Star Trek

La saga semblait morte et enterrée au cinéma, mais le talent du nouveau petit génie d’Hollywood, J.J. Abrams, l’a relancée avec une vigueur inespérée. L’inventeur des séries Lost et Alias a tout simplement signé l’un des meilleurs films de science-fiction de ces 20 dernières années, une histoire passionnante dans laquelle les effets visuels grandioses n’étouffent jamais les personnages.

Au sein de la communauté des Trekkies (surnom des fans de Star Trek), il existait une sorte de « loi » qui s’est vérifiée pendant plus de vingt ans : les films qui portaient un numéro pair étaient toujours excellents, ceux avec un numéro impair étaient ratés… De fait, Star Trek II, IV, VI, et VIII sont les meilleurs de la saga originale. Seul Star Trek Nemesis, numéro X, a failli à la tradition. Mais avec ce nouveau Star Trek, opus XI donc, le réalisateur J.J. Abrams (Mission : Impossible III, les séries Lost et Alias entre autres) semble avoir inversé la tendance. C’est un numéro impair ET c’est une réussite sur tous les plans. Encensé par la critique comme aucun Star Wars récent ne l’a été, adoubé par les fans, plébiscité par le grand public (ndlr : au moins aux US, le succès étant plus mitigé en France), le film récolte tous les suffrages et parvient à toucher les spectateurs bien au-delà du cercle des fans qui faisaient d’habitude la quasi-totalité des entrées.
Un résultat inespéré quand on sait dans quel état se trouvait la saga Star Trek en 2002, après la sortie de Nemesis. Assassiné par la critique et les fans, le film n’avait enregistré que la moitié des entrées de l’opus précédent et n’avait même pas remboursé ses frais de production… À ce moment-là, pour tous les professionnels, Star Trek au cinéma, c’était fini. Après tout, dix films, c’était déjà une réussite exceptionnelle et quasiment sans équivalent dans l’histoire du cinéma. Star Wars ne comporte que sept longs-métrages à ce jour (en incluant le film d'animation Clone Wars). Seule la saga James Bond a fait mieux avec 22 films au compteur et un 23e déjà en préparation.
La solution pour ressusciter cette franchise moribonde est venue… d’un studio concurrent, Warner Bros. Lui aussi avait été confronté au même problème avec une saga Batman qui avait sombré en quatre films seulement. Le renouveau de cette franchise, on le doit à une idée astucieuse du réalisateur Christopher Nolan : plutôt que de continuer à raconter les aventures du Batman qu’on connaissait, pourquoi ne pas revenir aux débuts de son histoire, expliquer pourquoi il est devenu ce qu’il est ? Autrement dit, faire une « origin story » : on efface tout et on recommence. Un acteur beaucoup plus jeune, un style ancré dans la réalité, une histoire crédible, des gadgets plausibles, autant d’éléments qui ont permis de faire de Batman Begins un succès commercial et critique retentissant.
Face à ce triomphe, Hollywood a vite fait de recycler le concept sur d’autres franchises, comme Casino Royale, X-Men : Wolverine, et aujourd’hui, Star Trek. Dans le film de J.J. Abrams, on découvre donc James Kirk en adolescent rebelle qui s’enrôle dans Starfleet un peu malgré lui. Au fil de sa formation et de sa première mission, il va faire la connaissance de toute l’équipe qui l’accompagnera ensuite sur l’Enterprise : Spock, McCoy, Sulu, etc. Une relecture du mythe Star Trek parfaitement maîtrisée par les auteurs… et mise en images de façon grandiose par les magiciens d’Industrial Light and Magic, secondés par Digital Domain, Lola VFX et Svengali FX pour les effets additionnels.

