Epic

Le grand retour à la réalisation de Chris Wedge, créateur du génial L’Âge de Glace (2002) et du moins inspiré Robots(2005). Un film d’animation tout à fait grandiose sur le plan visuel et qui bénéficie de personnages humains particulièrement soignés.

Imaginez que vive à nos côtés une civilisation d’êtres minuscules, si minuscules que personne ne les a jamais remarqués. Ils chevauchent des colibris comme on enfourche un cheval, le moindre brin d’herbe est pour eux un tronc d’arbre et chaque graine un rocher. Dans Epic, une adolescente de notre monde est projetée dans cet univers et se retrouve être la clé d’un gigantesque conflit…

Un jeune humain chez des Lilliputiens gardiens de la nature… forcément, cela éveille des souvenirs : Les Aventures de Zak et Crysta dans la forêt de FernGully, Arthur et les Minimoys, voire même Arrietty – Le petit monde des Chapardeurs, etc. Le thème a souvent inspiré les auteurs et les cinéastes. Ici, c’est une œuvre pour enfants de l’écrivain William Joyce qui est portée à l’écran. L’auteur est un familier du cinéma d’animation : ses livres ont donné naissance aux films Bienvenue chez les Robinson etLes Cinq Légendes, récemment porté à l'écran par Dreamworks avec un succès mitigé. Joyce a même remporté en tant qu’auteur et coréalisateur l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation avec Les fantastiques livres volants de Morris Lessmore (2011). Il a participé de très près à la production de Epic : il a fait office à la fois de producteur, de scénariste et de chef décorateur.

Epic est le seul film de Blue Sky pour 2013. Contrairement à DreamWorks, le studio d’animation se contente de sortir un seul film par an. Dans le cas de L’Âge de Glace, cela lui suffit :Age de Glace 3 et Age de Glace 4 ont rapporté chacun près de 900 millions de dollars de recettes à travers le monde ! Un vrai jackpot qui permet à l’équipe de tenter des expériences différentes et plus risquées, comme avec Epic. Le film se démarque nettement de la production habituelle du studio, laquelle se caractérise par une ambiance cartoon plus ou moins prononcée. Pour le directeur de l’animation Galen Chu, pilier de Blue Sky, ce choix a entraîné de nouveaux défis, tout aussi délicats que passionnants à résoudre.

Pixelcreation : Expliquez-nous dans quelle mesure Epic se différencie des films précédents du studio ?
Galen Chu : Ce film n'a rien à voir avec ce qu'on a fait par le passé. Blue Sky est connu pour son style très cartoony, c'est évident dans des films comme les Âge de glace ou bien Horton. Pour la première fois, nous avons tenté une approche réaliste, que ce soit sur le plan du look ou bien de l'animation. Jamais nous n'avons été aussi loin dans le naturel. Les personnages, en particulier, ont fait l'objet d'un travail extrêmement poussé, sans aucune mesure avec nos productions précédentes.

Pixelcreation : Pourtant, dans Rio, les humains étaient déjà traités de manière réaliste…
Galen Chu : Oui, mais les oiseaux, eux, avaient toujours ce côté « cartoony » qui constitue notre signature. Et ils étaient les héros du film. Le contraste avec les humains était tel que ceux-ci avaient l'air, du coup, beaucoup plus réalistes. Mais avec Epic, nous sommes passés à un stade supérieur. C'est tout le film qui a été traité de façon naturaliste. Ainsi, les personnages humains présentent une palette d'émotions infiniment plus développée que dans nos autres productions.

Pixelcreation : Avez-vous recherché le réalisme à 100 % ?
Galen Chu : Non, car à notre sens, ça ne fonctionne pas dans un film d’animation. Si l'on pousse trop loin le réalisme de l'animation et du rendu des personnages, ça leur donne un air étrange et, paradoxalement, on a plus de mal à les accepter. D'un autre côté, si on ne va pas assez loin, on perd ce côté authentique que l'on cherchait. Nous avons donc essayé de trouver un style de réalisme approprié pour Epic. Très naturel, mais sans excès.

