Sur la piste du Marsupilami
Après Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Alain Chabat revient au monde de la B.D. et porte à l’écran le célèbre personnage imaginé par Franquin. C’est au studio Buf Compagnie qu’il a confié la lourde tâche de donner vie au facétieux petit animal.
À Hollywood, on ne compte plus les films dont l’un des personnages principaux est animé en images de synthèse. On pense bien sûr à Gollum, aux extraterrestres de la nouvelle trilogie Star Wars, ou aux robots de Transformers ou de Real Steel. Mais en France, cela reste exceptionnel. L’animation 3D de personnages dans le cadre d’un film en prises de vues réelles est encore une vraie rareté. Question de sujets, sans doute, la France n’ayant jamais été réputée pour son cinéma fantastique.
C’est pourquoi la sortie de Sur la Piste du Marsupilami constitue un réel événement pour l’industrie française des effets visuels. Le studio Buf Compagnie a réalisé pour le film pas moins de 225 plans d’animation 3D du Marsupilami, ce qui représente quelque 14 minutes de temps de présence à l’écran dans le montage final. Plus de 60 graphistes ont travaillé sur le projet, dont 20 animateurs pendant une durée de huit mois.
Le processus a commencé par la réalisation de nombreux tests d’animation, la production souhaitant vérifier la viabilité du projet : pouvait-on, en France, créer en animation 3D le personnage central d’un film ? Le fameux héros de BD pouvait-il devenir un animal photoréaliste à l’écran ? Le défi a été relevé par Olivier Cauwet, superviseur des effets visuels, et son équipe : “On a fait des tests pendant cinq ans avant que le film ne reçoive le feu vert. Nous avons tout de suite monté un département design afin de concevoir le look du Marsupilami. L’équipe a réalisé des centaines de dessins sur papier. Il fallait trouver le look général du personnage.”
Le design du Marsupilami
Il peut sembler incongru de redessiner un personnage dont l’apparence est déjà connue depuis des décennies (le Marsupilami est né en 1952). Pourtant, cela s’est avéré nécessaire lorsque l’équipe a réalisé que le design du petit animal avait beaucoup évolué au fil des ans. Il y avait non pas un Marsupilami, mais plusieurs… “Son aspect est différent selon le dessinateur,” raconte Olivier Cauwet. “Par exemple, la version originale de Franquin est beaucoup plus fine et longiligne que celle des éditions actuelles, laquelle est plus cartoon. Et puis, Alain Chabat voulait un design qui puisse être agréable en trois dimensions, tout en respectant l’esprit Franquin. Le plus difficile a été de définir les proportions : la longueur de chaque membre, son épaisseur, la taille de la tête, etc. Pour y parvenir, nous l’avons dessiné à la manière de L’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci (ndlr : célèbre croquis où sont précisés les proportions d’un homme debout bras écartés en l’inscrivant dans un cercle et un carré) , ça nous a aidés à trouver des proportions réalistes pour la 3D.”
L’apparence du Marsupilami a fait l’objet d’un long travail de recherche et développement de la part de Buf. Comme toujours chez le studio fondé par Pierre Buffin, tous les logiciels ont été développés en interne. Le projet Marsupilami nécessitait la mise au point de nouveaux outils de simulation de poils : shader de fourrure, outils de coiffage… Buf a utilisé la technique des poils guide, c’est-à-dire des poils directeurs à partir desquels tous les autres sont interpolés. La fourrure du Marsupilami a été séparée en différentes catégories de poils : poils jaunes courts ou longs, poils blancs courts ou longs, tâches noires… Chaque famille a été gérée indépendamment des autres afin de constituer un mélange réaliste, avec des poils jaunes et noirs bien séparés.
Ce travail de simulation a été ensuite complété par de la dynamique pour que les poils ne restent pas statiques. Il fallait d’une part qu’ils réagissent aux déplacements du Marsupilami, mais aussi aux forces extérieures comme le vent, lorsque l’animal est à l’arrêt. Même dans les moments où le personnage est immobile, la fourrure doit bouger légèrement, ce qui le rend plus vivant à l’image.
La queue surtout !
L’aspect le plus remarquable du Marsupilami, c’est sa queue : longue de huit mètres, elle est capable de véritables prouesses. Une particularité qui a posé un vrai défi technique pour l’équipe d’animation, dirigée par Bastien Laurent : “Elle doit être capable d’accomplir toutes sortes d’actions, se tordre, s’enrouler, etc. Pour y parvenir, il a fallu mettre au point un set-up particulier qui nous permettait d’avoir différents modes de manipulation.”
Seul un modèle de Marsupilami a été créé, mais les animateurs disposaient d’outils spécifiques pour la queue. En cliquant sur un bouton, ils pouvaient passer d’un mode à l’autre et choisir la version la plus adaptée à l’action. Ainsi, l’extrémité de la queue pouvait se configurer pour former un poing géant ou bien reproduire un visage. L’effet a été simplifié en faisant survenir la transformation hors champ. Chaque cas de figure a nécessité la création d’un rig spécifique à partir de la géométrie originale.
Ce faisant, les animateurs se sont rendu compte que la queue n’était parfois pas assez longue. Pour certaines configurations, huit mètres, ce n’était pas suffisant… “Dans la BD, sa taille change tout le temps !” souligne Oliver Cauwet. “Dans le film, nous avons été obligés d’en faire autant. Par exemple, pour que la queue forme un gros poing, il fallait en enrouler la majeure partie, et il ne restait plus qu’un petit bout de queue avant qu’on arrive au corps. Ça cassait les proportions. Dans ce cas-là, on allongeait la queue jusqu’à ce que le résultat soit plaisant à regarder. Nous sommes parfois allés jusqu’à vingt mètres de long !”
