Art Spiegelman, le musée privé

Le regard d'Art Spiegelman sur ses inspirateurs en BD.

Art Spiegelman, vous connaissez, au moins de nom. Il a marqué l'histoire avec son chef d'oeuvre Maus, roman graphique et biographie plus que BD, racontant l'odyssée de son père juif polonais rescapé des camps de la mort. Une oeuvre qui lui a valu le Grand Prix du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême l'an dernier et l'occasion d'une exposition propre, jusqu'au 6 mai 2012, au musée de la bande dessinée (Cité internationale de la bande dessinée et de l’image). Mais pas de rétrospective (pour cela , voir dans cette même rubrique notre galerie : ici), Art Spiegelman a préféré rendre hommage au patrimoine du 9ème Art, comme il s'en explique lui-même.

Art Spiegelman
« J'ai été invité par le musée de la bande dessinée à remplacer une exposition permanente qui, d'ordinaire, est fortement centrée sur le patrimoine francophone, par ma cartographie personnelle et perverse de ce qu'est la bande dessinée. Il y a, bien entendu, des recoupements. Des oeuvres issues de la tradition franco-belge ont été très importantes pour moi. Mais on verra aussi des oeuvres qui ne sont pas connues en France, et d'autres qui sont universellement connues mais qui m'ont formé en tant qu'artiste et qui ont été déterminantes dans la perception de la bande dessinée,en tout cas aux États-Unis. Cette exposition constitue donc un regard alternatif sur le patrimoine, elle en est la version « Bizarro ».
Quand je dis à un Américain que je fais de la bande dessinée, il s'imagine aussitôt que je dessine des types musculeux qui se mettent des raclées. Or on ne verra ici qu'un très rapide coup de chapeau, en passant, à la tradition des super-héros, mais je ne doute pas que, si un autre dessinateur avait fait le c choix des oeuvres, les super-héros y occuperaient sans doute une place beaucoup plus importante, au détriment d'autres choses. Pour moi, l'histoire de la bande dessinée n'est pas telle que l'écrivaient les spécialistes de la génération précédente, et notamment les fondateurs des festivals de Lucca ou d'Angoulême. En 1980, on me disait : « Il faut se mettre d'accord sur l'origine de la bande dessinée. Quand est-ce que ça a commencé ? » Et je répondais : « C'est simple : avec Töpffer. » Mais on me rétorquait que c'était plutôt avec le Yellow Kid. Cette période de l'historiographie de la BD aboutissait à une vision du médium qui retenait comme grands auteurs américains Milton Caniff (Terry et les pirates), Alex Raymond (Flash Gordon), Hal Foster (Prince Valiant) et peut être Lee Falk pour Le Fantôme et Mandrake.
Pour ma part, ce n'est pas à travers ces noms-là que je comprends l'art de la bande dessinée. Caniff était un peu plus un véritable cartoonist que les autres, et l'exposition lui fait une petite place. Mais  pour l'essentiel, mon histoire de la bande dessinée n'est pas celle-là, c'en est une autre, celle que vont découvrir les visiteurs. »

Le  « musée privé » d'Art Spiegelman met plus particulièrement l'accent sur la BD américaine et sur les domaines à propos desquels il possède une réelle expertise. Quelques noms, en particulier, se détachent, ceux des artistes qui lui sont les plus chers : citons Rodolphe Töpffer, Lyonel Feininger, Winsor McCay, George Herriman, Harold Gray, Chester Gould, Basil Wolverton, Harvey Kurtzman, Bernard Krigstein, Chris Ware. Une salle entière est consacrée au récit Binky Brown rencontre la Vierge Marie, de Justin Green, généralement considéré comme l'acte de naissance de la bande dessinée autobiographique. Ware et Green ont compté parmi les artistes que Art Spiegelman et sa femme Françoise Mouly ont publié dans RAW. Les principaux  collaborateurs de cette prestigieuse revue d'avant-garde sont réunis dans une partie réservée de l'exposition.

 Un événement à ne pas manquer, d'autant plus que les trois quarts des pièces exposées le sont pour la toute première fois en Europe.

Clémentine Gaspard, janvier 2012

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