Iron Man 2
Le justicier en armure est de retour pour une suite explosive où tout a été démultiplié : plus de héros, plus de méchants, plus de robots… De quoi donner du fil à retordre à ILM et Double Negative, les principaux prestataires.
C’est bien connu, si l’on veut inciter les spectateurs à venir dans les salles pour voir une suite, il faut leur en donner pour leur argent. Hollywood a donc pour habitude de jouer la carte de la surenchère : on augmente le budget, on ajoute des méchants, on multiplie les scènes d’action, on donne un acolyte au héros… Cette stratégie de la surenchère produit souvent des résultats désastreux, car les fans ne veulent pas forcément avoir plus de la même chose, mais plutôt la même chose différemment. Le premier Iron Man est aujourd’hui considéré comme un classique du film de superhéros, en tout cas, l’un des meilleurs du genre avec les deux Batman de Christopher Nolan et Spider-Man 2. Cette suite n’échappe pas à la stratégie de la surenchère, notamment avec l’apparition de dizaines de nouveaux robots, mais fort heureusement pour les fans, le résultat reste très agréable.
Cette surenchère s’est traduite par une augmentation significative du nombre de plans à effets visuels : un peu moins de 800 dans le premier, plus de 1000 dans le second. Des scènes réparties entre plusieurs prestataires, dont Industrial Light and Magic (535 plans) et Double Negative (250 plans). D’autres studios sont intervenus pour des VFX secondaires. Par exemple , le travail d'animation des affichages des écrans a été confié au studio californien Pixel Liberation Front, déjà auteur de VFX similaires pour Avatar (voir description technique dans notre dossier Avatar ici).Et le hollandais Xsens, spécialiste de la motion capture, a fait équipe avec The Third Floor (Los Angeles) pour livrer 700 plans issus de la motion capture pour prévisualisation par la réalisation.
Comme dans le premier Iron Man, une grande partie des effets a porté sur la création des différentes armures de Iron Man ou de ses adversaires. En effet, en plus des drones du rival Hammer Industries et de l’armure de Whiplash, le colonel Rhodes (Don Cheadle), le meilleur ami de Tony Stark (Robert Downey Jr.), enfile lui aussi une armure, la version de seconde génération vue dans le premier film et rebaptisée War Machine.
Iron Man en 3D…
Une fois encore, les scènes de vol font intervenir un personnage entièrement animé en 3D par ILM. Mais ce que les fans ignorent, c’est que Iron Man est également créé par ordinateur pour de nombreuses scènes au sol – et pas forcément d’action. Robert Downey Jr. et Don Cheadle disposaient chacun d’une armure réelle fabriquée sur mesure par Legacy Effects (ex-Stan Winston Studios). Mais celle-ci était particulièrement encombrante, prenait du temps à enfiler et à retirer, et surtout, limitait les mouvements des acteurs. Plutôt que de voir ses interprètes engoncés dans une armure peu pratique, le réalisateur Jon Favreau n’hésite pas à filmer les scènes avec des armures partielles. Ainsi, Robert Downey Jr. n’enfilait que le torse, puis jouait la scène. ILM ajoutait ensuite les bras et les jambes en 3D, les mouvements des membres étant calés sur ceux de l’acteur. Dès que le personnage devait accomplir un geste peu aisé, comme s’agenouiller, par exemple, c’est la technique qui était utilisée. La priorité, pour Favreau, c’était que le superhéros ait toujours l’air digne, et qu’il bouge de manière fluide et naturelle, jamais rigide.
… Et en capture de mouvements
Les progrès réalisés depuis le premier film sont tels que le réalisateur n’a pas hésité à aller encore plus loin. Downey et Cheadle sont souvent filmés sans armure, avec un simple costume de performance capture dont le design avait été mis au point pour Pirates des Caraïbes 2 : bleu pour le premier, gris pour le second, avec des figures géométriques de tracking réparties sur tout le corps. Tout autour du plateau, des caméras vidéo témoins enregistrent l’action. Ces points de vue variés permettent ensuite, par triangulation, de reconstituer la position exacte de chaque acteur image par image, puis d’appliquer ces données au costume 3D – baptisée iMocap, cette technique a été récompensée par un Oscar technique. Ensuite, l’armure est incrustée sur l’image de l’acteur, suivant ses moindres mouvements. Une vraie performance de tracking, surtout dans les plans où la visière est relevée, laissant apparaître le visage du héros.