Tournage sans contraintes
Conformément à sa philosophie, Buf a choisi de laisser le plus de liberté possible à Alain Chabat sur le tournage. Lorsque le Marsupilami devait interagir avec la végétation, la branche et les feuilles étaient animées en 3D en postproduction, sans interaction sur le plateau. L’idée était de ne pas limiter le réalisateur dans ses choix d’animation ultérieurs. Si l’équipe avait filmé une vraie branche en train de bouger d’une certaine manière à l’aide de cordes, l’animation aurait dû se conformer à cette action. En filmant un décor vierge de toute action visible, Alain Chabat conservait une entière liberté de décision pour l’animation.
Le cas était différent lors des interactions avec les personnages. Chaque plan était répété avec une poupée qui représentait le Marsupilami. Elle était soit tenue à la main, soit animée avec une perche. Ensuite, les plans étaient filmés avec les acteurs et un repère visuel pour le Marsupilami. “Le plus souvent, on variait les prises : mouvement plus ou moins rapide, cadrage plus ou moins serré, etc,” explique Olivier Cauwet. “L’idée était de laisser toutes les portes ouvertes à l’animation par la suite. On ne voulait pas se retrouver « coincés » par un cadrage et un mouvement de caméra uniques. Lorsqu’il devait y avoir interaction avec les acteurs, l’équipe des effets spéciaux utilisait des câbles pour les tirer, les soulever, etc. Et si le Marsupilami devait être porté au bras, l’acteur portait simplement la poupée…”
Une fois les prises de vues en boîte, Buf a entamé le processus d’animation. Les nombreux tests réalisés au cours de la préparation avaient démontré que seule une approche réaliste de l’animation était envisageable. Le Marsupilami ne pouvait pas être animé façon cartoon à côté de vrais acteurs, la différence était trop flagrante. Il fallait que le personnage soit animé comme un vrai animal, les singes fournissant pour l’occasion une bonne base de référence.
L’animation du Marsupilami
L’un des aspects les plus délicats de l’animation a consisté à déterminer jusqu’à quel point le Marsupilami devait être « humanisé » au niveau des expressions faciales. “On voulait un visage très expressif, mais en même temps, si on allait trop loin vers le côté humain, ça ne fonctionnait plus,” raconte Bastien Laurent. “Le personnage perdait son côté animal et devenait une « créature » un peu inquiétante. Pour le corps, nous avons reproduit les poses clés que le personnage prenait dans la BD. Nous avons aussi beaucoup travaillé avec les oreilles pour souligner les attitudes. Par exemple, lorsqu’il entend quelque chose, on fait d’abord tourner une oreille, puis les yeux et la tête suivaient.”
Les tests avaient également révélé un impératif : il fallait éviter que le Marsupilami ne tourne les yeux trop loin. Du fait de la grande taille de ses yeux, un regard en coin donnait un résultat très inesthétique car l’iris se retrouvait décalé sur le côté. Pour que l’animal soit toujours plaisant à regarder, l’équipe a choisi de limiter l’amplitude des mouvements des yeux, et de compenser par les mouvements de tête.
La queue est un personnage à part entière, presque autant que le Marsupilami lui-même, elle semble parfois être autonome. Cette particularité a obligé l’équipe à établir une priorité d’animation dans chaque plan. Avec Alain Chabat, l’équipe déterminait qui devait être le moteur de la scène : le Marsupilami ou la queue. Si l’un des deux était en action, l’autre devait rester au second plan. Le processus d’animation démarrait toujours par un travail sur papier, en 2D. “On commençait par réaliser des animations à la main sur les images du film,” explique Olivier Cauwet. “C’était un moyen économique et rapide pour trouver la dynamique de la scène. C’est là qu’on déterminait le timing, les trajectoires, la vitesse, etc. Ensuite, on passait à la 3D en rotoscopant cette animation 2D.”
L’équipe de Bastien Laurent proposait alors entre quatre et cinq options d’animation par plan. Alain Chabat a été très demandeur d’idées nouvelles. Dans certains cas, il n’a pas hésité à combiner le début de telle proposition avec la fin de telle autre, afin de créer une toute nouvelle animation.
Optimiser le rendu
Compte tenu de la complexité visuelle du personnage, le rendu a fait l’objet de toutes les attentions. Sur le tournage, l’équipe a pris soin de photographier le décor à 360° en bracketing. Ces images ont ensuite permis de créer les maps d’environnement à partir desquels le personnage a été éclairé. “Le Marsupilami a six millions de poils, et chacun projette une ombre sur les autres, tout en recevant l’ombre de ses voisins…” précise Olivier Cauwet. “On aurait pu facilement se retrouver avec des temps de rendu interminables. Or, il était essentiel qu’on puisse être réactif aux demandes d’Alain Chabat. On savait qu’il y aurait beaucoup de modifications de dernière minute. À force d’optimiser le processus, nous avons réussi à obtenir des temps de calcul de 2h00 à 2h30 maximum par image, avec du motion blur 3D, ce qui était tout à fait raisonnable. Grâce à ça, Alain Chabat a pu retravailler son film jusqu’à la dernière minute. Songez que deux semaines avant la date limite, on était encore à peaufiner une scène en animatique 3D. Pourtant, la scène a bien été finie à temps !"
Alain Bielik, avril 2012
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.
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