Pixelcreation : Comment cela s'est-il traduit ?
Galen Chu : On est parti sur une based'animation la plus réaliste possible, puis on a « cassé » le côté parfait du résultat en poussant régulièrement les choses. Ça pouvait être un mouvement ponctuel plus grand que nature, comme une bouche ou des yeux qui s'ouvrent plus largement que la normale, autant de décalages qui permettent de désamorcer les excès de réalisme. C'est à ce niveau-là que s'est situé le défi principal du film. Tout est dans la nuance, dans les détails. Pour l'animation des personnages, nous avons voulu que le résultat soit le plus fluide et le plus naturel possible – avec un petit décalage de temps en temps. Or, jamais nous n'avions eu l'occasion de travailler sur une animation réaliste d’êtres humains. Il s'avère que c'est excessivement difficile. Le problème est que notre cerveau est entraîné depuis la naissance à voir des gens bouger, parler, exprimer des émotions. Tout le monde sait à quoi ressemble une personne en train de marcher, comment le poids bascule d'un pied sur l'autre, comment les bras compensent le mouvement des jambes, etc. On n’y pense même pas, on le sait intuitivement. Le reproduire en animation est, en fait, très délicat. À la moindre approximation, quelque chose sonne faux dans le mouvement, sans qu’on sache forcément quoi. Il fallait que nos personnages s'inscrivent dans cette logique, et que leurs mouvements n’attirent jamais l’attention pour de mauvaises raisons. En comparaison, le style cartoony est beaucoup plus facile à gérer !

Pixelcreation : Comment avez-vous procédé pour parvenir à ce niveau de réalisme ?
Galen Chu : Nous avons utilisé énormément de références vidéo. Nous nous sommes filmés en train d’accomplir tel ou tel geste, ou bien en train d’exprimer une émotion particulière. Nous avons étudié aussi des extraits de film, des vidéos sur Internet, tout ce qui pouvait nous donner une référence sur la manière dont bouge une adolescente ou un adulte dans telle ou telle situation. Une fille de quinze ans ne va pas se déplacer comme un homme de 50 ans… Le plus difficile a été de gérer des problèmes de mécanique physique tout à fait élémentaires, par exemple, lors des interactions entre deux personnages. Imaginez qu'un personnage pousse un autre contre un mur : nous savons exactement à quoi doit ressembler cette action sur le plan visuel, mais pour un animateur, c'est très compliqué à reproduire de manière absolument naturelle. Il faut créer le double impact physique, les transferts de masse, la sensation de poids, etc. Cela nécessite une extrême précision. Et puis, il y a toutes les petites subtilités des expressions faciales : les micromouvements des yeux, le haussement d’un sourcil, l’inclinaison de la tête, ou tout bêtement la position des doigts ! Parfois, le simple fait de montrer un personnage traversant une pièce en marchant nous donnait du fil à retordre… L’autre grand défi du film, c’est la quantité impressionnante de personnages humains. Jamais nous n'avions eu à en gérer autant. Dans nos films, les personnages principaux sont souvent des animaux. Là, non seulement nous avons dû créer des humains réalistes, mais il a fallu les créer par milliers !

 Pixelcreation : Comment les personnages ont-ils été créés ?
Galen Chu : Nous sommes partis sur des proportions humaines parfaitement réalistes, ce qui a constitué une grande nouveauté pour nous. Je crois bien d’ailleurs que c’est la première fois que des personnages humains ont un physique 100 % réaliste dans un film d’animation moderne.

Le seul autre film qui pourrait s’en rapprocher, c’estRaiponce des studios Disney. Dans tous les autres auxquels je peux penser, la morphologie est stylisée d’une manière ou d’une autre, et à des degrés divers. Sur le plan technique, nous avons associé chaque personnage à plusieurs simulations dynamiques. Nous ne l’avions jamais fait à cette échelle jusque-là. On commençait par animer le personnage, ensuite l’équipe de simulation ajoutait l’animation de l’armure, puis les cheveux et les vêtements. Les armures étaient particulièrement compliquées à animer car la gestuelle influait beaucoup sur leur position.

