Star Trek Sans Limites

Double Negative succède à ILM… pour détruire l’Enterprise et construire le plus gros modèle 3D de son histoire.

ILM n’avait pas démérité sur les deux Star Trek précédents, décrochant même une nomination à l’Oscar des meilleurs effets visuels pour le Star Trek de 2009. Mais à Hollywood, on ne fait pas de sentiments, et c’est Double Negative (DNEG) qui a décroché le contrat principal pour ce treizième long-métrage de la saga. Le projet a été scindé en plusieurs catégories d’effets par Peter Chiang, superviseur du projet : Double Negative s’est chargé des vues extérieures sur les vaisseaux et les planètes, soit 474 plans ; Atomic Fiction s’est concentré sur les intérieurs avec les extensions de décor, soit 450 plans ; enfin, Kelvin Optical a réalisé des centaines d’animations graphiques pour les moniteurs de contrôle. À noter que Kelvin Optical est une filiale de Bad Robot, la société de J.J. Abrams, producteur du film.

L’effet le plus ambitieux de Star Trek Sans Limites: sans limites est la création de Yorktown, une gigantesque ville spatiale entourée d’un champ de force de 25 kms de diamètre. La structure est constituée de plusieurs bras qui s’élèvent à partir du noyau central, ce qui lui donne l’allure d’une sorte de monstrueux oursin high tech.

Yorktown, un modèle à plus d’un milliard de polygones
Malgré le côté fantastique de Yorktown, Justin Lin souhaitait avoir de vrais décors où filmer ses personnages, pas de simples fonds verts. Pour trouver un cadre réel au look suffisamment futuriste, l’équipe s’est rendue à Dubaï, ville champignon qui regorge d’immeubles à l’architecture expérimentale. Sur place, une quarantaine d’immeubles ont été scannés au LIDAR. Une fois modifiées, ces géométries ont été intégrées, avec d’autres créées spécialement, dans un programme procédural de création de l’environnement. Double Negative utilise en la matière CityEngine, un logiciel de modélisation 3D pour cabinets d’architecture et d’urbanisme.

L’équipe a commencé par dresser le plan urbain de chaque bras de la station spatiale Yorktown, avec la position des artères, des bâtiments principaux, et des plans d’eau. Ces plans ont ensuite été implémentés dans CityEngine à partir de la banque de géométries : pas moins de 800 éléments individuels ont été créés pour peupler le modèle, depuis les plus grosses superstructures jusqu’aux plus petits réverbères et buissons. Une fois les bâtiments en place, le programme a ajouté l’habillage urbain et la végétation, toujours en piochant dans la banque de données. À l’arrivée, Yorktown est composé de 1,3 milliards de polygones ! Tout simplement le plus gros projet de modélisation de l’histoire du studio…

Star Trek Sans Limites a donné l’occasion à Double Negative d’exploiter son nouveau package de lighting et de rendu, Clarisse iFX de l’éditeur français Isotropix. La suite logicielle inclut un moteur de rendu 3D et le compositing en 32-bit. Son principal atout est de recentrer le travail sur l’image en donnant un contrôle beaucoup plus grand à l’artiste. Il est ainsi possible d’interagir avec le rendu final d’une image, ce qui permet une bien meilleure prise de décision de la part de l’artiste. Double Negative a inauguré Clarisse sur Godzilla en 2014.

On détruit l’USS Enterprise !
L’autre tour de force du film est la scène de destruction du vaisseau spatial USS Enterprise, une série de 121 plans au cours desquels la coque est progressivement arrachée et la structure interne mise à nu. À cet effet, les modeleurs ont dû créer une grande partie de l’espace intérieur du vaisseau, modélisant salles, machines, conduites, mobilier, etc. L’Enterprise comme on ne l’avait jamais vu ! La géométrie du vaisseau endommagé est constituée de 61 millions de quads (carrés constitutifs du maillage), soit quatre fois plus que la version intacte ! Il a fallu pas moins de neuf étapes successives de textures pour représenter à l’écran la progression des dégâts.