Sur Iron Man, le tracking est d’autant plus délicat que les armures sont beaucoup plus grandes que l’interprète réel. Normal, pour impressionner son monde, Iron Man ne peut pas mesurer un petit 1,75 mètre comme Robert Downey Jr. Il faut qu’il domine l’action, qu’il l’écrase. Plus encore, ses proportions ne sont pas « humaines » : la tête est trop petite par rapport au corps, une astuce typique des dessinateurs de superhéros afin de les rendre plus grands que nature. Du coup, depuis le premier film, le réalisateur triche en permanence, d’un plan à l’autre, pour dissimuler le fait que Robert Downey Jr. ne pourrait en aucun cas entrer dans l’armure du personnage tel qu’on le voit dans les scènes de combat ou de vol… C’est là que l’emploi d’une armure 3D pour les scènes avec Downey devient intéressant, car il permet à Favreau de donner à l’acteur des proportions automatiquement « héroïques » !
Bien sûr, cette technique coûte infiniment plus cher que le fait de filmer les acteurs avec la véritable armure, mais Favreau estime que la liberté de jeu des interprètes n’a pas de prix. C’est la performance remarquable de Robert Downey Jr. qui avait fait en grande partie le succès du premier film, il ne fallait surtout pas la perdre dans le second par la faute d’une armure trop encombrante. Favreau veut que les acteurs pensent à leur scène, et non pas à l’armure. Une approche logique pour un cinéaste qui est lui-même un comédien reconnu (il tient un second rôle amusant dans le film), mais un investissement qui a dû faire grincer bien des dents au sein du studio…
ILM éclaire les armures en HDRI
L’armure d’Iron Man a été largement revue depuis le film précédent, un changement de design dû à l’adoption d’une nouvelle technologie par Tony Stark. Mais la vraie nouveauté, c’est la manière dont elle a été éclairée par ILM. L’équipe a bénéficié des avancées obtenues sur Terminator Renaissance au niveau de l’approche des scènes. Jusqu’à présent, ILM employait les techniques traditionnelles d’éclairage, avec des spots, puis de l’occlusion ambiante pour « lier » le tout. Des procédés qui incitent les artistes à « tricher » avec la réalité pour reconstituer sur le modèle 3D les conditions de lumière de la scène réelle. Les surfaces métalliques des machines de Terminator Renaissance étaient l’occasion idéale de passer à l’étape supérieure, un bouleversement initié en grande partie par deux Frenchies d’ILM, Christophe Héry et Philippe Rebours.
L’idée est d’intégrer un nouveau paramètre dans le système d’éclairage d’une scène. Auparavant, le modèle 3D était placé dans une sphère sur laquelle était projeté l’environnement réel du décor. L’éclairage était ensuite peaufiné à l’aide de cartes à shaders. Depuis le film de McG, l’an dernier, ILM a remplacé ces shaders par des photos HDRI du décor original. Autrement dit, le modèle 3D est désormais entouré de cartes sur lesquelles figurent l’image haute résolution de l’objet qui se situe à cet endroit dans le décor réel. La lumière est donc réfléchie de manière bien plus naturelle sur le personnage 3D. L’équipe a également appris à ne plus tricher, à éclairer la scène comme le chef opérateur avait éclairé le décor réel. Un processus difficile au départ, car contraire aux bonnes vieilles habitudes et aux « raccourcis ». Avec cette nouvelle technique, plus question de tricher : si le chef opérateur a placé un déflecteur devant tel ou tel projecteur, il faut faire de même dans le monde virtuel. Sur le plateau, l’équipe observe donc comment le directeur de la photographie éclaire le costume réel pour ensuite l’imiter sur l’armure 3D. Un système d’éclairage beaucoup plus proche de la réalité, plus difficile à maîtriser au départ, mais infiniment plus intuitif par la suite. Le rendu sera assuré à la fois dans RenderMan et Mental Ray.
Cette nouvelle approche a été implémentée sur Iron Man, War Machine, et aussi sur les drones de Hammer Industries, des robots autonomes téléguidés fabriqués par un concurrent de Tony Stark. Quatre versions différentes ont été créées : Armée de Terre, Armée de l’Air, forces navales, et Marines. Chaque modèle disposait d’un armement spécifique et d’une charte couleurs inspirés de son unité d’affectation. Ainsi, la version Air Force arborait une peinture noire de type furtive supposée rendre le drone indétectable. Mais les TDs d’ILM sont allés tellement loin dans le mimétisme que le drone 3D était quasiment invisible à l’image ! Résultat, l’équipe a dû rendre le matériau plus réfléchissant afin qu’il accroche la lumière.