Pixelcreation : Comment avez-vous abordé les « méchants » ?
Galen Chu : Nous avons adopté une approche plus bestiale dans l'animation. Ils ont les jambes un peu arquées, le dos voûté, ce qui rappelle la silhouette d'un insecte. Et lorsqu'ils s'immobilisent, on choisit une pose qui évoque un animal, jamais un humain. Ça leur donne en permanence une allure menaçante.

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous animé les scènes de foule ?
Galen Chu : Nous avons travaillé de deux manières différentes. D'abord, les personnages de premier plan ont été animés à la main – une douzaine d’entre eux – puis ils ont été dupliqués par le département effets visuels pour remplir le champ.
Dans d'autres cas, nous avons utilisé le logiciel Massive. On fournissait les cycles d'animation à l'équipe de simulation, et ils s'occupaient de peupler le décor à partir de là. Le département animation comportait environ 80 personnes. C'est plus que d'habitude pour nous, mais le film était de plus grande ampleur (avec tous ces personnages) et nous avions moins de temps que d'ordinaire (onze mois seulement).

Pixelcreation : Parlez-nous de l’escargot Grub et de la limace Mub , les deux ressorts comiques du film…
Galen Chu : Nous nous sommes énormément amusés avec eux. Ils ont été construits autour d'un rig très élaboré. De par leur nature, ils devaient être capables de plier et de tordre leur corps dans tous les sens. Si vous prenez le bras d'un bipède, vous n'avez que trois articulations à animer : l'épaule, le coude et le poignet. Entre ces points, rien ne bouge. Trois clics et c’est réglé. Avec l’escargot et la limace, vous avez des dizaines de points d’animation à gérer tout au long du corps, il n’y a aucun endroit « mort ». Le processus était donc beaucoup plus long qu’avec les personnages humains. On a beaucoup utilisé la technique du « squash & stretch » dans leur animation. La géométrie et le rig ont été conçus pour pouvoir s'étirer autant que nécessaire. Ce sont les seuls personnages que nous avons animés dans un style cartoon. Par exemple, leur bouche s'ouvre bien plus grand que celles des humains.

Pixelcreation : Ils n’ont pas vraiment de visage. Comment les avez-vous animés avec leurs yeux pédonculés ?
Galen Chu : C'était un défi intéressant. Comme ils n'ont pas de sourcils, nous nous sommes servis des paupières pour les remplacer. Lors de la modélisation, nous avons ajouté des muscles autour des paupières afin de pouvoir obtenir la même variété de mouvements qu'avec des sourcils. C’est suffisant car ils expriment une gamme limitée d'émotions, ils sont là avant tout pour faire rire.

Pixelcreation : Quelle est votre impression sur ce projet, à présent ?
Galen Chu : Epic a été un défi énorme pour Blue Sky. On est passé tout à coup de films « cartoon » avec des animaux rigolos à un film plus sérieux avec des humains réalistes ! Cela a nécessité un énorme investissement de notre part. À l'arrivée, je suis très fier du résultat. L’un de mes grands soucis a été de maintenir la continuité visuelle de chaque personnage. Comme les délais étaient serrés, j'ai dû répartir l'animation de manière plus étendue que ce que j'aurais souhaité. Par exemple, l’héroïne a été animée en parallèle par 20 personnes différentes ! Avec une telle quantité d'artistes, le risque était grand de se retrouver avec des disparités, notamment dans les détails les plus subtils. Rien de tel qu’une pose de tête ou qu’un sourcil levé pour caractériser un personnage, mais il faut que cette posture soit identique pour tous les animateurs ! Heureusement, nous y sommes parvenus. Je pense que le résultat parle de lui-même.

ALAIN BIELIK, Mai 2013
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.