Si l’Enterprise ne survit pas à cette attaque, c’est que le vaisseau doit faire face à une stratégie totalement innovante. L’ennemi envoie des milliers de petits engins dont les mouvements synchronisés permettent de franchir les défenses du vaisseau terrien, par exemple en adoptant la forme d’une foreuse géante. Double Negative a d’abord tenté de créer l’essaim de vaisseaux à l’aide d’une simulation de particules dans Houdini, mais le résultat était trop aléatoire. Le mouvement ressemblait trop à une nuée d’oiseaux, il manquait l’impression de manœuvre délibérée et synchronisée. L’équipe a donc revu sa copie en ajoutant quantité de contrôles qui ont permis de générer des simulations parfaitement maîtrisées. À l’arrivée, l’attaque fait plus penser à un ballet millimétré qu’à un mouvement d’ensemble désordonné.

Selon les plans, le nombre de vaisseaux ennemis varie de quelques centaines à 50.000, mais dans la scène finale, la formation atteint quelque six millions d’unités. Chaque vaisseau individuel comporte plus de pièces mobiles que l’Enterprise, alors qu’aucun ne dépassait pas 1,20 mètre.

Pour les plans de l’USS Enterprise dans l’espace, Chiang a cherché à donner aux images un côté plus tridimensionnel (au-delà du simple relief 3D). L’équipe s’est ainsi largement inspirée du look des vrais engins spatiaux de la NASA, la manière dont le soleil les éclaire, la quantité de lumière qui se reflète de la planète, etc. Pour « casser » le look trop propre du numérique, de nombreuses saletés et défauts ont été ajoutés dans l’image. De même, le rendu des blancs a été saturé pour être surexposé, comme c’est le cas dans les images de la NASA. Double Negative est même allé jusqu’à simuler un cheveu dans un coin du cadre ! L’idée était de retrouver un style plus naturaliste et moins clinique de façon à renforcer le réalisme des scènes spatiales.

Des décors extensibles
Pendant que Peter Chiang et son équipe se concentraient sur l’extérieur de l’Enterprise, Atomic Fiction s’occupait d’agrandir les décors réels montrant l’intérieur du vaisseau. Tous les décors intérieurs de l’Enterprise ont été construits en dur en studio, du moins en partie. Pas question pour Justin Lin de plonger ses acteurs dans de simples environnements à fond vert. Comme toujours dans ce type d’effet, les perspectives (corridors, hublots, fond de décor, etc.) étaient fermées par un écran vert. En postproduction, ce fond vert était remplacé par une extension numérique, le but étant d’agrandir les espaces et de créer l’illusion d’un engin gigantesque. Un couloir de 10 mètres devient ainsi à l’écran un corridor de 80 mètres.

Plusieurs décors ont été montés sur plate-forme hydraulique afin de s’incliner réellement et de montrer les personnages glissant dans les couloirs ou basculant sur les parois. L’effet était renforcé en postproduction par l’ajout de débris tombant « à l’envers » ou de personnages aspirés vers l’arrière-plan. Quasiment tous les décors ont été modélisés en trois dimensions, aucun matte-painting n’a été utilisé, et ce pour deux raisons : d’une part, la caméra était constamment en mouvement, ce qui créait une perspective changeante, et d’autre part, le film allait être converti en relief 3D. Atomic Fiction a travaillé sur Maya pour la modélisation et l’animation, Katana pour le lighting, VRay pour le rendu et Nuke pour le compositing.

Salué par la critique, plébiscité par le public, ce treizième épisode relance la saga sur le long terme. Le prochain film a déjà « son » Enterprise : Star Trek Sans Limites montre en finale une très belle scène de construction du nouveau vaisseau en accéléré, façon « time lapse ». L’USS Enterprise est comme le Faucon Millenium, il ne meurt jamais…

Alain BIELIK, Juillet 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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