l'image commerciale", regrette l'ancien agent, bien au fait des choses. "C'est incomparable, néanmoins, il n'est pas normal que le livre ne soit pas mieux rémunéré quand on sait l'importance qu'il a dans l'éducation, l'imaginaire et le psychisme des enfants. La littérature jeunesse fait un travail culturel de fond pour le développement de petits qui, un jour, seront grands. C'est une grande responsabilité, un engagement profond et, comme beaucoup de métiers de l'éducation et du fondement de la société future, l'édition ne rémunère pas convenablement ses ouvriers".

Un statut flou
"Le statut d'artiste-auteur, affilié à la Maison des Artistes, graphiste-webdesigner, est très flou. Il n'est pas rare de se retrouver face à des gens qui n'ont jamais entendu parler de ce statut et qui ne savent pas dans quelle case le faire rentrer. Mais globalement, pour peu que l'on se renseigne suffisamment en amont, l'administration suit. Disons qu'il vaut mieux bien connaître soi-même ses droits et devoirs pour éviter les complications", note le webdesigner rennais Antoine Mouquod. Plus radical et plein d'idées, Arnaud Giret fustige la passion administrative de notre vieux pays, "le problème en France, ce sont les cases... Je n'ai jamais pu y entrer. Trouvons un statut d'artiste indépendant généraliste et qu'on nous fasse perdre moins de temps, de clients. Qu'on laisse les créatifs là où ils veulent aller : si je veux faire des vêtements, ai-je besoin de m'affilier au régime des stylistes indépendants . Je fais des photos... Je dois m'inscrire aux Agessa. Je réalise un décor de film ? Là, je devrais être intermittent du spectacle ! Je perds des clients avec ce genre de lourdeurs administratives. De plus, j'ai l'impression que certains régimes sont plus avantageux que d'autres. Pourquoi ?! Le régime d'artiste indépendant ne porte pas son nom. L'artiste devrait avoir la possibilité de choisir entre une rémunération à la mission , une cession de droits ou même les deux ou pourquoi pas une commission au succès. Un exemple : l'acte d'achat d'un disque en rayon est fortement conditionné par l'attrait du visuel sur la pochette. Pourtant, aucun contrat n'existe au sein des maisons de disques pour un paiement rapporté au volume des ventes..." Une analyse et des pistes qui laissent songeur... Plus prosaïque – et un peu maman militante aussi – Perrine Dorin rappelle qu'"être freelance, c'est rendre des comptes, oublier les congés payés, les congés maladie, un aléas quand on est femme et que l'on s'arrête pour une grossesse. C'est prendre un comptable pour passer son temps à autre chose qu'à faire des additions et, quand les commandes ne tombent plus, cela devient un statut à haut risque !" Et la jeune femme de préciser qu'elle préconise plutôt aux débutants le recours à une société de portage. Le temps de faire ses armes avant de s'inscrire à l'Agessa ou à la Maison des Artistes.