Les Animaux Fantastiques

L’univers de Harry Potter réinventé avec brio dans un film riche de créatures hautement originales. NEW: videos making-of courtesy of Framestore et Rodeo FX!

ndlr: vidéos making-of/breakdown reels en fin d'article

Alors qu’on pensait la saga Harry Potter définitivement terminée avec le film de 2011, l’univers du petit sorcier n’en finit pas de renaître, avec d’abord le succès phénoménal d’une pièce de théâtre à Londres, puis le triomphe attendu de ce spin-off cinématographique. Les huit films ont rapporté près de huit milliards de dollars en dix ans ! On comprend que la Warner Bros n’ait aucune envie d’abandonner cette poule aux œufs d’or. Cela dit, il faut saluer le courage du studio qui a osé repartir à zéro avec de tout nouveaux personnages situés dans le New York des années 20, au lieu de relancer la saga existante.

Pour ce nouveau départ, la Warner a choisi de faire confiance à l’équipe qui avait si bien su créer les aventures de Harry Potter. On retrouve donc les mêmes réalisateur, producteur, décorateur, costumière, monteur, etc., ainsi que le superviseur des effets visuels Tim Burke. Le projet était tellement ambitieux que celui-ci s’est associé à Christian Manz (47 Ronin, Dracula Untold) pour superviser le travail : “À la base,” explique ce dernier, “je me suis occupé de tout ce qui se trouvait dans la valise du héros, ce qui comprenait les créatures, l’espace intérieur, etc., tandis que Tim s’est plus concentré sur l’univers extérieur avec les environnements, et surtout sur l’Obscurus qui a été très difficile à mettre au point.” NDLR : pour les choix artistiques de l’environnement, voir notre interview des auteurs MinaLima.

Une valise pleine de surprises
Huit studios ont contribué aux effets visuels pour un total de 1500 plans environ. Les principaux ont été Framestore, Double Negative et MPC, accompagnés de Rodeo VFX, Image Engine, Cinesite, Method Studios et Milk VFX. Tous ont réalisé au moins une créature fantastique, à l’exception de Cinesite qui s’est focalisé sur la scène de la cuisine, et sur la valise.

Le héros Newt Scamander, interprété par Eddie Redmayne, transporte une valise d’apparence normale qui, sorcellerie oblige, dissimule un zoo entier à l’intérieur. Pour y pénétrer, il suffit de mettre les pieds dans la valise ouverte et de… descendre l’échelle ! “Nous voulions réaliser l’effet en un seul plan : Eddie pose la valise par terre, l’ouvre, puis descend à l’intérieur en un mouvement continu…” raconte Manz. “Le décor était construit sur une plate-forme surélevée, avec une ouverture dans le plancher aux dimensions de la valise. Celle-ci était une version spéciale dépourvue de fond. Nous avions un système de cales qui empêchait que la valise puisse être posée de travers. En postproduction, Cinesite a effacé le trou dans le plancher, et lorsque l’autre personnage, interprété par Dan Fogler, se retrouve coincé à mi-thorax dans la valise, ils ont reconstitué le plancher sous la valise afin de créer l’effet de sautillement.”

Créatures fantastiques
S’il y a une chose qui frappe dans Les Animaux Fantastiques, c’est bien le caractère très original des créatures. La plupart ne ressemblent à rien de ce que l’on a déjà vu au cinéma. “Nous avons travaillé pendant des mois sur les designs,” précise Manz. “Le but était d’en faire des créatures fantastiques, mais pas fantaisistes. Il fallait qu’on croie à leur existence, et pour ce faire, nous nous sommes le plus souvent basés sur des animaux existants. Ensemble, ces créatures devaient former un écosystème qui avait sa logique propre. Certaines d’entre elles semblaient plus ou moins ordinaires, jusqu’à ce qu’elles révèlent un aspect magique, comme les sortes de poulets colorés qui s’avèrent capables de se téléporter.”

Pour chaque créature, l’équipe a dû trouver un style d’animation qui convenait, là encore basé sur une référence réelle. Seuls des tests répétés ont permis de trouver la bonne approche. Ainsi, le spectaculaire oiseau-tonnerre (Thunderbird), une sorte d’aigle gigantesque, a vu son animation se simplifier progressivement : “Avec lui, moins on en faisait, plus il était majestueux,” confie Manz. À l’inverse, la « taupe » voleuse (Niffler)a été animée comme un vrai personnage, avec quantité de micromouvements qui lui conféraient une personnalité très riche.