Tout en 3D pour des vaisseaux hyperréalistes
Le projet présentait plusieurs défis passionnants, dont le moindre n’était pas de parvenir à réaliser 797 plans, ce qui représentait une heure de film, en moins de six mois ! Star Trek comporte au total plus de 1000 plans à effets visuels. Les délais étaient tellement serrés qu’ILM a dû pendant un moment affecter la quasi-totalité de son personnel à ce projet. Et tout ceci pour rien, finalement, car à l’époque, l’objectif était de boucler le film pour une sortie prévue à Noël 2008… sauf que la sortie a ensuite été repoussée au moins de mai 2009. Autrement, ILM aurait pu tranquillement peaufiner les effets pendant un an au lieu de se battre contre un délai de six mois ! Mais bon, ainsi va Hollywood aujourd’hui.
ILM allait connaître une petite révolution avec ce projet. Star Trek est en effet le premier film de science-fiction du studio dans lequel ne figure aucune maquette de vaisseau spatial. Pour la première fois, tout a été fait en 3D, une décision motivée par le coût de fabrication des miniatures et de leur tournage : avec des maquettes, il faut non seulement les fabriquer à grands frais, mais aussi mobiliser toute une équipe de caméramans, de machinistes, d’électriciens, de mécaniciens, etc. pour les filmer. En 3D, un seul animateur suffit, et le résultat est modifiable bien plus rapidement. La seconde trilogie Star Wars faisait déjà intervenir des vaisseaux en 3D, mais il s’agissait de géométries qui avaient été texturées à partir de photographies de vaisseaux miniatures. Une technique hybride qui avait très bien fonctionné, car elle conférait aux engins une réalité que les vaisseaux purement virtuels n’avaient pas encore.
Grâce à l’expérience acquise sur des films comme Pearl Harbor, Poseidon, Iron Man, et surtout, Transformers, ILM a fait d’énormes progrès en termes de rendus des surfaces métalliques ces dernières années. Résultat, aujourd’hui, les engins virtuels du studio sont aussi réalistes que leur équivalent réel, comme on peut le voir dans le film de J.J. Abrams : même lorsque l’Enterprise passe au ras de la caméra, même lorsque la lumière rase les structures de la coque, impossible de déceler la nature virtuelle du vaisseau. Rien à voir avec les engins 3D peu crédibles, très « effets spéciaux TV », des deux Star Trek précédents (sur lesquels ILM n’a pas travaillé).
Le projet a commencé par une mission très délicate : imaginer l’apparence du nouvel Enterprise, un vaisseau déjà revu et corrigé plusieurs fois au cours de la longue histoire de la saga. Des centaines de variations seront proposées au réalisateur et au studio avant que tout le monde ne tombe d’accord sur un design. Afin de mettre en valeur l’échelle du vaisseau, la coque est habillée de centaines de panneaux ayant tous un traitement de surface différent : peinture mate ou brillante, nacrée ou métallisée, surface lisse ou rainurée, avec ou sans spéculaires, etc. Là-dessus viennent s’ajouter des dizaines de couches de rayures, de poussière, de saletés, de micro impacts… Des shaders aux variations innombrables qui donneront au vaisseau toute sa complexité et sa richesse visuelles.

Des vaisseaux spatiaux géants
Pour les scènes spatiales, J.J. Abrams a une idée en tête. Il veut absolument mettre en évidence le gigantisme du vaisseau et des autres engins. L’Enterprise est censé mesurer 600 mètres de long, soit la longueur de deux porte-avions ! Quant au vaisseau de Nero, le vil Romulien qui veut détruire la Terre, il mesure plus de huit kilomètres. Le problème avec des objets aussi grands, c’est qu’on peut difficilement apprécier leur échelle à l’écran. Dans les scènes spatiales, en l’absence de repères familiers, le spectateur a du mal à évaluer la taille de ces titans. C’est pourquoi J.J. Abrams prend deux décisions destinées à souligner cette caractéristique.
La première, c’est de montrer l’Enterprise en construction dans un chantier naval terrestre et non pas spatial. Une idée en totale contradiction avec toute la mythologie Star Trek : depuis les débuts de la saga, les vaisseaux sont toujours vus en orbite et ne se posent jamais. Les transferts du personnel se font soit par navette, soit par téléportation. C’est donc la première fois qu’on voit dans la saga un vaisseau au sol, une innovation qui a valu au réalisateur les protestations de toute l’équipe, dont celles du superviseur d’ILM, Roger Guyett. Mais Abrams voulait absolument que le public réalise à quel point l’Enterprise était gigantesque, et pour cela, seul un plan du vaisseau à terre pouvait le traduire, grâce aux points de comparaison par rapport au sol, aux grues, aux échelles, etc. En revanche, Abrams a renoncé à montrer le décollage du titan…
L’autre décision, c’est de montrer le plus souvent possible des petits objets se déplaçant autour de l’Enterprise : missiles, navettes, débris, etc. Autant de références visuelles qui rappellent en permanence les dimensions de l’engin. Abrams révèle aussi les entrailles du vaisseau comme jamais aucun film ou épisode TV ne l’avait fait. Pour représenter la salle des machines, il va tout simplement filmer dans une immense usine désaffectée …
Par contre, la taille des engins est source de problème pour l’animation. Avec des vaisseaux de 600 mètres et plus, impossible de mettre en scène des batailles aussi dynamiques que celles de la saga Star Wars (où ce sont de petits chasseurs qui s’affrontent). De fait, dans les Star Trek, on assiste à des affrontements de type bataille navale, alors que dans les Star Wars, ce sont avant tout des combats de type aérien. Les animateurs d’ILM doivent trouver un juste équilibre entre une vitesse maximale de manœuvre des vaisseaux, et la lenteur qui sied à des mastodontes pareils. Souvent, l’équipe va un peu trop loin et l’Enterprise ressemble alors à un petit vaisseau du genre Falcon Millenium…

