Erwin Olaf: Berlin
Berlin revisité par un maître du symbolisme en photographie.
Erwin Olaf revient sur les lieux du crime pour ainsi dire. Ayant de son propre aveu largement profité de l’ambiance festive du Berlin des années 90, il revisite la capitale appareil photo en main presque 20 ans plus tard. Et en profite pour continuer son exploration clinique de la nature humaine, de notre solitude et notre incapacité à communiquer.
Les visuels d’Erwin Olaf apparaissent froids, détachés, presque hautains dans leur mise en scène de la solitude. Il n’en a pas toujours été ainsi, Erwin Olaf s’était plutôt forgé une réputation sulfureuse dans les années 80-90 avec des photos mêlant références picturales et scènes osées, un peu à la manière d’un David LaChapelle ou même d’un Joel-Peter Witkin. Le tournant est venu dans les années 2000, où les thèmes du deuil, de la perte et de la solitude l’ont transformé en un photographe assagi, épris de mélancolie. Les sériesRain (2004), Hope (2005), Grief(2007) et Fall (2009), dont nous vous avons largement parlé à l’époque (voir liens ici et en fin d’article), mettent en exergue le vide de nos existences dans des scènes dignes du peintre Edward Hopper.
Comme le souligne la critique d’art et romancière Natacha Wolinski, Erwin Olaf agit autant en metteur en scène qu’en photographe. Chaque image est soigneusement scénographiée, comme un plan de cinéma, avec un soin particulier pour les lumières, toutes artificielles. Le photographe a ajouté un dos numérique à son Hasselblad pour pouvoir contrôler chacune de ses prises de vue. Les décors font l’objet de longues recherches documentaires, d’une précision maniaque. Les prises électriques ou les plinthes d’appartement sont reconstituées avec le même soin que la couleur des papiers peints ou le design des lampes, et chaque modèle fait l’objet d’un casting drastique.
Erwin Olaf réalise ses photos en studio, grâce à une armée de décorateurs, de maquilleurs et de stylistes. Quatre-vingt dix pour cent de ses images sont réalisées dans son grand atelier d’Amsterdam. Toutes ses photos, jusqu’à cette dernière série Berlin, figurent des intérieurs coupés du monde.
Dans cette série Berlin au contraire, visible à la galerie Rabouan Moussion à Paris jusqu’au 23 novembre 2013, les lieux emblématiques abondent : stade des JO de 1936, loge francmaçonnique, etc. Et on retrouve ici ce côté irréel des scènes, cette esthétisation qui n’est pourtant pas maniérisme. Erwin Olaf se garde bien d’en dire trop, ses photos sont comme inachevées, mais la tension est palpable. Un questionnement, une exploration auxquels nous sommes invités à nous joindre.
Paul Schmitt, octobre 2013