Afin d’obtenir une interaction optimale avec les acteurs, les créatures principales étaient représentées sur le plateau par des marionnettes ou des modèles grandeur nature. Dans la scène du zoo, quatre marionnettistes animaient en direct une marionnette simplifiée du « rhinocéros » géant (Erumpent) selon la technique développée pour la pièce de théâtre Cheval de Guerre. Pour l’oiseau-tonnerre, il s’agissait d’une représentation grandeur nature de la tête, tandis que pour la taupe voleuse, l’équipe a utilisé différents types de marionnettes.

Eddie Redmayne a beaucoup apprécié cette approche : “Ils ont utilisé beaucoup de techniques différentes pour donner vie aux créatures auxquelles je devais être confronté. Il était important que chacune soit traitée comme un personnage. Par exemple, pour Pickett, qui est une petite créature en forme de brindille, ils ont mis au point une marionnette que je pouvais tenir dans ma main pour les répétitions. Comme au tournage, je n'avais rien de concret en face de moi, le fait de m’être entraîné avec faisait que je pouvais « sentir » sa présence. C’était plus simple pour moi de la visualiser.”

Un festival de simulations pour l’Obscurus
Si chaque créature présentait son lot de défis, il en était une qui cumulait toutes les difficultés possibles et imaginables : l’Obscurus, une sorte de brouillard noir « solide » capable de dévaster des rues entières. “Le problème était qu’il fallait créer une vraie personnalité à partir d’une masse indescriptible qui changeait constamment de forme,” explique Tim Burke. “C’était extrêmement compliqué. Avec Double Negative, nous avons tout essayé pour l’animer : simulations de fluides, simulations de particules, shapes, etc. À un moment, il a même été question qu’elle prenne la forme d’un monstre géant plus organique, mais les tests faisaient trop penser à Godzilla ou à King Kong… Finalement, l’équipe a mis au point une combinaison de plusieurs techniques. L’animation était réalisée sur des shapes très simples qui nous permettaient d’insuffler un rythme à la créature. Ensuite, cette animation guidait les simulations qui venaient s’y ajouter.”

L’aspect le plus compliqué de l’Obscurus était le fait que la créature détruit tout sur son passage – voitures, chaussée, façades, etc. Autrement dit, cet effet à base de simulations est la source de dizaines d’autres simulations ! “Ces plans ont pris un temps fou car on ne pouvait pas commencer à travailler sur les destructions tant que l’animation de l’Obscurus n’était pas calée,” précise Burke. “Une fois que le parcours de la créature était finalisé, on lançait les destructions à partir de simulations de corps rigides (solides), de fluides (fumée), de particules (poussière), etc. Du coup, il a fallu des mois avant de pouvoir montrer quoi que ce soit au réalisateur. Sans surprise, ce sont les plans que nous avons fini en dernier.”

Suite aux ravages provoqués par l’Obscurus, le quartier de Times Square n’est plus qu’un champ de ruines à la fin du film. Mais la communauté des sorciers sort le grand jeu pour tout remettre en état. Les immeubles se reconstruisent brique par brique, la chaussée se reconstitue, les vitres se réassemblent, les structures métalliques se redressent… “Nous savions que cette séquence allait être un gros morceau,” souligne Manz. “Double Negative a d’abord réalisé toutes les destructions dans le sens « normal », à partir de simulations de corps rigides. Ensuite, l’action a été inversée pour que ces effets de destruction deviennent des effets de reconstruction. Mais ça ne suffisait pas car l’action ressemblait trop à une inversion du cours du temps. Il fallait donc retoucher les courbes, modifier des éléments ici et là, de sorte que chaque brique semble bien se replacer toute seule et que l’ensemble ait l’air d’un mouvement contrôlé. Nous avons tous beaucoup aimé travailler sur cette séquence, car combien de fois avons-nous déjà vu New York se faire détruire au cinéma ? Pour une fois qu’on doit la reconstruire !…”

Alain BIELIK, Novembre 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


La vidéo making-of de Framestore:

Et aussi la "breakdown reel" de Rodeo FX: