Star Wars Rogue One 1/2
Notre article sur Star Wars Rogue One est en deux parties:
Un look plus contemporain, plus réaliste, mais on retrouve l’efficacité simple du premier Star Wars. Et des effets visuels tout aussi mémorables.
Quatre milliards de dollars. C’est la somme pharamineuse que les studios Disney ont payé pour racheter l’empire Lucasfilm. Celui-ci comprend les films produits par George Lucas, le studio d’effets visuels Industrial Light and Magic, et le studio de postproduction Skywalker Sound. Avec un tel investissement, il n’est guère étonnant que la firme aux grandes oreilles ait voulu rentabiliser cette acquisition au plus vite. Là où George Lucas avait sorti six Star Wars en 28 ans, Disney se propose d’en sortir un… tous les ans ! Pour éviter l’usure du public, Lucasfilm a imaginé d’alterner la saga principale (centrée sur Luke Skywalker) et des films indépendants non liés à l’histoire principale.
C’est ainsi que Rogue One a vu le jour. Le film raconte la manière dont les rebelles ont volé les plans de l’Étoile de la Mort avant les événements décrits dans le tout premier Star Wars. L’action du film se déroule donc entre l’Épisode III (La Revanche des Sith) et l’Épisode IV (Un Nouvel Espoir). La réalisation a été confiée à Gareth Edwards, un cinéaste avait magnifiquement réussi son passage du cinéma indépendant fauché (Monsters) au méga-blockbuster hollywoodien (Godzilla), tout en imposant une vraie identité visuelle.
De fait, le style de Rogue One se démarque nettement des canons esthétiques des différentes trilogies, comme le souligne Mohen Leo, co-superviseur des effets visuels avec John Knoll : “Gareth a filmé Rogue One avec un style assez « brut de décoffrage ». Les plans sont tournés caméra à l’épaule, avec les imperfections de cadrage que cela entraîne. Il voulait vraiment immerger le spectateur dans l’action, créer un sentiment d’urgence, comme si les événements se déroulaient là, sous nos yeux. Ce parti pris s’est ensuite prolongé dans le travail sur les effets visuels. Gareth tenait à ce qu’il y ait le même naturalisme dans les plans d’ILM. Il voulait éviter le syndrome des plans « créés par ordinateur » dont la perfection mathématique trahit le caractère artificiel. Le cadre ne devait pas toujours être parfait, la caméra ne devait pas toujours pointer exactement là où l’action survenait. Nous avons essayé de respecter ce parti pris dans tous les plans à effets visuels, y compris ceux qui étaient entièrement générés par ordinateur, comme la bataille spatiale.”
Retour aux sources : on refait les maquettes… pour mieux les scanner
L’une des particularités du film est de se dérouler à la même époque que Star Wars - Un Nouvel Espoir. ILM devait donc reproduire à l’identique la plupart des engins de ce film, tout en créant de nouveaux vaisseaux et véhicules. Pour ce faire, l’équipe est allée mesurer et photographier les maquettes originales dans les archives de Lucasfilm. Ensuite, John Knoll a repris à son compte la technique de « kit bashing » qui avait été utilisée par les maquettistes d’ILM à l’époque. “Elle consiste à acheter des kits du commerce – avions, chars d’assaut, navires, etc. – puis à piocher des pièces là-dedans pour les détourner de leur usage initial et décorer une surface, un réacteur, un canon, etc.” précise Leo. “C’était beaucoup plus économique pour eux que de créer chaque pièce à la main. John a donc retrouvé la référence des kits du commerce qui avaient été utilisés à l’époque, puis il a acheté un exemplaire de chaque. Ensuite, les pièces originales ont été retrouvées et scannées une par une. John en a sélectionné d’autres pour compléter la base de données, si bien que nous nous sommes retrouvés au final avec des centaines de petits bouts de maquettes scannés. Ça nous a permis d’augmenter le niveau de détail des modèles, tout en n’utilisant que des pièces que les maquettistes originaux auraient employées… En procédant de cette manière, nous maintenons un style général, un look cohérent, car tous les éléments proviennent d’une même source. Et si nous voulions montrer à l’écran une partie de Star Destroyer et ou de l’Etoile de la Mort qui n’avait jamais été vue auparavant, nous pouvions piocher là-dedans pour la décorer, et tout de suite, cette partie formait un tout homogène avec le reste que l’on connaissait déjà, car elle était modélisée comme les maquettistes l’auraient construite il y a quarante ans.”