La bataille finale a mis à mal les serveurs d’ILM puisque la séquence fait intervenir Iron Man et War Machine face à une bonne vingtaine de drones, le tout dans l’environnement virtuel de la Stark Expo, un site inspiré des Expositions Universelles.
Double Negative refait Monaco en 3D
De son côté, Double Negative avait l’occasion de contribuer aux effets sur le personnage d’Iron Man. La firme londonienne s’est vue attribuer l’intégralité de la séquence de Monaco au débur du film, où Whiplash défie pour la première fois Iron Man avec ses fouets à plasma. Ce qui impliquait trois grandes catégories d’effets : la reconstitution de la course à l’aide de voitures 3D, l’animation des fouets électriques de Whiplash (Mickey Rourke), et la création de l’armure « portative » de Tony Stark. Présentée pour la première fois dans ce film, cette armure est une version allégée du modèle normal et se replie sous la forme d’une simple valise en métal : Tony Stark n’a qu’à y glisser les poings et la tenue se déploie automatiquement autour de son corps (dans la BD, il place la valise sur son torse). Un effet excessivement difficile à rendre crédible à l’écran, tant le concept semble pour le moins improbable… L’armure sera modélisée de toutes pièces par Double Negative et n’apparaîtra que dans cette scène. Il faudra des dizaines et des dizaines de tests d’animation pour que le déploiement de la tenue, et la chronologie des différents mouvements, fonctionne à l’écran, puis soit validé par tous les intervenants.
Pendant que les animateurs s’échinent sur cette armure automatisée, les spécialistes des environnements s’attachent, eux, à reconstituer Monaco sur ordinateur. Pour les plans de course, la seconde équipe a pu filmer à toute allure la piste vide - elle disposait à chaque fois d’une fenêtre d’une heure pour enregistrer ses plans, après quoi la circulation était rétablie. En mai 2009, une équipe de tournage et les photographes de Double Negative étaient à pied d’œuvre pour filmer les plans larges sur la ville, le paddock, la piste, les tribunes, etc. lors du Grand Prix de Formule 1. Des scans au LIDAR étaient également effectués afin que les bâtiments puissent être reproduits en 3D. Au total, plus de 100.000 photos seront enregistrées par Double Negative.
Une fois que Whiplash intervient et s’en prend à Tony Stark dans sa voiture, l’action se concentre sur une petite partie du circuit. Cette section est reproduite sur 150 mètres de long en studio à Los Angeles afin de permettre à Favreau de tourner sans contrainte. Robert Downey Jr. se sentira particulièrement à l’aise lors de ce travail en studio car les plans seront filmés dans un complexe cinématographique appelé… Downey Studios !
Double Negative commence par reconstituer ce décor en 3D, puis le prolonge avec un environnement à 360 degrés qui incluait la ville et le port, y compris une quinzaine de yachts luxueux amarrés à quai. Le panorama sur Monaco est créé à l’aide d’une dizaine d’immeubles modélisés à haute résolution, et d’un gigantesque matte-painting en HDRI réalisé à l’aide de Stig, un logiciel interne. La ville est ensuite peuplée d’un mélange de foules réelles et virtuelles. La course elle-même est simulée à l’aide de voitures modélisées et texturées à très haute résolution.
Dernier aspect de la séquence, mais non le moindre, l’arme électrique de Whiplash. Grâce à son invention, ce génie du mal est capable de canaliser de l’électricité le long de fouets démesurés, ce dont il se sert pour trancher net tout ce qui se trouve sur son passage. Seule l’armure d’Iron Man résistera à cet assaut, un assaut réalisé à l’aide d’effets multipasses créés dans Houdini.
Un monde de superhéros
Comme le premier Iron Man, le film réserve une petite surprise à la suite du générique de fin. Une scène supplémentaire, non annoncée (il faut être patient pour voir défiler les 500 noms, ou presque, du générique…) et qui dévoile un nouvel élément du puzzle cinématographique qu’est en train de créer Marvel Studios. Depuis le premier Iron Man, la firme bâtit un monde commun pour tous ses superhéros présents (Iron Man, Hulk) et à venir (Thor, Les Vengeurs, Captain America, etc.). Chaque film fait ainsi référence à un autre, l’ensemble devant à terme former un tout cohérent dans lequel les personnages pourront passer d’un film à l’autre. Iron Man sera donc de retour très bientôt sur les écrans, que ce soit dans « son » propre film ou celui d’un autre héros costumé.
Alain Bielik– Mai 2010 (commentaires additionnels et visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.