SFX non, VFX oui
Pour les explosions, ILM choisit d’innover en réalisant les effets uniquement en 3D. Dans les films précédents, les destructions de vaisseaux avaient été réalisées soit à l’aide de sections miniatures, soit en filmant des explosions réelles sur fond noir pour les incruster ensuite sur les vaisseaux 3D. Mais les progrès réalisés en simulations de fluides et simulations dynamiques incitent l’équipe à jouer la carte du 100% virtuel. Les explosions sont basées sur la réalité scientifique du phénomène dans l’espace : il y a d’abord une brève gerbe de flammes due à l’embrasement des gaz contenus dans le vaisseau, les flammes sont ensuite réabsorbées par la coque, tandis que des centaines de débris de taille très variée s’éloignent en apesanteur… Un effet très réaliste conçu grâce à un logiciel développé en interne, Fracture. Au lieu de détruire le point d’impact vers l’intérieur du vaisseau, Fracture déclenche une simulation procédurale qui tord et déchiquette la surface du modèle vers l’extérieur, puis projette les débris adéquats. Dans le même temps, une simulation de fluides assure l’animation de la gerbe de flammes.
Plus fort encore que les explosions de vaisseaux, le principal effet de destruction du film concerne une planète entière. Nero utilise une foreuse géante en orbite pour creuser un puits jusqu’au centre de la planète, puis libère une particule d’antimatière qui déclenche l’apparition d’un trou noir au cœur même de ce monde. L’effet d’implosion sera basé sur deux techniques différentes. Pour créer le trou noir en forme de vortex, ILM utilise le système qui a été développé pour le maelström de Pirates des Caraïbes 3.
Quant à la destruction physique de la planète, elle fait intervenir le logiciel Fracture. La première étape consiste à modéliser une sphère, puis à briser le modèle en plusieurs grandes pièces (les plaques continentales), puis à briser le contour de celles-ci en morceaux plus petits, etc. La sphère se retrouve ainsi prête à se scinder en un nombre infiniment croissant d’éléments, tous animés en simulation procédurale par Fracture. Le logiciel permet ensuite de retoucher individuellement certains aspects de la simulation afin que l’effet global soit plus plaisant à l’œil. Les directeurs techniques peaufinent ensuite l’animation en ajoutant des couches additionnelles pour les particules les plus petites, créant au final l’effet le plus complexe de tout le film.

Combat sur la glace
Pour les deux créatures que le Capitaine Kirk affronte sur la planète glacée Delta Vega, ILM se retrouve en terrain plus connu. La scène n'est pas sans rappeler le combat de Luke Skywalker contre une espèce de yéti sur la planète Hoth dans L'Empire contre-attaque, ou encore les dinosaures attaquant sans relâche les humains dans le King Kong de Peter Jackson. Sauf qu'ici le monstre le plus dangereux est  rouge écarlate (!), et ressemble à un dinosaure croisé avec un calmar... Ce design est le fruit de l’imagination de Neville Page, illustrateur très en vogue à Hollywood depuis son travail sur la créature de Cloverfield (dont J.J. Abrams est producteur, voir notre making-of). Les plans de ce combat sont filmés sur le parking d’un stade de football complètement recouvert de neige artificielle et entouré d’un fond bleu. Ensuite, ILM ajoute un panorama synthétique pour l’horizon, puis des milliers de particules pour les flocons de neige en train de tomber. La neige causera d’ailleurs bien du souci à l’équipe lorsqu’il s’agira d’animer les interactions entre les créatures et le sol. À chaque pas de la créature, à chaque chute, il s’agit d’ajouter un jaillissement de neige 3D correspondant à la violence du mouvement. Un travail très pointu qui se traduira à l’écran par des créatures parfaitement intégrées dans l’environnement (grâce au logiciel de compositing Shake).

Le studio de George Lucas aura aussi fort à faire avec des dizaines d’autres effets, comme la téléportation, la scène de combat sur la foreuse géante, le panorama futuriste de San Francisco, celui de la planète Vulcain, les extensions de décor à l’intérieur de l’Enterprise, sans oublier les multiples incrustations vidéo sur les moniteurs de contrôle du vaisseau. Et au final, ce Star Trek se présente comme une succession d’effets visuels qui s’imposent comme les plus réussis de toute l’histoire de la saga. Vu le succès du film, gageons qu’on reverra très vite l’Enterprise sur nos écrans !

Alain Bielik – mai 2009
(légendes visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.