Certains engins comme le AT-ST (ndlr : le véhicule bipède de l’Empire qui ressemble à un vélociraptor) ont été réalisés à partir des modèles 3D créés par Electronic Arts pour le jeu Battlefront. Celui-ci se déroule à la même période que Star Wars Rogue One, et présente donc des véhicules de même génération. Comme ILM et Electronic Arts sont partenaires, le studio a pu récupérer les géométries et textures du jeu, lesquelles étaient d’excellente qualité.
Animation : entre stop-motion et fluidité 3D
Pour l’animation de ces engins, ILM a dû trouver un juste milieu entre respect de l’original et fluidité nécessaire au réalisme. “Pour le AT-ST, les premiers tests se sont avérés trop fluides,” commente Leo. “On sentait trop la différence par rapport à ce qui avait été fait sur la trilogie originale. Or, il s’agissait du même engin dans le même univers à la même époque, il fallait qu’il fonctionne de la même manière. Nous avons donc ajouté un peu de saccades pour créer un effet de stop motion, mais sans aller jusqu’au style du Retour du Jedi. Le type d’animation utilisé à l’époque n’aurait pas convenu dans le cadre très réaliste de Rogue One. Nous nous sommes efforcés de trouver un juste milieu entre le respect de la personnalité de l’engin, et un réalisme indispensable. Ce processus a été répété sur les AT-AT (ndlr : le véhicule blindé quadrupède qui ressemble à un chameau). Là aussi, nous avons choisi de ne pas les animer avec toute la fluidité dont l’animation 3D est capable aujourd’hui. Le but est qu’on puisse passer dans la saga Star Wars de Rogue One à Un Nouvel Espoir et à L’Empire contre-attaque sans que l’animation ne choque.”
Animer la bataille spatiale
La même approche s’est appliquée à la longue séquence de bataille spatiale à la fin du film. Le réalisateur voulait éviter le style artificiel des plans animés en 3D qu’on voit trop souvent avec la caméra virevoltant dans tous les sens. À ses yeux, disposer de possibilités infinies avec l’infographie ne signifie pas pour autant toutes les utiliser. Il fallait respecter le style graphique de la trilogie originale. ILM a commencé par prévisualiser la séquence. “À ce stade, il s’agissait d’une sorte de brouillon des péripéties qui nous permettait de placer les éléments clés dans l’image : quel vaisseau va dans quelle direction à quel moment ? Quel autre explose à quel endroit ? Où sont les chasseurs par rapport aux gros vaisseaux ? Etc. Toute la bataille a été animée du début à la fin sous la forme de cinq ou six animations de 60 secondes chacune. Le rendu était réalisé à 360°, si bien qu’on pouvait visionner l’action à partir de n’importe quel point de vue.”
Dès lors, le réalisateur pouvait lancer une animation et « filmer » la scène avec la caméra virtuelle. “Il voyait la bataille se dérouler sous ses yeux, comme si elle survenait en direct, et il cherchait les meilleurs angles pour la caméra. Ces choix ont ensuite été assemblés en un montage provisoire qui s’est de plus en plus affiné au fil des semaines. Une fois les plans bien en place, nous sommes passés à l’animation définitive. L’important pour Gareth était de conserver la lisibilité de l’action : le spectateur devait toujours savoir qui est qui, et où se trouvaient les uns par rapport aux autres. Parfois, il nous a demandé de retirer certains vaisseaux car il trouvait l’action trop confuse. Les moments les plus délicats étaient ceux où l’on changeait d’endroit dans la bataille : il fallait laisser aux spectateurs le temps d’assimiler la nouvelle situation et le changement de point de vue.”
Clou de la séquence, le moment grandiose où un Star Destroyer éventre un autre Star Destroyer, un vrai festival de simulations dynamiques avec des milliers de projections de débris, de métal tordu, d’étincelles et explosions, etc. Et pour modéliser l’intérieur béant du vaisseau, ILM n’est pas allé chercher plus loin que L’Encyclopédie des Vaisseaux Star Wars, un ouvrage de référence qui présentait un plan du Star Destroyer en coupe ! C’est l’avantage de travailler sur une saga aussi bien documentée que Star Wars : quelle que soit la réponse que l’on se pose, un fan, un site Internet ou un livre y a déjà répondu…
Alain BIELIK, décembre 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.
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